Lettre de Jean-François et Aurelio, Vernon, Mars 2016

Chers Frères,

vernon-201603-01pendant cette semaine, nous avons travaillé chez François MARIN qui nous a pris en charge comme « un vieux frère ». Son style d’accueil fraternel nous a donné un immense courage pour travailler tranquillement, en paix.

Nous avons fait mémoire de toutes les fraternités, des frères qui rencontrent des problèmes et de l’Église dont nous faisons partie.

vernon-201603-02Nous avons prié pour tous les êtres humains qui souffrent et nous nous sommes réjouis de la réalité de toutes ces fraternités qui sont chaque jour plus vivantes et fidèles à l’Évangile.

Le matin de la première journée, nous l’avons partagé avec la fraternité de Jean-François . Nous avons prié ensemble et partagé notre révision de vie et le repas fraternel.

Ce fut une joie de tenir dans nos bras Michel PINCHON et les autres frères.

NOS FRATERNITÉS

vernon-201603-03L’expérience de l’Assemblée Panaméricaine de Cuernavaca nous a donné beaucoup de lumière dans notre travail. Les conclusions qui sont publiées dans notre site  « iesuscaritas.org » – Lettre de Cuernavaca, chroniques et propositions – parlent de la vie, d’un présent avec des appels, des propositions non seulement pour les fraternités de l’Amérique mais aussi pour celles du monde entier. Au cours de cette assemblée, Fernando TAPIA, du Chili, a été élu responsable continental pour toute l’Amérique. Nous lui présentons nos meilleurs vœux pour ce service de la fraternité qu’il a accepté avec joie.

Nous sommes remplis de joie pour toutes les fraternités en formation : Haïti, la Bolivie, la Colombie, et des possibilités de nouvelles fraternités au Sénégal et au Zimbabwe. Nous avons étudié la manière de les aider pour appuyer ces initiatives.

La mort de Hermann en Allemagne nous a inspiré beaucoup de tristesse et en même temps de l’espérance parce qu’il était pour nous un frère estimé et admiré. Nous portons le souci pour la santé de Giuseppe, en Italie, et nous avons prié pour lui et nous nous sentons très proches de la fraternité italienne.

Nous ressentons de plus en plus l’urgence de mettre le charisme de Charles de FOUCAULD, avec son souci de vivre Nazareth et la fraternité universelle au cœur de notre ministère pastoral  : que ce soit comme prêtres en paroisse, au service des séminaristes, comme aumôniers d’hôpitaux, de prison et dans les divers centres d’accueil pour les personnes en précarité. Nous ressentons l’appel à rédiger un document sur le thème :Être prêtre de la fraternité avec le style de Nazareth au cœur de notre travail et de nos relations quotidiennes

LES APPELS

Comme membres de l’équipe internationale, nous recevons les propositions de l’Assemblée panaméricaine et nous nous engageons pour les mettre en œuvre. On nous demande un Directoire pour le mois de Nazareth qui puisse être utile pour les fraternités de tous les pays en prenant en compte les particularités sociales te culturelles locales. Nous prenons contact avec Manuel POZO de la fraternité espagnole : Il va réaliser ce document que nous publierons le plus tôt possible.

vernon-201603-04Un appel à vivre cet anniversaire du centenaire de la Pâque de Charles de FOUCAULD comme expression de la vie d’un homme saint qui nous aide ainsi que toute l’Église à vivre la fraternité universelle. Malgré les nombreux signes de haine entre les hommes, les souffrances créées par les guerres, l’exil de toutes les personnes déplacées dans le monde, nous écoutons l’appel du Pape François à vivre la miséricorde avec le cœur et les mains : c’est-à-dire non avec des rites cléricaux qui enferment les gens dans une conscience tranquille mais par notre engagement pour une réconciliation active entre les hommes.

