Des prêtres prophétiques, Jacques GAILLOT

Aurelio, notre responsable international, est venu me rencontrer à Paris de façon très fraternelle. Il m’a demandé de partager ce que j’aimerais dire aux prêtres des fraternités. Partager avec vous sur ce qui fait votre ministère et votre vie.

Mais parler des prêtres, c’est parler de l’Homme, de ceux auxquels nous sommes envoyés. Ne sommes-nous pas au service d’un peuple?

Un soir, prenant le métro à une heure de pointe, je me trouvais debout, serré de toute part et dans l’impossibilité de trouver un point d’appui avec ma main. Selon les secousses du métro, je me reposais sur les uns et sur les autres. Quelqu’un m’avait identifié et souriait de ma situation précaire. Comme nous sommes descendus à la même station, je n’ai pas pu m’empêcher de lui dire: « Voyez, ce qui fait tenir debout un évêque, ce sont les gens ! »

1- Partir de l’humain

gaillot-01A la suite du P. de Foucauld, nous sommes marqués par la spiritualité de Nazareth : un style de vie simple, pauvre, mêlés à la vie ordinaire des gens. Jésus, l’homme de Nazareth, a vécu quantité d’expériences par son travail, les injustices de son époque, ses liens tissés avec les pauvres, sa présence aux familles, partageant leurs joies et leurs peines, sa prière à son Père dans la solitude. Son cœur, façonné par toutes ces rencontres, brûlait du feu de son amour pour son peuple.Ce lent mûrissement le préparait à sa mission prophétique qu’il inaugurera de façon étonnante à la synagogue de Nazareth.

Son heure était venue.

« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur.» Lc 4,18-19

Toute la vie publique de Jésus sera la mise en œuvre de cette prédication de Nazareth.

Ce n’est pas un discours religieux qui parle de la loi : C’est un discours qui ne parle que de l’être humain.

Ce n’est pas un discours sur Dieu, c’est un discours sur l’Homme.

Ce n’est pas un discours de restauration, c’est un grand message de libération qui change la vie.

Quel discours stupéfiant !

La spiritualité de Nazareth ne peut faire l’impasse d’une telle proclamation.

C’est elle qui insuffle une dimension prophétique à notre ministère et à notre vie de prêtre.

Il m’arrive, comme à vous, d’entendre des gens me dire: « Je ne pratique plus » ou « Il y a longtemps que j’ai arrêté de pratiquer! ».

Pour ces personnes, il est évident qu’il s’agit de la pratique religieuse. Mais la pratique fondamentale de l’Évangile, c’est celle de la justice et de l’amour qui sont dus au prochain. Ce n’est pas la pratique religieuse !

Au jugement dernier, on ne me demandera pas combien j’ai célébré de messes ou béni de mariages. On me dira « Qu’as-tu fait de ton frère qui était étranger, prisonnier, malade, affamé…»

gaillot-02L’essentiel est la pratique du frère, la pratique de la solidarité. Personne n’en est dispensé, même lorsqu’on est en retraite. Comment se fait-il que tant de chrétiens n’ont pas découvert l’importance de cette pratique de la justice et de l’amour qui sont dus au prochain ?

Dans la synagogue de Nazareth, Jésus annonce qu’il est venu apporter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il ne dit pas aux riches, aux puissants,…

Il fait le choix des pauvres. Il commence par eux.Il se place du côté des opprimés et non des oppresseurs. Du côté des victimes et non des puissants. Du côté des humiliés et non du côté de ceux qui les exploitent.

Jésus s’est porté d’emblée vers les rejetés, les oubliés. En faisant ce choix de commencer par les pauvres, il s’ouvre à tous. Il ne rejette personne.

Comme il est rare, dans la société comme dans notre Église de faire le choix de commencer par les pauvres !

Je me réjouis que le pape François ait décidé de canoniser Mgr Romero qui est une figure prophétique du combat pour la justice.

