P. Grégoire CADOR
Tokombéré, le 02 décembre 2014
Aux amis du diocèse de Maroua–Mokolo et de Tokombéré
Chers amis,
Permettez-moi de commencer cette lettre de nouvelles en rendant hommage à un ami très cher de l‘association Tokombéré La Flèche qui vient de nous quitter après un long et courageux combat contre la maladie.
Claude Lespagnol était membre de la première équipe avec Marie–France, son épouse. Son engagement multiforme avec nous et dans bien d’autres associations reste un exemple stimulant pour tous. Selon la formule consacrée au Cameroun je lui dis en notre nom à tous : « Repose en paix, Claude et que la terre de nos ancêtres te soit légère… »
Voilà bientôt deux mois que je n‘ai pas donné de nouvelles et je ne sais par où commencer… Commençons par les bonnes !
Il y a un mois nous lancions le catéchuménat paroissial. 450 catéchumènes inscrits venus de nos 39 communautés villageoises. Une grande majorité de jeunes scolarisés mais aussi des adultes, qui vont cheminer vers le baptême pendant trois ans à la lumière de la Parole de Dieu. Nous constatons de plus en plus de sérieux dans ces démarches et dans celle des catéchistes et adultes qui les accompagnent.
Il y a quinze jours c’était le démarrage des activités Cop–Monde (équivalent de l‘Action Catholique des Enfants en France). Autour du P. Justin et de Sr Pauline, ce sont 250 enfants qui ont littéralement « envahi« la paroisse du vendredi soir au dimanche midi mettant une ambiance de fête et de bonne humeur. Ça fait du bien ! (mais il ne faudrait pas en abuser !!!) Le même dimanche a eu lieu le match d’ouverture du tournoi Baba Simon organisé par le Projet–Jeunes de la paroisse. 6 équipes composées de jeunes chrétiens, musulmans et autres, vont s’affronter jusqu‘à la finale prévue au mois de Mai. Les autorités locales étaient largement représentées (Sous-préfet, Commandant de brigade, responsables de structures…). Là aussi, très bonne ambiance et très bonne organisation. Le P. Justin avait le droit d’être bien fatigué à la fin du week–end !
Dimanche dernier, premier dimanche de l‘Avent c’était, comme chaque année, la fête des récoltes… Chaque chrétien vient déposer devant l‘autel un épi ou une gerbe pour dire merci à Dieu de la vie qu‘il nous donne et qu‘il nous confie. Peu à peu cela donne un grand mur de mil multicolore qui invite à l‘action de grâce et à l‘engagement pour bâtir ensemble le monde de justice et de paix que nous attendons tous. La récolte de cette année est relativement bonne concernant le mil. C‘est nettement moins bon pour l‘arachide…
Dimanche prochain ce seront les rencontres de secteur dans chacun des six secteurs de la paroisse pour faire remonter la réflexion commencée en septembre sur notre thème d’année : « Je suis avec vous tous les jours jusqu‘à la fin des temps.« L’idée est de travailler sur la question « Suite à la réflexion que nous avons menée tout au long du trimestre, comment pouvons– nous être présence réelle de Jésus ici et aujourd‘hui? » Les membres laïcs de l‘équipe d‘animation pastorale sont très investis dans cette réflexion et se répartiront dans chacun des secteurs pour recueillir le fruit de la réflexion… A suivre !
Le Conseil de gestion paroissial a pris très au sérieux l‘interpellation de notre nouvel évêque, Mgr Bruno, pour une meilleure participation au financement du diocèse. C‘est une réflexion de fond que nous menions depuis des années déjà avec Mgr Philippe notre évêque émérite. Les communautés sont actuellement engagées avec beaucoup de sérieux dans une cotisation en nature (en l‘occurrence le mil) pour relever le défi et apporter notre pierre à l‘effort diocésain.
Le 20 décembre nous aurons la joie de célébrer le mariage du docteur Jean–Pierre Adoukara, directeur adjoint de l‘hôpital et de Walma Marie–Aimée, institutrice dans l‘enseignement public et
fille de Jérémie Djouri, un de nos anciens, catéchiste, ex pilier du secteur Mouyang, que beaucoup d’entre vous connaissent.