Nous avons été intéressés par le travail de Javier PINTO, théologien chilien, laïc de la fraternité : « Passionnés par Dieu et par l’humanité : le vernon-201603-05Pape François et les grandes intuitions de Charles de Foucauld ». Ce document a été publié ans notre site en espagnol, français et anglais. Il a servi de base pour une grande partie de notre réflexion au cours de l’Assemblée Panaméricaine. Il nous a encourage à regarder la réalité du charisme du Frère Charles en nous et dans l’Église et son incontestable actualité spécialement dans cette année de la miséricorde.

vernon-201603-06Le jeudi 17 mars, Aurelio a été à Paris pour une entrevue avec Jacques GAILLOT. Ce fut pour lui un cadeau de Dieu de faire personnellement sa connaissance. Son style proche et simple, prophétique et évangélique est un bien pour l’Église et pour notre fraternité. Des personnes comme lui, qui, sans faire de bruit, travaillent au service du Royaume de Dieu avec les plus pauvres, dans un engagement en faveur des exclus, développant un travail de présence et d’action collective avec les personnes marginalisées qui demandent à être écoutées, sont ces personnes dont nous avons besoin. Sa rencontre avec le Pape François a constitué comme une reconnaissance de son travail intense dans les périphéries tant géographiques qu’existentielles. Il va nous aider dans la fraternité internationale par ses communications et par son témoignage. Merci, Jacques, pour ta disponibilité et pour ce service apporté à nos fraternités !

POUR UN FUTUR IMMEDIAT

En Juillet de cette année, se tiendra l’Assemblée de l’Asie aux Philippines. Nous encourageons nos frères des pays asiatiques à y participer. Nous souhaitons un bon succès pour le travail de notre frère Arthur, responsable continental et l’équipe de préparation.

Aussi le mois de Nazareth se tiendra aux États-Unis en Juillet de cette année. Il sera animé par Mark.

Un mois de Nazareth se tiendra également au mois d’Août en Angleterre organisé par Donald. Nous portons dans la prière tous les frères qui y participeront et auront l’occasion de vivre en fraternité la prière, le désert, la révision de vie, le travail manuel et le partage de tout qui les anime dans leur ministère pastoral et leur vie personnelle.

vernon-201603-07Dans la ligne de la rencontre qui a eu lieu à Viviers l’an dernier sur le thème : « Prêtres diocésains serviteurs de la rencontre entre musulmans et chrétiens », nous désirons poursuivre ces échanges entre fraternités d’Europe et fraternités présentes dans les pays du Maghreb et du Sahel. En cette période tendue et propice à tous les extrémismes, la rencontre entre musulmans et chrétiens s’avère urgente et indispensable. Nous devons poursuivre ce chemin du dialogue de la vie tel que le frère Charles l’a ouvert à Beni Abbès et Tamanrasset .

Pour toutes ces activités internationales (assemblées continentales et mondiale, mois de Nazareth, déplacement de l’équipe internationale) la Caisse internationale a besoin de ressources. De nouveau, nous relançons notre appel à une réelle solidarité entre fraternités des différentes régions.

Nous préparons un rapport annuel sur toutes les activités de la fraternité sacerdotale Jesus Caritas pour la Congrégation du Clergé conformément à notre engagement après l’approbation reçue en Avril de l’année passée.

Nous avons fait une approche des thèmes à traiter lors de notre prochaine rencontre de l’équipe internationale en Octobre au Kansas aux États Unis. Nous serons accueillis par Mark. Nous nous réjouissons de nous retrouver dans cette ambiance de fraternité, dans le partage de notre vie et au service de toutes les fraternités.

Nous nous confions à votre prière. Présentons à Jésus la vie de nos fraternités, même si nous ne nous connaissons pas tous : La vie des frères, leurs projets, leur santé, leurs inquiétudes, leurs joies .

Un grand « abrazo » fraternel en ces jours qui nous rapprochent de Pâques.

vernon-201603-08Jean-François et Aurelio

Vernon, Normandie, France,
le 18 Mars 2016

PDF: Lettre de Jean-François et Aurelio, Vernon, Mars 2916

Denis SEKAMANA, Iesus Caritas, Frère Charles, le visage de la miséricorde

Abbé Denis SEKAMANA

“LE VISAGE DE LA MISERICORDE”

Chers frères,

A l’annonce de l’année sainte de la miséricorde,qui correspond au centième anniversaire de la naissance au ciel de frère Charles(1916-2016),j’ai immédiatement pensé à la vie qu’il a menée depuis sa conversion.Une vie qu’il a voulue identique à celle de celui qu’il a découvert à Nazareth et dans les Saintes Ecritures qu’il lisait et méditait chaque jour.