« Les changements nécessaires au sein de l’Église, dans sa pastorale, l’éducation, la vie sacerdotale et religieuse, dans les mouvements laïcs, que nous n’avions pu réaliser tant que notre regard était uniquement fixé sur l’Église, nous les réalisons maintenant que nous nous tournons vers les pauvres. »

« C’est à partir des pauvres que l’Église pourra exister pour tous, qu’elle pourra rendre service aux puissants à travers une pastorale de conversion; mais pas l’inverse,comme c’est arrivé tant de fois. »
Discours à l’université de Louvain pour la réception du titre de docteur honoris causa: 2 février 1980

« …Il n’y a aucun honneur pour l’Église à entretenir de bonnes relations avec les puissants. L’honneur de l’Église, c’est que les pauvres la sentent à eux. »
Salvador, homélie du 17 février 1980

2- Etre une espérance pour les pauvres

Une parole de don Helder Camara m’avait frappé autrefois : « Si je ne suis pas une espérance pour les pauvres , je ne serai pas le prêtre de Jésus-Christ. »

Léon Schwartzenberg, cancérologue renommé, a milité pendant sa retraite, à l’association des sans papiers dont je fais partie.C’était un ami. Juif athée, il m’appelait : « Mon évêque préféré ».

A sa mort, on le conduisit au cimetière de Montparnasse à Paris, dans le quartier juif. La foule des pauvres était au rendez-vous, envahissant le cimetière. Des sans papiers, des mal logés, étaient venus, souvent de loin, pour «Léon» qui avait tant fait pour eux et qui demeurait pour eux un signe d’espérance.

Quand Victor Hugo, l’auteur célèbre des Misérables est mort, la foule des pauvres s’est aussitôt dressée dans tout Paris par dizaines de milliers pour l’ accompagner jusqu’en sa dernière demeure : le Panthéon.

Il n’avait pas voulu de la prière de l’Église, mais, dans le corbillard des pauvres qu’il avait demandé, il bénéficiait de la reconnaissance des « misérables » de Paris

Aujourd’hui, là où je vis, qui porte l’espérance des pauvres ?

A mon départ d’Évreux en 1995, dans un dernier sermon à la cathédrale, je m’adressais à la foule :

« Tout chrétien, toute communauté, toute Église qui ne prend pas d’abord, et avant tout, le chemin de la détresse des hommes n’a aucune chance d’être entendu comme porteur d’une Bonne Nouvelle.

Tout homme, toute communauté, toute Église qui ne se fait pas d’abord, et avant tout, fraternel avec tout homme, ne pourra pas trouver le chemin de son cœur, l’endroit secret où peut être accueillie cette Bonne Nouvelle. »

Jésus a été une grande espérance pour les pauvres. Il est allé vers eux avec miséricorde, n’excluant personne. Les pauvres se sont sentis aimés de Dieu. Les plus déshérités ont découvert avec émerveillement qu’ils étaient les préférés de Dieu.

Dans l’Évangile, la seule attitude qui puisse libérer quelqu’un, c’est de reconnaître sa dignité.

3- Dépasser les frontières :

Avez-vous remarqué cette contagion des murs dans le monde ? On en construit un peu partout. Des murs qui séparent les peuples et les empêchent de circuler. Des murs de barbelés pour se protéger de la venue des migrants. A l’association des sans papiers, où les nationalités sont nombreuses, nous avons pour devise : « Pas de murs entre les peuples, pas de peuples entre les murs. »

gaillot-03Je n’aime pas les murs. Quand je vais dans les prisons, je suis heureux d’en sortir pour quitter ces murs qui me privent de tout horizon !

Jésus a passé sa vie à faire tomber des murs : le mur de l’argent, le mur des préjugés et de la méfiance,le mur de l’indifférence, le mur de l’oubli. Et surtout, par sa mort sur la croix, il a fait tomber le mur de la haine qui nous séparait les uns des autres.

J’apprécie que Jésus soit né hors les murs, et qu’il soit mort hors les murs.

Pour voir la lumière du soleil de Pâques, il faut sortir des murs.

Dépasser les frontières « en nous-mêmes » est difficile. Quelle conversion à faire! Mais n’est-ce pas nécessaire pour devenir un frère universel ?

