Grégoire CADOR : Lettre aux amis

P. Grégoire CADOR
Solesmes, le 18 juin 2017

Aux amis… de partout !

Chers amis,

Voilà un an je vous écrivais pour vous annoncer que notre évêque de Maroua nous demandait à Christian et moi de revenir en France pour un an pour raisons de sécurité en attendant des jours meilleurs. Je vous demandais alors de nous « porter » ainsi que les communautés de Tokombéré dans la prière et la communion.

Je vous écris aujourd’hui pour vous remercier tous et chacun pour les nombreux signes de gentillesse et de compassion que vous avez su exprimer chacun à sa manière.

J’ai passé une année un peu bizarre. Non pas vraiment « sabbatique », mais en tout cas « sympathique » grâce à l’accueil fraternel de l’évêque du Mans, à l’amitié de mes confrères de la Sarthe, de ma famille bien sûr et du bon réseau d’amis que vous êtes…

Merci à tous ceux qui ont su accompagner, parfois même sans s’en rendre compte, cette épreuve au sens premier du terme. Temps de vérification et d’approfondissement de ma vocation de chrétien et de prêtre.

Je vous passe aussi les étapes médicales qui ont jalonné ces derniers mois et permis de « refaire le bonhomme » même si on ne fait pas du neuf avec du vieux !!!

J’attendais pour reprendre les « circulaires » espérant que l’année d’exil imposé permettrait de clarifier la situation.

De fait, c’est le cas, même si ce qui arrive n’est pas du tout ce que l’on espérait à vue humaine…

Il y a un mois, après une année passée sans nous donner de véritables nouvelles, notre évêque du Cameroun nous a informés, de manière très administrative, que notre retour à Tokombéré n’était pas opportun.

Grâce à la sollicitude Mgr Le Saux, évêque du Mans, je me retrouve désormais missionnaire en Sarthe, même si comme vous vous en doutez bien une grande partie de mon cœur est encore à Tokombéré.

L’évêque me confie d’accompagner les communautés chrétiennes d’Allonnes et d’Arnage, deux paroisses situées en périphéries du Mans ainsi que le service diocésain des migrants tout en participant à l’équipe d’organisation du Synode diocésain.

Je ne peux vous en dire plus pour l’instant étant donné qu’il s’agit de décisions très récentes. Je ne voudrais toutefois pas perdre de temps à confier cette nouvelle mission à votre prière, je sais trop ce que qu’elle m’a apporté dans mon ministère au Cameroun pour ne pas continuer d’y puiser l’inspiration qui me permettra de vivre ce que le bon Dieu me donnera de vivre dans cette nouvelle étape de ma vie. Je vous confie celles et ceux avec lesquels il me sera donné de porter la mission et d’accueillir la vie dans ce coin du monde.

Je vous mets en pièce jointe la lettre que nous avons rédigée avec le P. Christian à l’attention des amis du Cameroun et de France pour les informer de notre situation. Merci de continuer à soutenir les communautés de Tokombéré qui vivent, elles aussi une étape importante de leur histoire.

Nous sommes ensemble !

 

 

 

Pour ne pas perdre les bonnes habitudes, quelques citations glanées dans mes lectures récentes l’année :

Oscar Romero : (Extraits de Roberto Morozzo della Rocca, Mgr Oscar Romero, DDB, Paris, 2015)

« L’Eglise n’a aucun intérêt. Je n’ai aucune ambition de pouvoir et c’est donc en toute liberté que je peux dire au pouvoir ce qui est bien et ce qui est mal. Et ainsi, je dis à n’importe quel groupe politique tout ce qui est bien et tout ce qui est mal. C’est mon devoir. Et avec cette liberté du royaume de Dieu […]… nous devrions nous unir, nous ne devrions pas nous diviser, nous ne devrions pas nous montrer dispersés et souvent complexés face aux organisations politiques populaires, au point de vouloir les apprécier plus que le royaume de Dieu et que ses desseins éternels. Nous n’avons rien à mendier à personne, car nous avons beaucoup à donner à tous. Cela n’est pas de la prétention, mais l’humilité reconnaissante de celui qui a reçu de Dieu une révélation à transmettre aux autres. » (Homélie de Mgr Oscar Romero, 23 mars 1980, veille de son assassinat). (pp. 385-386)