Charles a été ébloui par le visage miséricordieux de celui qu’il appelle désormais”son Bien-Aimé Frère et Seigneur Jésus”. Nous constatons alors qu’il est une véritable illustration du message que le Saint Père nous propose pour cette année dédiée à la miséricorde,à savoir:“Revivre les oeuvres de miséricorde corporelles et spirituelles:donner à manger aux affamés,donner à boire à ceux qui ont soif,vêtir ceux qui sont nus,accueillir les étrangers,assister les malades,visiter les prisonniers,ensevelir les morts”.Puis”conseiller ceux qui sont dans le doute,enseigner les ignorants,avertir les pécheurs,consoler les affligés,pardonner les offenses,supporter particulièrement les personnes ennuyeuses,prier Dieu pour les vivants et les morts”.

Nous connaissons le verset de l’Evangile qui hantait littéralement le Coeur de Charles et ne cessait de le faire battre:”Ce que vous avez fait à l’un de ces petits d’entre les miens,c’est à moi que vous l’avez fait…et ce que vous n’avez pas fait à l’un de ces petits,à moi non plus vous ne l’avez pas fait” (Mt 25,40-45).Disons que Charles à communié intensément à la table de l’abondance de la miséricorde du Christ et s’est offert pour dresser cette même table aux âmes les plus démunies de Jésus et de tout ministère sacerdotal. Alors,il s’est fait pélerin et missionnaire à la recherche des brebis les plus galeuses qui soient.

Son histoire nous le montre accueillant caravaniers,militaires et bédouins des oasis du désert sans distinctions aucune.Tout le monde connaît le chemin de sa maison,tout le monde se sent chez lui comme chez soi,pour y vivre les biens de la fraternité.Charles partage le peu qu’il a jusqu’à la dernière bouchée.

De son temps,il se pratiquait un commerce sauvage et éhonté des esclaves et surtout celui des enfants.Ses protestations contre ce fléau se sont faites ressentir jusque dans le Parlement de sa France natale.Il a risqué de se mettre à dos tous les puissants escrocs de l’ignoble trafic.

Nous savons aussi que Charles s’est improvisé en infirmier soignant les infortunés des Sables du Sahara et Dieu sait à quelles épidémies il avait à faire face.Et bien que fort peu équipé,le simple fait de visiter ces malades,de les toucher,de se montrer soucieux de leur état,les soulageait déjà et marquait la différence entre lui et tous les autres.

Nous savons enfin qu’il s’est préoccupé du développement matériel de ceux don’t il se sentait déjà responsable.Il a introduit chez eux la couture,le tissage,le tricotage et la culture des denrées alimentaires qui manquaient cruellement à leur mieux-être.Aurait-il rate l’occasion de leur apprendre à tirer du fromage du lait de leurs chèvres et moutons?Pour sûr,ils ont appris de lui comment se faire une maison plus habitable et plus durable qu’ils n’avaient pas auparavant.

Curieusement,tout prêtre qu’il était et tout zélé s’il en fut,il n’a jamais pensé à prêcher ni à célébrer au milieu des disciples d’Allah si revêches au Fils de Dieu!Pourtant son Coeur brûlait d’amour pour son Bien-Aimé.Et c’est pour lui qu’il marche et se trouve là au milieu de ces gens.Il va leur prêcher autrement,non par sa bouche,mais par son coeur noble,tendre,bienveillant,soucieux et respectueux.Il s’incarne lui-même chez eux,alors non seulement il prêche,mais il crie l’Evangile par toute sa vie,à travers ces gestes et multiples petites choses d’amour par lesquels il va essayer d’adoucir leur vie dure et rude.Il va déployer un apostolat de bonté,de présence et d’amitié;un apostolat qui soit un langage bien plus puissant que toute la théologie du monde;un apostolat qui va faire de lui un frère universel.

En ce centième anniversaire de la mort de Charles qui correspond à l’Année Sainte de la miséricorde,il nous initie à un nouveau style et à une nouvelle méthode d’apostolat,qui,en somme,est celui du Christ qui “passait partout en faisant du bien”(Ac 10,38).”Mon apostolat doit être celui de la bonté.En me voyant qu’on puise dire:si cet homme est bon,sa religion doit etre bonne.Et si on me demande pourquoi je suis doux et bon,je leur répondrais que c’est parce que je suis disciple d’un plus bon que moi.Si vous saviez combien est bon mon Maître!Je voudrais être tellement bon pour eux jusqu’à ce que,eux-même disent:si tel est le disciple,comment donc est son maître?”.