On peut aller en mission au bout du monde en portant en soi un modèle culturel ancien et inadapté !

Nous appartenons en Europe à des sociétés qui ne sont plus marquées par les valeurs chrétiennes traditionnelles. Pourquoi vouloir imposer à tous des valeurs qui ne sont applicables que pour un groupe déterminé de personnes?

A vin nouveau, outres neuves.

Quand, en France, on a autorisé le mariage entre personnes de même sexe, quel tollé ! Y compris chez des prêtres. Dans cette reconnaissance publique des couples homosexuels, il ne s’agissait plus de tolérance mais du droit.C’est un changement culturel considérable.

Aujourd’hui, avec la mondialisation, les religions se sont toutes invitées dans les grandes villes. Elles sont présentent dans les écoles, les hôpitaux, les prisons, les lieux de travail…Un aumônier de prison me confie :

« Pendant trente ans, j’étais le seul aumônier. Tout allait bien. Maintenant il y a un rabin, un imam, un pasteur et un évangéliste avec qui je m’entendais pas. Il était temps que la retraite arrive! »

Cela m’évoque un proverbe africain :

« Quand on est seul, on va plus vite, quand on est ensemble, on va plus loin ! »

Comment devenir un frère universel sans accepter de recevoir des autres ?

gaillot-04Et si l’on touchait au statut social des prêtres ? J’habite un pays où les prêtres se font rares et où les communautés chrétiennes se montrent appelantes.

Je ne peux m’empêcher de faire un rêve, le rêve qu’on puisse appeler des hommes ou des femmes d’expérience, mariés ou pas, ayant un travail, une profession. Et cela pour un temps donné. Avec l’accord des communautés et de l’évêque, on leur imposerait les mains.

Il ne s’agirait plus d’attendre que des candidats se présentent, mais de prendre l’initiative de l’appel en fonction des besoins de l’Église locale.

On peut se demander d’ailleurs : ceux qui se présentent aujourd’hui dans les séminaires seront-il les prêtres dont l’Église aura besoin demain?

Le Père de Foucauld était sensible aux événements. Les événements le faisaient bouger. Homme en chemin et en recherche,il était capable de partir ailleurs et de vivre autrement. Il ne s’installait jamais. Pour lui,l’installation était une mort. A cause de Jésus et l’Évangile il se disait prêt à aller jusqu’au bout.

Nous avons basculé dans un monde nouveau. Nous sommes témoins de la fin d’un monde. Témoins aussi de la naissance d’un autre monde dont on ne sait pas encore ce qu’il sera. Notre marche dévoile de nouveaux horizons et ouvre à la nouveauté.

En France, quand nous venons fidèlement chaque mois en fraternité, il est touchant de nous voir arriver chargés d’années, handicapés, fatigués….

gaillot-05On nous croit déjà morts. Mais ceux qui le disent ont oublié que nous étions des semences. Des semences de vie !

Demain est à faire.

+ Jacques GAILLOT,
Évêque de Partenia

PDF: Des prêtres prophétiques, Jacques GAILLOT, fr

Lettre de Grégoire CADOR, Cameroun, Avril 2016

P. Grégoire CADOR

Tokombéré, le 02 Avril 2016

Aux amis
du diocèse de Maroua-Mokolo
et de Tokombéré

Chers amis,

C’est en communion avec vous tous que je rédige cette lettre alors qu’aujourd’hui même, à Paris, les associations partenaires et de nombreux amis sont réunies autour de Christian, de Jacques Birguel et de Timakoche actuellement en stage à l’hôpital Robert Debré.

C’est une bonne chose que cette rencontre ait pu finalement se mettre en place après l’épreuve du 13 novembre dernier. La vie continue, ici et là-bas, et c’est bien ainsi.

Par où reprendre les nouvelles depuis plus de trois mois ?