« Tout le monde n’aura pas, nous dit le Concile Vatican II, l’honneur de donner physiquement son sang, d’être assassiné pour la foi. Cependant, Dieu demande un esprit de martyre à tous ceux qui croient en lui. Ainsi, nous devons tous être disposés à mourir pour notre foi, même si le Seigneur ne nous concède pas cet honneur. Oui, nous sommes disponibles, afin que, quand arrivera notre heure de rendre compte, nous puissions dire : « Seigneur, je suis disposé à donner ma vie pour toi. Et je l’ai donnée. » Car donner sa vie ne signifie pas seulement être tué ; donner sa vie, avoir l’esprit de martyre, c’est donner dans le devoir, dans le silence, dans la prière, dans l’accomplissement honnête de sa charge ; c’est donner sa vie peu à peu, dans le silence de la vie quotidienne, comme la donne la mère qui, sans crainte, avec la simplicité du martyre maternel, met au monde, allaite, fait grandir et soigne son enfant avec affection.» (Homélie de Mgr Oscar Romero, 15 mai 1977). (p. 398).

« L’unique violence admise par l’Evangile est celle qui est exercée contre soi-même. Quand le Christ se laisse mettre à mort, voilà la violence : se laisser tuer. La violence envers soi est plus efficace que la violence exercée contre les autres. Il est très facile de tuer, surtout quand on a des armes, par contre, qu’il est difficile de se laisser tuer par amour ! » (Homélie de Mgr Oscar Romero, 12 août 1979). (p. 164).

« Personne ne possède la vérité, à part Dieu. Celui qui veut marcher dans la vérité doit être humble et chercher la vérité avec les autres. On ne va pas discuter pour imposer notre façon de penser. On va discuter pour trouver la réponse de l’autre, celle qui nous manque, c’est une recherche. […] Cela en vaut la peine, surtout quand ce que l’on recherche est aussi important que le bien du pays. » (Homélie de Mgr Oscar Romero, 06 janvier 1980). (p. 231).

St Jean Chrysostome : Homélie avant son départ en exil en 401 (Office des lectures du 13 septembre).

Les vagues sont violentes, la houle est terrible, mais nous ne craignons pas d’être engloutis par la mer, car nous sommes debout sur le roc. Que la mer soit furieuse, elle ne peut briser ce roc ; que les flots se soulèvent, ils sont incapables d’engloutir la barque de Jésus. Que craindrions-nous ? Dites-le-moi. La mort ? Pour moi, vivre, c’est le Christ, et mourir est un avantage. L’exil ? La terre appartient au Seigneur, avec tout ce qui la remplit. La confiscation des biens ? De même que nous n’avons rien apporté dans ce monde, nous ne pourrons rien emporter. Les menaces du monde, je les méprise ; ses faveurs, je m’en moque. Je ne crains pas la pauvreté, je ne désire pas la richesse ; je ne crains pas la mort, je ne désire pas vivre, sinon pour vous faire progresser. C’est à cause de cela que je vous avertis de ce qui se passe, et j’exhorte votre charité à la confiance.

[…/…] En quelque lieu que je sois, vous y êtes aussi : le corps ne se sépare pas de la tête, ni la tête du corps. Si nous sommes éloignés par la distance, nous sommes unis par la charité et la mort elle-même ne pourra couper ce lien. Si mon corps vient à mourir, mon âme restera vivante et se souviendra de mon peuple.