Le 28 décembre, à l‘occasion de la fête de la Sainte Famille, c’est Bouba Achimé, enseignant au Collège Baba Simon et Hélène Djéré, enseignante à l‘école St Joseph et fille de Bouba Zacharie, lui aussi catéchiste très engagé du secteur Mada, qui convoleront en juste noces !
Le chantier communal d‘adduction d’eau que j‘avais évoqué dans un précédent courrier avance à grand pas et nous espérons pouvoir être branché au plus tard en février prochain… En revanche le chantier de construction de la route Makalingaye–Tokombéré est actuellement en stand–by en attendant la reprise des travaux, imminente dit–on du côté de la mairie…
Les week–ends interreligieux dont je vous parlais dans mon précédent courrier ont débuté. Le premier sur le thème des « fondements de la dignité de la personne humaine et maîtrise de soi« avec le professeur de morale du grand séminaire interdiocésain, un enseignant musulman de l‘université de Maroua et un pasteur protestant, a rassemblé 35 personnes dans une ambiance d‘amitié réelle et profonde. Le deuxième sur « les sources de la fraternité universelle et le dialogue interreligieux« avec notre évêque émérite, le pasteur chargé de la formation biblique pour les Eglises évangéliques de la région Extrême–Nord et le secrétaire de Jeunesse Islamique du Cameroun pour l‘Extrême–Nord, a rassemblé 37 participants. Ensemble, nous avons découvert de véritable raisons d‘espérer sortir de notre situation en sachant s‘écouter, se connaître et se respecter. Nous avons regardé ensemble la pièce « Pierre et Mohamed » écrite à partir de textes de Mgr Claverie et du carnet de notes de son chauffeur musulman… Grand merci aux sœurs de l‘Abbaye Ste Cécile de Solesmes et à leur jeune Abbesse qui a eu la bonne idée de nous faire découvrir ce magnifique texte que je vous invite à découvrir si ce n‘est pas déjà fait !
Cela me fait naturellement passer au versant plus sombre des nouvelles.
La situation sécuritaire est encore très tendue. L‘évêque a dû se résoudre à suspendre momentanément les activités pastorales dans le district paroissial d‘Amchidé dont je vous ai souvent parlé… La ville est désormais ville–morte et terrain militaire suite à une attaque extrêmement violente des terroristes de Boko–Haram… Pierre, l‘administrateur laïc, a dû retourner dans sa paroisse d‘origine en abandonnant ses récoltes sur place. Mon ami l‘imam, quant à lui, est réfugié à Mora.
Le marché du village de Goudjimdélé, dans lequel nous avons une paroisse, à une vingtaine de kms de la frontière, a subi une attaque il y a10 jours. La population, avec le curé, les enseignants de l‘école catholiques et les infirmiers du centre de santé catholique, a dû fuir pour se réfugier à la montagne proche… Depuis, le calme est revenu mais les gens sont encore dans la peur. Avec l‘aide du curé et du responsable du centre de santé, un comité de vigilance a vu le jour, les populations comprenant peu à peu qu‘elles ont un rôle très important à jouer…
Pendant ce temps l’armée camerounaise fait son travail avec sérieux et essaye d‘être au plus près des difficultés. Une opération de « nettoyage« (horrible mot !) a été menée très fermement dans l‘un des villages voisins connu pour être un repère de Boko-Haram camerounais… La confiance revient peu à peu mais ce n‘est pas simple.
Au Nigéria, en revanche, la violence s‘accentue de plus en plus avec des attentats suicides, perpétrés notamment par des femmes kamikazes. Le plus violent, dont on a d‘ailleurs parlé dans les médias occidentaux, a été mené vendredi dernier, à l‘heure de la prière, contre la grande mosquée de la ville de Kano. L‘émir de Kano avait très clairement pris position pour condamner Boko-Haram et appeler les musulmans à la résistance. Plus de 120 morts et près de 300 blessés ! L‘horreur continue entraînant encore des dizaines de milliers de réfugiés sur les routes.