Parlons sécurité puisque cette problématique et dans toute les têtes. Nous avons bien sûr été touchés par les évènements de Bruxelles mais aussi ceux de Lahore au Pakistan…

La folie terroriste se répand comme une tâche poisseuse à travers le monde… Nous aussi avons continué à essuyer de nombreuses attaques depuis ma dernière lettre du 22 décembre… J’ai recensé dans notre région (c’est un chiffre minimum puisque beaucoup de choses se passent sans que nous ne soyons informés) plus de 17 opérations kamikaze dont deux ont fait chacune une trentaine de morts et plus d’une centaine de blessés, 6 explosions de mines sur des routes proches de la frontière (l’une d’entre elle a coûté la vie à un colonel ami) au moins 6 repérages d’infiltrations de BH dans les camps de réfugiés, un grosse vingtaine d’incursions de bandes armées pour des opérations de pillage se soldant par la mort violente de nombreux civils et la perte de troupeaux et de biens de première nécessité… Certains disent que les Boko Haram sont affaiblis. C’est peut-être vrai militairement mais leur volonté de nuire reste intacte ainsi que leur détermination.

Ce qui m’inquiète le plus c’est que cette gangrène qui se répand fait le lit, à travers le monde, de tous ceux qui ne savent lire les signes des temps que de manière binaire et placent le camp des bons d’un côté et celui des méchants de l’autre… On commence même à voir (ou revoir) sur Internet de faux reportages avec des photos truquées ou prises ailleurs, pour montrer la férocité des BH contre les chrétiens… Les gens qui alimentent ce genre de rumeurs sont des assassins au même titre que les BH et, sans le vouloir (ce qui reste à prouver), ils font leur jeu en entretenant la haine et la division…

La réponse chrétienne à la haine, nous venons encore d’en célébrer la source au cours du Triduum pascal, c’est l’amour sans réserve, sans retenue, sans arrière-pensée. Nous devons, à temps et à contretemps, semer l’amour au milieu de la haine… Le bon grain et l’ivraie poussent ensemble et le Christ affirme, ô combien cette phrase est difficile à entendre : « laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ! » (Mt 13,30).

Tous les Etats et toutes les Puissances (grandes ou petites) qui, tout au long de l’histoire, se sont érigés en moissonneur ou en donneur de leçons universels, se sont pris les pieds, à plus ou moins brève échéance, dans leur propre logique, bien souvent au prix de complicité avec le mensonge…

Chrétiens, nous sommes les témoins d’un amour absolu. Il nous faut pour cela accepter de prendre en pleine face les outrages et les crachats et n’y opposer que la miséricorde qui seule fait renaître à la vie…

Même les grands prêtres n’y comprennent rien et impatients de résultats à leur mesure, ils se vautrent dans les sarcasmes démagogiques : « Il en a sauvé d’autres, et il ne peut pas se sauver lui-même ! Il est roi d’Israël : qu’il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui ! Il a mis sa confiance en Dieu. Que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime ! » (Mt 27, 42-43). Bienheureux grands-prêtres pour lesquels le Christ a prié : « pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23,34).

J’ai trouvé récemment sous la plume de Rémi Brague cette très belle affirmation : « Il ne s’agit pas de mourir pour Dieu, mais de mourir avec lui. » Et je voudrais la dédier à tous les impatients qui sont prêts à mettre la main à l’épée comme le pauvre Pierre qui n’a, encore une fois, rien compris et qui s’est réveillé un peu brutalement ! Cette impuissance apparente de l’amour crucifié est la source d’où coule la vie nouvelle.

Je n’y peux rien. St Paul lui-même le dit : « Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. » (1 Cor 1, 22-24). C’est la mission des chrétiens dans le monde. Personne n’est obligé de se dire chrétien, mais celui qui le fait ne peut pas réduire à néant ou contourner cette pierre angulaire de notre foi.

Devant cette profusion de violence perpétrée au nom de Dieu, certains se demandent comme ils le font devant le Christ au jardin des oliviers « et Dieu, où est-il ?». Là aussi Rémi Brague m’aide à comprendre : « Devant le silence de Dieu au jardin de Gethsémani Jésus n’a pas obtenu de réponse parce qu’il est lui-même la réponse.»