Charles a eu toute une vie qui parlait de Jésus et il nous invite à faire de même.Et c’est cela même que nous demande le Maître:”Pour vous qui suis-je?Qui dites –vous que je suis?”(Lc 9,20).Notre devise à tous devrait être la suivante:”Que les paroles se taisent et que les actions parlent”.Voilà un apostolat qui ne s’use pas,et,un langage que tout homme de bonne foi comprend et désire entendre tout le temps.

Bonne Année et Bon Anniversaire.

Denis SEKAMANA

Jean-Claude BOULANGER. Charles de Foucauld et Therèse de Lisieux

Les grandes lignes de leur spiritualité

Ces deux grands témoins de la foi qui ont marqué la spiritualité du XX° siècle sont très différents par leur enracinement humain et spirituel mais aussi par leur situation ecclésiale. L’un est prêtre, et même missionnaire en terre d’Islam. Thérèse est Carmélite et vit au milieu d’une communauté. Ils ont vécu essentiellement la deuxième moitié du XIXème siècle. Mais Charles de Foucauld meurt en 1916. Il va connaître la première guerre mondiale et les lois de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Charles de Foucauld est issu d’une famille aristocratique dont les ancêtres remontent à Saint Louis. La devise de ses ancêtres, essentiellement des militaires, était « jamais arrière ». On comprend mieux le tempérament de feu de cet homme. En même temps, c’est un grand intellectuel qui a su mettre son intelligence au service des plus pauvres. On peut dire de lui que c’est un explorateur, assoiffé de découvertes. On aurait pu croire qu’il resterait l’homme des châteaux ou l’officier, défenseur des valeurs patriotiques et colonisatrices. Il est devenu l’homme qui est allé à la rencontre de l’inconnu, de la différence, de l’étranger. Il a été un prêtre assoiffé d’absolu, un authentique missionnaire en terre d’Islam, vivant seul au milieu des pauvres. Finalement, il a su assumer les contradictions de sa propre histoire.

Thérèse de l’enfant Jésus et de la sainte Face est née à Alençon, dans une famille commerçante et entreprenante. Louis Martin était horloger-bijoutier et Zélie sa femme à tenait une petite fabrique du point d’Alençon pour laquelle une douzaine de femmes travaillaient. On peut dire qu’ils faisaient partie de la petite bourgeoisie Alençonnaise, tout en refusant d’en partager l’esprit mondain. Toutes les sœurs de Thérèse seront religieuses. Elle aura trois sœurs au Carmel de Lisieux et une sœur, Léonie, qui sera visitandine à Caen. Autant Charles de Foucauld rêvera toujours de fraternité et de communauté, mais vivra seul, autant Thérèse a fait l’expérience de naître dans une famille nombreuse : cinq filles survivantes sur neuf enfants. Au Carmel de Lisieux, elle fera l’expérience très concrète de la vie en communauté.

Qu’est-ce qui peut rapprocher ces deux témoins, si différents les uns des autres ?

Comme l’écrit Paul Claudel : « Pour comprendre une vie comme pour comprendre un paysage, il faut choisir le point de vue et il n’en est pas de meilleur que le sommet » (Théâtre II – La Pléiade – p. 1514). On peut dire qu’il y a déjà une communion des saints dès ici-bas. L’un et l’autre s’ignoraient même si Charles de Foucauld a dû entendre parler de « l’Histoire d’une âme  » parue en 1898. Il n’y fait aucune allusion dans ses écrits. Pour résumer la vie de ces hommes et de ces femmes de foi, on pourrait dire qu’ils ont fait de la religion une histoire d’amour pour Jésus et leurs frères en humanité. Une même passion les animait : « A cause de Jésus et de l’évangile ». Parce que c’est toujours Jésus et l’évangile que l’on reconnaît à travers les saints. La rencontre du Christ a bouleversé leur vie et en même temps, ils ont été mus par cette soif de la Parole de Dieu. Ils ont été de véritables amoureux de Jésus et c’est en se mettant à l’écoute de l’évangile qu’ils ont découvert le cœur de Dieu. C’est l’évangile qui était leur G.P.S., leur carte Michelin. En même temps, ils ont compris que l’évangile a été écrit, non pour être lu mais pour être vécu, comme le dira Madeleine Delbrêl.