Jeudi prochain la récollection d‘Avent des équipes apostoliques du Mayo–Sava aura pour thème : « Voulez–vous partir, vous aussi ? » (Jn 6, 67). J‘ai la lourde tâche d‘animer la méditation… Nous prendrons aussi le temps de regarder ensemble « Pierre et Mohamed » pour puiser la force dans l‘exemple lumineux de ces deux témoins (« martyrs » en grec !)
Je voudrais terminer en saluant le courage et la qualité de témoignage de nos jeunes prêtres, de nos sœurs, diacres et autres responsables qui ont fait le choix de rester « avec leurs gens« pour porter ensemble le poids du jour et de la chaleur… L‘un d‘entre eux, qui avait dû fuir lors d‘une attaque, me disait récemment : « J‘y retourne tout de suite parce que j‘ai peur sinon de trouver pleins de raisons de ne pas y retourner… » Cela se passe de commentaires…
Je vous livre enfin deux extraits de textes que j‘ai lus récemment et qui peuvent nous aider dans la réflexion indispensable que nous devons mener ici au Cameroun mais aussi partout là où vous êtes, pour relever le défi de la paix dans le monde…
Le premier est du Pape François. C’est un extrait de son discours devant le président des affaires religieuses turques, à Ankara, le 28 novembre dernier :
« La violence qui cherche une justification religieuse mérite la plus forte condamnation, parce que le Tout–Puissant est le Dieu de la vie et de la paix. Le monde attend, de la part de tous ceux qui prétendent l’adorer, qu’ils soient des hommes et des femmes de paix, capables de vivre comme des frères et des sœurs, malgré les différences ethniques, religieuses, culturelles ou idéologiques.«
Le deuxième est du professeur Felice Dassetto (Sociologue des religions. Fondateur du Centre d’études de l’islam dans le monde contemporain, il a enseigné à l’Université catholique de Louvain, en Belgique.) :
« Jusqu’à quand les musulmans ne se secoueront pas de cette double chape de plomb culturel qui pèse sur l’islam contemporain en faisant un travail profond de réflexion sur leurs catégories interprétatives des textes et de l’histoire fondatrice, et jusqu’à quand ils éviteront de se poser ces questions en continuant à dire que ce n’est pas l’islam, sans s’interroger plus loin et parfois en se réfugiant de manière défensive dans l’idée d’un complot contre les musulmans, le djihadisme continuera à s’alimenter dans le monde musulman contemporain et finira par traîner définitivement dans la boue l’islam lui–même. Certes, cela n’est pas l’islam ; l’islam peut être autre chose. Mais cet islam–là est celui qui est devenu dominant dans le monde musulman en engluant ainsi les musulmans d’aujourd’hui.«
Les condamnations courageuses du terrorisme religieux de dignitaires musulmans de plus en plus nombreuses, à travers le monde, sont, espérons-le, le prélude à ce travail de relecture et de remise en question.
Il me semble que les chrétiens ont besoin, eux–aussi, de ne pas se cacher derrière l‘Evangile pour se croire en dehors de danger. La frontière entre le bien et le mal passe au cœur de chacun d’entre nous. N‘oublions jamais cette interpellation de Jésus : « Comment peux-tu dire à ton frère : “Frère, laisse–moi enlever la paille qui est dans ton œil”, alors que toi–même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.« (Lc 6, 42)
Priez pour nous, nous en avons besoin. Nous sommes ensemble.
Grégoire
P.S. : Au Cameroun la numérotation téléphonique est passée de 8 à 9 chiffres.
En cas de besoin il vous suffit, après le 00 237, d‘ajouter un 6 devant les numéros actuels.
Nous avons achevé la construction du presbytère annexe dont nous rêvions depuis des années. Un bureau paroissial plus 3 chambres d‘accueil (inaugurées lors du 1er week–end interreligieux par un dignitaire musulman, un pasteur et un prêtre !) Alors si la zone rouge ne vous fait plus trop peur… nous vous attendons avec joie !