Baptisés, nous sommes devenus « corps du Christ », c’est donc qu’à notre tour nous sommes la réponse de Dieu pour la violence d’aujourd’hui. Alors je redonne encore une fois la parole à Fabrice Hadjadj : « La foi en Dieu implique la foi en l’aubaine d’être né dans un tel siècle et au milieu d’une telle perdition. Elle commande une espérance qui dépasse toute nostalgie et toute utopie. Nous sommes là, c’est donc que le Créateur nous veut là. Nous sommes en un temps de misère, c’est donc le temps béni pour la miséricorde. Il faut tenir notre poste et être certains que nous ne pouvions pas mieux tomber.« 

J’ai la chance de constater que beaucoup de gens ici au Nord-Cameroun, ont compris au moins implicitement cette noble vocation et la vivent sans faire de bruit… Ils sont cette moisson qui lèvent dont parlait le cardinal Marty et qui fait moins de bruit que tous les murs qui s’écroulent…

Après avoir vécu de très belles fêtes de Noël et une magnifique fête de l’Epiphanie à Kayamgali toute petite communauté de la périphérie de Tokombéré qui accueillait l’ensemble des chrétiens de la paroisse pour fêter le Noël des Nations, nous avons eu un premier trimestre très chargé en activités diverses…

Il faudrait parler des sessions de formation d’une semaine qui ont rassemblé une quarantaine de nos catéchistes avec ceux des autres paroisses de la zone, des sessions de trois jours pour la promotion féminine dans les secteurs Plateau et Mouyang en attendant celle du secteur Mada dans 10 jours ; il faudrait évoquer aussi la relance du Conseil de Gestion Paroissial et la belle assemblée du Gamtok (Groupement des agriculteurs modernes de Tokombéré) qui a réuni plus de 250 paysans, des rencontres du Secrétariat Général du Projet de Promotion Humaine, des journées sanitaires qui ont réuni 800 personnes engagées d’une manière ou d’une autre dans les questions de santé, sans oublier la belle rencontre avec une centaine de jeunes de la zone au cours des congés de Pâques, la célébration des 50 ans de présence de notre évêque émérite arrivé de Belgique en 1965, et la visite de notre évêque Bruno au Collège et auprès des jeunes de Tokombéré…

On peut résumer l’importance de telles rencontres en tout genre, en rappelant avec Paul VI « qu’une paix qui n’est pas le fruit du développement intégral de tous n’aura pas d’avenir et sera toujours semence de nouveaux conflits et de diverses formes de violence. » (Evangelii Gaudium, n° 219) C’est dans ces domaines que nous devons travailler à semer l’amour, sans nous décourager…

Je voudrais toutefois retenir un « évènement » plus marquant au niveau local et deux au niveau plus large de la zone ou du diocèse.

Au niveau paroissial je voudrais évoquer le temps du Carême et la Semaine Sainte qui ont été très « fréquentés » si je peux me permettre l’expression. Le dimanche des Rameaux c’est une foule intense et recueillie qui a suivi la procession et la lecture de la passion. Cà a été aussi l’occasion pour nous d’accueillir et de présenter à la communauté les enfants nés dans l’année qui ne sont pas baptisés parce que leurs parents ne sont pas encore engagés dans le mariage… Jeudi soir beaucoup de gens sont venus vivre la dernière cène de Jésus avec le « sacrement du service » et l’institution de l’eucharistie. Une dizaine de premières communions ont émaillé cette belle célébration (c’est toujours émouvant de voir les yeux des enfants « se mettre en plein phares » quand on leur présente le corps du Christ !) Vendredi matin à la colline Baba Simon, nous étions plus de 500 personnes à monter en méditant derrière la Croix (une lourde croix de bois portée à tour de rôle par des volontaires.) Six étapes ponctuaient cette marche au cours desquelles chacun des six secteurs a pu nous aider à méditer en partant de l’Evangile et de paroles du Pape François sur la miséricorde. Puis ce fut la magnifique célébration de vendredi après-midi : Passion mise en scène par les jeunes de manière très vivante, suivie du « deuil de Jésus » (des chrétiens chevronnés disant devant la communauté, comme on le fait dans les deuils traditionnels, ce qu’ils veulent retenir de la vie de Jésus) ; puis le long cortège d’adoration de la Croix deux par deux sur fond de guitare traditionnelle et de chants de deuil pour finir par la communion en silence. Nous étions là aussi plus de 500 réunis de 14H30 à 17H30… Très intense et édifiant.