La petite voie de Nazareth

Ils ont vécu intensément la vie cachée de Jésus de Nazareth. Ils ont communié à son enfantement comme Marie à Nazareth, à sa naissance dans la mangeoire d’animaux, à Bethléem, à son mûrissement pendant les trente ans de vie obscure à Nazareth. Ils ont vécu par toute leur vie, le mystère de l’incarnation, de la mort et de la résurrection de leur maître et Seigneur. Ils y ont communié mystérieusement dans leur chair, en particulier pour Thérèse. Ils ont été comme le grain de blé jeté en terre, à la manière de frère Charles, mort au cœur de nos déserts humains. Et pourtant, sans voir l’éclosion de la Pentecôte, ils ont eu assez de foi pour en pressentir les fruits. Ils ont tenu bon dans la foi, espérant contre toute espérance, en croyant que la fécondité de leur offrande, serait l’œuvre de l’Esprit-Saint. Ils avaient assez de foi pour croire que la fécondité de Dieu traverse nos stérilités humaines. C’est ainsi qu’ils ont été de grands missionnaires. Ils ne se sont pas contentés de réaliser les œuvres de Dieu, tout en étant fidèles à l’église, ils sont devenus eux-mêmes l’œuvre de Dieu. Ils sont passés par la Passion, avant de communier à la Résurrection du Christ et à la Pentecôte. C’est ainsi qu’ils ont vécu le Mystère Pascal, dans leur propre histoire. Ils ont aussi découvert que Dieu a écrit droit avec les lignes courbes de leur vie, parce qu’ils ont su peu à peu s’abandonner entre ses mains. Ils ont assumé les failles de leur histoire, de leurs blessures affectives et psychologiques, des nuits de la foi qu’ils ont pu traverser, les lourdeurs institutionnelles ecclésiales qu’ils ont rencontrées. A travers tout ce vécu, ils ont su vivre l’abandon entre les mains du Père comme Jésus sur la croix. A travers ces failles, l’Esprit de Dieu s’y est introduit et il les a pacifiés de son amour. Ils n’ont pas été des censeurs, ni des juges de leur époque. Ils ont voulu la sauver à la suite du Christ Sauveur. Ils ne sont pas venus pour condamner l’histoire mais pour la libérer des forces des ténèbres. Ils ont voulu être des sentinelles de l’Invisible pour leur temps. A une époque où la société vantait le progrès, la science et la puissance de l’atome et où l’église de France se repliait sur elle-même et défendait ses institutions, ils ont su s’ouvrir à l’impossible de Dieu. Au moment où l’homme se faisait Dieu, ils ont cru en Dieu qui devient homme. Au moment où l’amour de la force et de la puissance, de la race et de la classe sociale allait dominer le monde, ils ont cru à la force de l’amour et de la fraternité. Au moment où tant de chrétiens vivaient cette période de l’histoire comme un déchirement et une mort, ils ont cru que de la mort, même physique, la vie de Dieu peut jaillir.

Ce qui a unifié leur vie, c’est à la fois cet amour de Jésus et l’amour de leurs frères en humanité, en particulier les plus petits, les plus blessés de la vie. Comme l’écrira Charles de Foucauld, ils ont voulu voir en tout être humain, le visage du Christ, le visage du frère. Par leur vie, ils ont été solidaires des hommes de leur temps. Que ce soit Charles de Foucauld avec les Touaregs, que ce soit Thérèse auprès des incroyants, avec tous les souffrants de la terre dans cette période la plus tragique de l’histoire, on peut dire qu’ils n’ont pas déserté le monde qui les a vus naître.

Des disciples-missionnaires.