Vous êtes mes concitoyens, vous êtes mes pères, vous êtes mes frères, vous êtes mes enfants, vous êtes mes membres, vous êtes mon corps, vous êtes ma lumière, et même vous êtes plus doux pour moi que la lumière. En effet, la lumière du soleil ne m’apporte rien de comparable à ce que m’apporte votre charité. Le soleil m’est utile à présent, mais votre charité me prépare une couronne pour l’avenir.

Abdelkader : Extrait de Mustapha Chérif, L’émir Abdelkader, Apôtre de la fraternité, Editions Odile Jacob, 2016, p.153.

« Personne ne peut seul faire face aux défis complexes de notre temps. Il n’y a pas d’alternative sage au dialogue, à l’interconnaissance et à la fraternité humaine.»

PDF: Aux amis de partout 19

Félix

Notre frère Félix RAJAONARIVELO

Membre de l’équipe international et responsable continental pour l’Afrique

Félix est passé avec le Père après sa maladie d’un cancer du foie.

Il a été soigné dans un hôpital de Bangalore, en Inde, avec l’aide de nombreux frères de la fraternité et de sa famille. Il revient à Madagascar le 8 mai, et à la veille de la Pentecôte, au 14, 50, à Carmelo d’Amborovy, où nous avons eu notre réunion de l’équipe internationale en 2014, a donné son esprit à Dieu et a commencé la vie des bienheureux.

Aujourd’hui, 5 juin, a tenu sa Messe de la résurrection dans la cathédrale de Mahajanga.

Je suis heureux et triste en même temps. Ce cher frère laisse un vide et aussi une espérence. Felix a beaucoup donné à la fraternité et l’Eglise à Madagascar et sa vie, que nous devons encourager de continuer annonçant Jésus assisté à Nazareth-style. Il va continuer à aider devant le Père avec son intercession et sourire indestructible.

L’équipe internationale et tous les frères des fraternités sacerdotales Iesus Caritas dans le monde, ainsi que la famille de Charles de FOUCAULD à Madagascar ont le cœur douloureux ; Felix nous changera la tristesse en joie, comme Jésus ressuscité à ses amis.

Merci, Felix, pour tout ce que tu nous a donné. Merci pour ton accueil et ton Nazareth. Tu sera toujours avec nous.

Aurelio SANZ BAEZA,
frère responsable

5 Juin de 2017

PDF: FÉLIX, fr

Jean-Pierre LANGLOIS (Québec), Journal d’avril 2017, Tamanrasset

1. Pour le moment, je me sens comme en plein été (30 degrés et plus), et le printemps n’est même pas terminé ! Les mois chauds sont encore à venir. Mais à chaque jour suffit sa peine. Je m’acclimate doucement, et sors de mon cocon un peu plus.

Le jardin devant la maison s’est agrandi cette semaine d’un minuscule jacaranda, à fleur bleue-violette. S’il prend bien malgré le sol assez pauvre du secteur, il fera de l’ombre au citronnier, au grenadier, à l’olivier et à l’oranger, sans parler des 2 cotonniers, des 5 plants de vigne et du laurier rose… Magnifique !

J’ai semé des graines de légumes en vain, mais mon ami et gardien Issa a réussi à faire pousser betteraves, carottes, tomates et oignons, 2 ou 3 courgettes. Si tout cela donne en temps voulu, ce sera bien sympathique ! Je vois pousser tout cela avec… étonnement ! Je suis vraiment un gars de la ville.

2. Dernièrement, je suis monté sur le toit du presbytère pour le nettoyer des épines de tamaris accumulées depuis les pluies de l’été dernier. Ce n’était pas un luxe.

Un visiteur français, Pierre, infirmier de son métier, est venu passer plusieurs semaines à Tam en fin de pèlerinage à Jérusalem. Il est devenu maître d’œuvre pour réparer le toit du presbytère car des joints de la toiture avec le voisin laissaient passer l’eau de pluie. Il ne pleut pas souvent, mais il pleut assez fort lorsque cela arrive. Or les murs sont en pisé, -argile paille et petite roches-. Cela se dégrade facilement sous les coulisses d’eau venant du toit… Avec le gardien du jardin, du nom d’Issa, un Camerounais, ils ont couvert à la longueur de l’édifice le mur mitoyen et colmaté quelques autres brèches. Un beau travail.