Très belle veillée pascale aussi. Nous avons plus de monde chaque année, notamment des adultes qui avaient un peu perdu l’habitude d’y participer. C’est un bon signe. Dimanche de Pâques nous avons célébré dans une grande liesse 65 baptêmes de jeunes et d’adultes. Ils seront suivis de 25 autres les dimanches suivants à l’occasion de 8 mariages de chrétiens qui veulent régulariser leur situation et mettre vraiment le Christ au cœur de leur foyer… Peu à peu la communauté se fortifie dans la foi… Elle en a grand besoin.

Pour sortir peu à peu d’une habitude d’assistanat, nous avions proposé avec l’équipe d’Animation Pastorale d’insister au cours de ce Carême sur la mise en place de la Caritas (Caisse d’entraide pour les plus pauvres, alimentée par les chrétiens). Il s’agissait au cours des quarante jours qui nous préparent à Pâques d’inviter les chrétiens à savoir se priver de tel ou tel plaisir ou besoin (alcool, nourriture, vêtements,…) en pensant aux plus démunis, de mettre réellement de côté l’argent qui aurait été dépensé pour cela, d’en faire l’offrande à la caisse Caritas, gérée par un groupe de chrétiens, qui cherche à répondre aux multiples besoins des pauvres. Les chrétiens ont répondu généreusement et cela est encourageant pour l’avenir.

Au niveau de la zone nous avons vécu une magnifique rencontre interreligieuse avec les musulmans de Mora. Nous avions mis sur pied cette rencontre de concert avec le Sultan de Mora qui est la plus haute autorité musulmane de la région. Je vous mets en pièce jointe l’article paru dans le journal diocésain.

Au niveau diocésain nous avons vécu un magnifique pèlerinage de la miséricorde qui a rassemblé 3.000 pèlerins (sous haute surveillance militaire !) 350 venaient de notre zone dont 128 de Tokombéré. Nous venions de tout le diocèse pour nous retrouver à Maroua où l’évêque a ouvert une porte de la miséricorde dans la première église construite dans le diocèse en 1947. Le calme et le recueillement inhabituel dans ce genre de rassemblement ont impressionné tout le monde.

L’évêque, touché par l’évènement et conscient de l’importance pour nos chrétiens confrontés à tant de souffrance, a décidé dans la foulée l’ouverture de deux autres portes de la miséricorde. L’une à la co-cathédrale de Mokolo et l’autre à l’Eglise de… Tokombéré ! Pour tous les gens du Mayo-Sava.

Nos communautés ont accueilli cette nouvelle comme un appel de Dieu à vivre plus en profondeur la dimension de la miséricorde au cœur de notre vie. C’est pourquoi notre vicaire général viendra inaugurer cette porte samedi prochain 09 avril à l’occasion d’un pèlerinage paroissial cette fois-ci. Au cours de l’année nous aurons aussi d’autres démarches, en communion avec les autres paroisses de la zone, en direction du monde enseignant, du monde de la santé, des catéchistes, des femmes catholiques ou de charité, etc…

Ceux qui connaissent bien Tokombéré se rappelleront que cette porte de l’Eglise de Baba Simon à une histoire. Il suffit de lire cet extrait d’un article paru dans la revue missionnaire Pôle et Tropiques en 1977 :

