Prière d’Abandon
Témoignage
Laurent RAVENDA
J’ai connu le frère Charles de Foucauld grâce à deux chances que j’ai eu dans ma vie.
Première chance : d’abord comme séminariste, le hasard ou plutôt la providence a fait que je fus attitré à la paroisse Très-Saint-Nom-de-Jésus dans un quartier populaire (Hochelaga-Maisonneuve) de Montréal. Le curé qui venait de prendre charge de la paroisse était Jacques Leclerc, celui qui avec son ami Guy Bouillé, créa la première fraternité de Jésus-Caritas en Amérique du Nord. Ce prêtre exceptionnel fut pour moi un mentor tout au long de mon cheminement au sacerdoce et très vite je voulus me joindre à cette organisation qui pouvait transmettre une telle spiritualité.
Deuxième chance : une fraternité de « Petites Soeurs de Jésus » est venue s’établir dans le fond d’une ruelle de notre paroisse. Le contact avec ces religieuses si différentes de celles que j’avais l’habitude de côtoyer me confirma dans mon désir de mieux connaître le frère Charles de Foucaud.
Un jour, mon curé m’invita à participer à une retraite de Jésus-Caritas. La formule, le prédicateur (un prêtre des fraternités du Brésil), les autres participants, tout avait été une expérience formidable. Je me souviens que dans la voiture au retour, j’ai dit à mon confrère séminariste et ami Jean-Pierre Langlois : « je veux faire partie de ce groupe ». Quelques mois plus tard, notre équipe de jeunes prêtres et séminaristes intégrait les fraternités Jésus-Caritas.
Plus tard, j’ai lu la biographie du frère Charles écrite par Jean-François Six : plusieurs points de sa spiritualité m’ont convaincu qu’il avait un message pertinent pour notre temps.
Il y avait d’abord Nazareth. Le constat que Dieu s’était incarné et avait voulu d’abord partagé dans le silence et l’amitié la vie des gens ordinaires d’un petit village de la Palestine. Avant de prêcher, il faut d’abord « s’incarner », être solidaire, se faire proche des gens, mener une vie simple… C’était la condition préalable à l’évangélisation selon le frère Charles.
L’idée d’être un frère universel était un autre aspect que me rejoignait. Accueillir tous ceux qui se présentent chez nous surtout les plus pauvres. Il fit également l’expérience d’être accueilli et soigné par eux. Ce fut une grande leçon pour lui. Accueillir et respecter les différences culturelles. Je fus en particulier impressionné par l’ouverture du frère Charles devant le monde musulman, son admiration face à leur foi.
Expérience en mission et la prière d’abandon.
En septembre 1980, je partais pour une expérience missionnaire qui allait durer huit années dans l’Amazonie du Pérou. Prêtre diocésain, j’y allaiscomme «associé » aux Prêtres des Missions Étrangères de Pont-Viau.
Comme première étape, la société missionnaire m’envoya pour quelques mois à Cuernavaca au Mexique en classe d’immersion pour étudier la langue espagnole.
Je me souviens qu’au début ce fut une période un peu difficile. Je venais de laisser une paroisse dans laquelle j’avais vécu mes premières années de ministère. J’y avais mis tout mon coeur et laisser plusieurs amis. Durant les dernières semaines avant mon départ, j’avais été entouré par ma famille, mes amis que je savais que je ne verrais pas avant plusieurs années. J’arrivais dans un milieu qui, quoique assez agréable, m’était totalement inconnu. J’étais le seul étudiant dans l’endroit où j’étais logé. La vieille dame qui y vivait me servait mes plats et se retirait me laissant regarder seul la télévision. Je ne parlais pas la langue…
Mais surtout, je pensais à ce qui m’attendait au Pérou et j’étais un peu anxieux. Comment allais-je réagir moi un gars de ville à la vie dans une bourgade au milieu de la jungle? Comment serait le contact avec un peuple et une culture si différente à la mienne?
Bref, après avoir coupé les liens affectifs, j’avais les « bleus » et l’avenir me paraissait un peu plus sombre maintenant que j’avais « traversé le pont » et qu’il n’était plus question de retourner en arrière.
C’est alors que je me suis tourné vers la prière d’abandon du frère Charles de Foucauld : « Mon Père, je m’abandonne à toi. »…
Je la reprenais à chaque jour dans ma prière. Après quelque temps, je fus surpris de voir l’effet que cette prière avait provoqué chez moi. Je réalisais que j’étais plus calme et confiant. J’avais retrouvé mon enthousiasme à l’origine de ma demande de partir en mission. Je ne savais pas plus ce qui m’attendait dans la jungle mais je savais qu’avec le Christ, je n’avais pas à m’inquiéter. Durant les huit années de mon expérience missionnaire et par la suite (41 ans de vie sacerdotale) je n’ai jamais eu de doutes sur le chemin qui se présentait devant moi. J’imagine que cela correspond un peu à la vie du frère Charles qui s’est déplacé de différents lieux (France, Syrie, Palestine, Algérie) en assumant différentes fonctions (moine, jardinier, ermite, prêtre) sans jamais douter que le Christ l’accompagnait et le guidait.
Une fois rendu dans mon nouveau milieu de vie, je pensais souvent au frère Charles, le frère universel, qui a partagé simplement la vie avec les gens. Mon habitation que je partageais avec quelques jeunes péruviens était toujours ouverte et accueillante aux passants. C’était ma façon de vivre la spiritualité de Nazareth i.e. Jésus qui partage la vie ordinaire des gens.
Même mon implication progressive dans la défense des droits des personnes aux prises avec des injustices était ma façon de répondre à un autre appel du frère Charles : « Nous n’avons pas le droit d’être des chiens muets et des sentinelles muettes : il nous faut crier quand nous voyons le mal ».
Bref, avec son inlassable recherche de la volonté de Dieu, son désir de « crier l’Évangile avec toute sa vie », son apostolat de la bonté, le frère Charles a été pour moi une inspiration dans ma vie. Et je crois que son message est de plus en plus nécessaire pour le monde d’aujourd’hui.
Laurent Ravenda, curé
Notre-Dame-de-la-Trinité, Verdun. Montréal QUÉBEC