Mardi le 25 avril, Pierre et moi avons installé une douzaine de panneaux expliquant en français et en arabe le parcours de vie de Frère Charles au fortin (bordj) où il est mort en 1916. Cela devrait être plus agréable et attirant à regarder et à commenter lors de la visite des « touristes » à Tam. Doucement des « pèlerins » viennent de nouveau par ici, mais au compte-gouttes pour le moment.

3. Les quelques chrétiens reconnus – les migrants évitent souvent de se faire reconnaître comme chrétiens, leur statut précaire est déjà suffisamment lourd pour ne pas en ajouter une couche supplémentaire d’handicap – nous ne sommes pas mal vus par la population locale. Elle est indifférente peut-être, ne connaît pas le christianisme et ne peut pas avoir de points de repères.

Les gens ne savent pas ce que signifie Pâques pour nous, d’autant plus que le Coran enseigne que le Christ Jésus n’est pas mort sur la croix, mais a été emporté vivant au Paradis. Alors dimanche 16 avril, jour de Pâques, c’était pour la population le premier jour de travail de la semaine, sans plus. Pas de chocolat, pas de fleurs, pas de rencontres familiales, rien de particulier à signaler. Cela m’invite à retrouver avant tout le sens intérieur de la fête; et ce n’est pas plus mal pour moi, bien au contraire.

La communauté réunie à la veillée pascale

Par ailleurs, nous n’avons pas à nous défendre d’être chrétiens. Nous avons plutôt bonne réputation, individuellement. Les autorités craignent seulement que nous soyons des espions à la solde de nos pays respectifs. Et les amis algériens que le temps a pu permettre de rencontrer, ils nous ouvrent leurs pensées et leurs cœurs, partageant volontiers avec nous le repas ou des activités. Mais il s’agit là de quelques individus ou familles, très loin de la majorité des gens côtoyés seulement.

4. Il n’y a pas de clocher à la chapelle dont on se sert, et on ne sonne pas la cloche comme au Québec. Nous sommes une infime minorité, plus ou moins une cinquantaine de personnes chrétiennes pour au moins 120 000 habitants. Il est de mise de ne pas avoir d’indications publicitaires à l’extérieur, sur la rue.  Il n’y a donc qu’un moyen de venir participer aux célébrations ou de prendre contact avec nous : comme vous le devinez, le bouche-à-oreilles. Mais c’est très efficace, sinon toujours précis. Car il n’y a pas d’adresse civique, ni de nom de rue. On se rend chez les gens en demandant le nom du quartier, l’édifice remarquable du coin, et puis, on s’informe aux passants, aux personnes croisées sur la route. C’est aussi le cas pour la communauté chrétienne. Les migrants qui y viennent, une vingtaine environ, ne restent pas non plus toujours longtemps sur place. Ils laissent leur place à d’autres, puis à d’autres…

5. La liturgie étant particulièrement simplifiée en région éloignée, et les autres membres de l’équipe d’animation à Tam étant très ouverts, nous avons vécu des jours saints sans carcan mais dans le recueillement et une belle sinon grande participation ! Et la Semaine Sainte fut très significative par son dépouillement même. La célébration de ce Jeudi saint était par exemple des plus intimes, une quinzaine de personnes, mais cela me faisait tellement penser à ce qu’a pu être la première célébration au Cénacle…

Le soir du Jeudi saint avec des petits frères de Jésus venus de l’Assekrem

6. Je devrais passer une quinzaine de jours à la mi-mai à l’Assekrem, l’ermitage de Frère Charles, à 70 km de Tam, au désert. Une belle aventure !

« Que ce Jésus Ressuscité continue de nous faire vivre à plein notre pèlerinage vers le Royaume ! »
27 avril 2017                                       Pedro

PDF: Journal d’avril 2017