« Personne n’a oublié, dans le nord, le terrible malheur du 11 Mars 1973 : ces 11 enfants morts brûlés dans l’accident du car qui les ramenait chez eux en vacan­ces. Parmi eux, un collégien de Baba Simon, de la race des Mouyangs. Les parents, les gens du village descendent de la mon­tagne. Ils accusent le prêtre de cette mort. N’est‑ce pas lui qui a envoyé cet enfant si loin à N’Gaoundéré, pour étudier ? La mission est cernée une porte et deux fenêtres sont brisées. Et, dans l’église, pour défier le Dieu des chrétiens, un guerrier lance sa sagaie vers le ciel. Elle reste fichée dans le plafond. Quelques jours après, les anciens, calmés, reviennent pour faire la paix. Le Père les accueille. Les dégâts matériels, ce n’est rien: les por­tes, les fenêtres, on les refera. Mais… Et il les amène à l’église pour leur montrer la sagaie plan­tée dans le plafond. «Dites donc, l’offense faite à Dieu ? Comment réparer ça ? Moi, je ne sais pas. Vos anciens, vos sages, ils sa­vent, eux. Remontez au village et voyez entre vous. » Quelques jours plus tard, les anciens et les familles reviennent. Ils ont amené un mouton et ils l’immolent devant l’église : sacrifice de réparation.

Et, à la catéchèse suivante, Baba Simon eut la surprise de voir tout un groupe d’hommes, descendus pour la première fois écouter la Parole de Dieu. Le respect pour leurs traditions et leur vie religieuse avait plus fait pour les rapprocher de la mis­sion que tous les efforts précé­dents. »

Je vois d’ici le sourire de Baba Simon qui voit la porte de son église devenir « Porte de la Miséricorde » à l’occasion du jubilé 2016…

Nous sommes ensemble !

Au hasard de mes lectures : « Dieu nous fait confiance et nous montre ainsi sa patience. Peut-être que ce sont justement ces deux qualités divines qui sont nécessaires à ce que nous devenions humainement miséricordieux vis-à-vis de nos prochains, c’est-à-dire de celles et de ceux de qui nous nous faisons proches. Confiance et patience sont les qualités premières requises de tout être miséricordieux. Dans les premières années de notre vie, nous avions confiance, puis, au fil du temps, celle-ci a parfois été trahie, abîmée, bousculée. Nous avons appris à nous méfier les uns des autres. Arrivés à l’âge adulte, nous pouvons à nouveau choisir de faire confiance ; cette dernière est devenue le fruit de notre volonté. Nous la décidons. Nous la risquons. Oser à nouveau cette confiance en l’être humain, voilà ce à quoi la miséricorde nous convie. En effet, si Dieu nous a fait confiance, n’est-ce pas la moindre des choses de faire de même ? » (Philippe Cochinaux, Que penser de la miséricorde, Fidélité, Namur-aris, 2015, p. 6)

PDF: Lettre de Grégoire CADOR, Cameroun, Avril 2016

Lettre de Pâque 2016, frère responsable

Chers frères,

pascua-2016-01notre Pâque, marquée par les événements terroristes à Bruxelles, au Yémen, en Irak et dernièrement à Lahore, ne doit pas se réduire à un ensemble de tristes nouvelles, de sentiment d’impuissance ou de peurs accumulées. C’est la Pâque que Jésus nous offre en triomphant de la mort, et ainsi c’est un appel à vaincre toutes les morts tant personnelles que sociales. Mais, sans fermer les yeux sur la réalité, enlevons les chapes de plomb de la peur, le manque de foi, l’auto compassion, les préjugés face à l’Islam ou aux musulmans de bonne foi que tous nous connaissons.

Quittons toutes ces lourdeurs qui nous retiennent, nous ou les autres. Regardons Jésus ressuscité d’un regard qui n’est pas sans peurs comme celui des femmes qui vont au tombeau et comme celui des disciples eux-mêmes ; peur humaine et très compréhensible. Ils ont du mal à accepter que la situation a changé, mais l’Esprit les pousse à regarder Jésus avec la joie d’un ami qui en rencontre un autre. Heureuses Pâques à tous, à tous les gens qui vous entourent, à tous les amis qui ont des difficultés, à toutes les familles et fraternités. Le frère Charles a écrit le jour même de sa Pâque : « Il faut mourir pour donner la vie ».