Tous deux ont été d’authentiques disciples de Jésus, témoins de la foi. Ils sont allés au cœur de la foi, en communiant au Mystère pascal et en assumant un authentique combat spirituel de chaque instant. Ils ont assumé cette part de nuit de la foi, au point de traverser l’épreuve du vide, dans cette nudité ultime dont parle Saint Jean de la Croix. Ils ont communié à la solitude du Christ au jardin de Gethsémani alors que les disciples dormaient. Ils ont veillé avec lui au point de dire : « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Charles de Foucauld n’ira-t-il pas à se comparer, en 1910, à l’olive que l’on a oubliée sur l’olivier, après la cueillette ? Et si Dieu l’avait oublié sur cette terre désertique, au fond du Sahara ? A la suite de Saint Jean de la Croix, ils ont compris que la foi est le seul moyen proportionné, adapté pour toucher Dieu. Il ajoutait : « Nous n’avons que cette vie pour vivre de foi » (St Jean de la Croix)

En même temps, ils ont fait confiance aux médiations humaines. Ils ont été fidèles à l‘église du Christ, contre vents et marées. Et Dieu a mis sur leur chemin, les témoins et les guides dont ils avaient besoin pour naviguer au grand large, en pleine tempête. Nous n’aurions pas Charles de Foucauld sans l’abbé Huvelin. Nous n’aurions pas Thérèse sans sa famille, et en particulier son père. Elle dira de ses parents qu’ils étaient plus dignes du ciel que de la terre. Enfin, ils ont été d’authentiques missionnaires car la mission est toujours un rayonnement d’amour. Ils ont été sur cette terre transfigurés par l’Amour. Thérèse écrira : « Je voudrais éclairer les âmes, parcourir la terre. Je voudrais verser mon sang pour Toi, Jésus, jusqu’à la dernière goutte ».

Mais pour se laisser posséder par l’Amour, il faut accepter sur cette terre de se laisser déposséder de soi-même, puisque l’on dit que même notre ego continue encore d’exister quelques instants après notre mort. Thérèse pourra dire : « Je ne vois pas ce que j’aurai de plus au ciel que sur la terre ; je verrai Dieu, c’est vrai. Mais pour être avec lui, j’y suis déjà, dès ici-bas ».

Peut être que ce qu’a écrit Edith Stein (devenue Sœur Thérèse Bénédicte de la croix), après avoir lu « L’histoire d’une âme » pourrait résumer ces deux itinéraires : « Je me trouve devant une vie humaine, uniquement et totalement traversée jusqu’au bout par l’Amour de Dieu. Je ne connais rien de plus grand, et c’est un peu cela que je voudrais autant que possible transporter dans ma vie et dans la vie de ceux qui m’entourent ».

La dernière place.

Ce qui est étonnant à travers ces témoins, c’est qu’ils aient été des passionnés de Dieu, des amoureux de Jésus seul. « Je ne pouvais vivre que pour Dieu seul » dira Charles de Foucauld au moment de sa conversion. Thérèse écrira une poésie « A Jésus seul » A leur manière, ils ont voulu imiter Jésus serviteur, être en compagnie de Jésus qui a pris la dernière place, au nom de tous ceux qui l’ignorent, croyant au nom de ceux qui ne peuvent croire. Charles de Foucauld ne dira-t-il pas : « Jésus a tellement pris la dernière place, que personne ne pourra la lui ravir ». Cette phrase avait sans doute été prononcée par l’Abbé Huvelin. Or, cette passion pour Jésus va le transfigurer de l’Amour Trinitaire. Jésus n’a-t-il pas dit : « C’est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruits, et vous serez alors mes disciples. Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon Amour. » (Jean 15,8-9). A Noël 1886, Thérèse dira : « Jésus avait changé mon cœur ». Elle a reçu cette force d’âme qui l’a fait comparer à la vocation d’apôtre. « En cette nuit de lumière, je sentis la charité entrer dans mon cœur. Depuis lors, je fus heureuse ». Dix ans plus tard, elle dira qu’elle se sent appelée à toutes les vocations en relisant l’hymne à la charité de Saint Paul.

A leur manière, ils ont vécu une présence silencieuse de Jésus parmi les hommes, non seulement une présence évangélique mais une présence évangélisatrice et profondément missionnaire à travers l’acte d’offrande de leur vie. Au moment où meurt Thérèse à Lisieux, le 30 septembre 1897, Charles de Foucauld est à Nazareth chez les Clarisses et il écrit une lettre au Père Jérôme qui est Trappiste. Thérèse meurt en regardant son crucifix et elle dit : « Oh, je l’aime ! Mon Dieu je vous aime ». A ce moment-là, à des milliers de kilomètres de là, Charles de Foucauld écrit : « Peines de l’âme – Souffrances du corps – Réjouissons-nous et tressaillons de joie – Jésus nous appelle, nous dit de lui dire que nous l’aimons et de le lui répéter aussi longtemps que dure notre souffrance. Il nous demande une déclaration d’amour et une déclaration durant aussi longtemps que la croix ».