Son centenaire est un appel permanent à relever ceux qui pensent que leur vie n’a pas de sens, ou qui vivent simplement pour l’argent ou la sécurité, qui restent bien tranquilles pascua-2016-02parce qu’ils ne sont pas touchés par la douleur des autres. Que Jésus ressuscité nous aide à changer l’eau amère en un bon vin qui réjouit nos fêtes et la vie quotidienne, une vie de Nazareth.

Notre frère Giuseppe COLAVERO a vécu hier dans la soirée sa Pâque et sa rencontre avec le Père. Nous sommes tristes pour la perte de ce frère aimé, combattant pour les pauvres, le fondateur et la cheville ouvrière de AGIMI, le bon pasteur de son peuple. Nous nous unissons à ses amis et à la fraternité italienne. Depuis pascua-2016-03plusieurs mois nous avons suivi l’évolution de sa maladie cérébrale qui a terrassée son corps mais pas son esprit généreux et actif en faveur de tant de gens qu’il a aidé. Également, il y a quelques semaines, nous a quitté notre frère Hermann STEINERT, d’Allemagne. Les deux sont maintenant auprès du Seigneur, contemplant son visage et son cœur de Père. Hermann et Giuseppe nous protègent et nous aident. Leur fraternité avec nous n’est pas terminée.

Je vous invite à vivre cette Pâque avec la joie de ceux qui sont pardonnés, celle des enfants aimés du Père, de celui qui apprend du grand frère, le Seigneur Jésus. avec la joie à laquelle nous invite le Pape François. En Europe nous nous pascua-2016-04sentons blessés mais non pas vaincus ; honteux pour le drame des réfugiés syriens qui ne trouvent pas une porte ouverte, comme être humain avec tous leurs droits. Comment intégrer ces réalités douloureuses dans notre annonce et notre mission ? Les gouvernements européens donnent des millions d’euros pour laisser à d’autres le soin de ces gens là : Les pauvres sont agressifs, remplissent les rues,les salissent, plantent leur tente au milieu de nous, se bagarrent entre eux, et tombent aux mains des mafias qui contrôlent leur futur ….

pascua-2016-05Que disons-nous comme chrétiens, comme pasteurs dans nos paroisses ? Qui a vraiment la parole juste pour créer de l’espérance sans tomber dans l’utopie, sans trahir l’ évangile ? Je vous invite à contempler tout cela dans l’adoration face à Jésus qui fut un émigré, qui dût fuir avec sa famille, qui fût aussi un réfugié, et avant sa mort un prisonnier. Contemplons comment dans cette Pâque nous pouvons rester indifférent : notre silence serait une complicité avec l’injustice. Charles de FOUCAULD à partir de son amitié avec Jésus (l’Abandonné sur la croix, celui qui nous recherche au bord du lac, celui qui vit dans la baraque du plus pauvre, dans le campement des réfugiés, ou derrière les barbelés des frontières ou devant le panneau « interdit de passer ou  réservé aux adhérents ») nous met face à Jésus le Ressuscité, grain qui tombe en terre et porte beaucoup de fruits.

pascua-2016-06Je vous écris cette lettre alors que j’accompagne une malade dans un hôpital. Tout me parle d’humanité et de Jésus ; dans le sourire et le regard de tant de gens, dans le visage préoccupé d’autres personnes, dans le silence de celui qui cache sa douleur ou de celui qui dort. Je vous partage ce moment contemplatif comme une Pâque joyeuse plus forte que les pleurs, une Pâque de valeurs humaines et chrétiennes, une Pâque festive qui éveille les sourires et l’idée qu’un autre monde est possible, que chacun est mon frère ou ma sœur et que rien ne fera taire les amis de Jésus qui l’acclament comme Seigneur et Compagnon de marche .

Un grand «abrazo» de Pâque dans la joie d’être votre petit frère,

pascua-2016-07Aurelio SANZ BAEZA, frère responsable

Hôpital Rafael Méndez, Lorca, Murcia, Espagne,
29 Mars 2016, Mardi de Pâque
(Merci, cher Jean-Louis, par la traduction française)

 

 

 

 

PDF: Lettre de Pâque 2016, frère responsable