Conclusion :

Au moment où nous découvrons les effets de la mondialisation, ces témoins ont vécu dans un espace restreint, à l’image de Jésus à Nazareth, à une époque donnée, avec les limites et les richesses de cette époque. En même temps, on peut parler d’une mondialisation spirituelle, en particulier pour Thérèse. Ses reliques ont parcouru les différents continents. Mais plus que de mondialisation, ces deux témoins nous parlent de communion fraternelle.

Ils ont vécu sur deux siècles qui ont vu s’affronter les grandes nations de l’Europe dans des conflits tragiques. Il faut rappeler que la France a connu trois guerres en 70 ans (1870 – 1940). Or, ces témoins englobent ce laps de temps. Nos champs de bataille sont l’illustration de ce que peuvent produire la haine et la violence. Ces témoins nous révèlent le sens du pardon, de l’amour et de la fraternité. A la place de la vengeance et de la haine, ils ont communié au mystère de la croix et vécu l’acte d’offrande de leur vie à Dieu par amour.

Alors que la culture des lumières (1789- 1989 : chute du mur de Berlin) allait pendant deux siècles vanter les mérites du progrès et de la science, de la puissance et de la force, ces témoins vont nous révéler le sens de la faiblesse et de la petitesse. Pour s’adresser au monde, ils ont fait le choix de la petite voie de Nazareth, la voie de la confiance et de l’enfance spirituelle comme l’écrira Thérèse. Ils ont compris que c’est le petit qui rassemble l’humanité et qui reflète les visages de Dieu sur notre terre. Ce siècle qui a voulu être le temps du progrès qui allait libérer l’humanité de l’obscurantisme religieux (« Ouvrons des écoles, disait Jules Ferry en 1882, et nous fermerons les prisons », reprenant une phrase de Victor Hugo ») a été aussi le siècle des Nuits et Brouillards. C’est en contemplant Dieu fait homme à Bethléem et à Nazareth, que ces témoins de la foi ont compris le véritable sens des choses. C’est l’amour qui sauve et non la force. C’est l’amour qui est rédempteur et non la puissance. Au moment où l’homme se faisait Dieu, ils ont contemplé Dieu fait homme en la personne de Jésus.

Ils ont accepté de côtoyer leurs contemporains et de croire au nom de ceux qui ne peuvent croire. Ils ont accepté de se mettre à la table des pécheurs et de vivre une authentique solidarité spirituelle au point de s’offrir en leur nom. Ils ont connu la nuit de la foi et de la souffrance. Ils ont accepté de mener ce combat spirituel contre les forces du mal au point d’en être touchés dans leur être le plus profond. Ils ne sont pas venus pour juger l’histoire mais pour la sauver de son insignifiance. Charles de Foucauld écrira que Dieu se sert des vents contraires pour conduire sa barque au port. L’histoire humaine s’écrit toujours du côté des puissants quand elle s’écrit de manière humaine. Dieu écrit l’histoire du côté des petits, des insignifiants. Thérèse et Charles ont su donner sens à l’infiniment petit, au quotidien le plus banal alors que les hommes découvraient la force nucléaire. Seulement, ce n’est pas l’atome qui sauve le monde, c’est l’amour. Ces témoins, au fond, nous révèlent la force atomique de l’Amour avec un grand A.

Alors que l’humanité entrait dans l’ère du soupçon, ils nous invitent à entrer dans l’ère de la confiance. Dieu répond toujours à la mesure de nos actes de foi. Finalement, ils ont éclairé de leur intuition l’aube du nouveau millénaire. C’est à ce titre qu’ils sont les sentinelles du nouveau millénaire. Ils nous invitent tout simplement à mettre nos pas dans les leurs et à devenir des hommes et des femmes de foi dans ce XXIème siècle naissant.

+ Jean Claude Boulanger

Evêque de Bayeux-Lisieux