« Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, votre foi est aussi vaine »(1 Co 15, 14)
Quand j’ai pris la décision de faire partie de ceux qui offriraient quelques mots dans cette retraite de Pâques, de cette Pâques unique au milieu d’une pandémie, la première chose qui s’est posée en moi a été une question: que disait Charles de Foucauld Jésus? Ressuscité? Y a-t-il une déclaration de votre part, ou un commentaire de votre part, sur la résurrection de Jésus? En fait, au début, il n’avait pas de réponse, il était vide.
Mais, sûrement, Charles de Foucauld lui-même devait garder à l’esprit cette affirmation énergique de Paul, par laquelle je voulais entamer cette réflexion: «Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, votre foi est aussi vaine.
Il faut se rappeler, tout d’abord, que CdF n’est pas un théologien. Et, par conséquent, son objectif en partageant ses écrits, lettres, commentaires sur l’Évangile … n’est pas de proposer une exposition ordonnée et structurée de la foi. Le sien n’est ni un catéchisme de la foi catholique, ni un livre de théologie. CdF enregistre par écrit ce qu’il découvre et approfondit dans sa prière, dans son abandon et, aussi, dans sa vie incarnée, proche de ceux qui ne connaissent pas Jésus, des plus pauvres et des plus souffrants.
D’un autre côté, à un moment donné, cela peut donner le sentiment que CdF n’est resté qu’à Nazareth, ignorant la Passion, la Mort et la Résurrection de Jésus. Mais ce n’est pas exactement cela. Il ne coupe pas Jésus, ne gardant que la première partie de sa vie et abandonnant la vie publique et sa touche finale. CdF connaît très bien toute la vie publique de Jésus, en particulier sa mort et sa résurrection. Certes, la croix rédemptrice de Jésus et la victoire de la résurrection ont dû faire partie de sa prière et de sa contemplation à plusieurs reprises. Sans aucun doute, il a dû inclure la mort de Jésus dans cette dynamique de descente de Dieu. Et la méditation sur la résurrection de Jésus a pu confirmer en CdF qu’en effet, «si le grain de blé tombe à terre et meurt, il porte beaucoup de fruit». Bien qu’il ne l’exprime pas de manière explicite et, encore moins, académique ou théologique, il y a pour CdF une unité et une cohérence entre la vie cachée de Jésus, et sa vie publique, qui culmine dans sa mort et sa résurrection, et dans laquelle nous participons à travers le Saint-Esprit (Pentecôte).
« Dès que j’ai compris qu’il y avait un Dieu, j’ai compris que je ne pouvais rien faire d’autre que de vivre uniquement pour Lui. » Cette phrase, au début de sa conversion et de sa mission, nous fait comprendre qu’il a découvert le Dieu des vivants et de la vie. Tout de suite, il dirigera sa spiritualité vers Jésus et lui à Nazareth. Sans pour autant négliger sa totale confiance en Dieu, comme en témoigne sa prière d’abandon. Mais son regard principal va être dirigé vers Jésus, à Nazareth. Que Jésus soit vivant, ce n’est pas une idée ou une idéologie, ou une théologie, ou une simple «histoire» (comme on en dit beaucoup maintenant). C’est une personne vivante et très présente.
Pour Frère Charles, l’une des fortes présences de ce Jésus vivant est l’Eucharistie: «L’Eucharistie, c’est Jésus, c’est tout Jésus! Dans la Sainte Eucharistie, vous êtes tous entiers, vous vivez tous mon Jésus bien-aimé. Aussi pleinement que vous étiez dans la maison de la Sainte Famille de Nazareth … que vous étiez au milieu de vos apôtres. » (174 Méditation sur l’Évangile). L’expression «tout vivant» nous fait comprendre que, pour Frère Charles, l’Eucharistie prolonge la présence de Jésus ressuscité. À un autre moment, il affirme, se remémorant et commentant les paroles de Jésus lors de la dernière Cène: «<< Ceci est mon corps… ceci est mon sang… >> Mt 26, 26-28. Cette grâce infinie de la Sainte Eucharistie, combien elle doit nous faire aimer un si bon Dieu, un Dieu si proche de nous… Combien la Sainte Eucharistie doit nous rendre tendres, bons, pour tous les hommes. » (Méditation en 1897). Il met aussi des paroles sur les lèvres de Jésus, à propos de l’Eucharistie: « Contemplez-moi avec amour: c’est la seule chose nécessaire et c’est ce que j’aime le plus … Si vous avez compris le bonheur qu’il y a à être à mes pieds et me regarde … »(Retiro de Nazareth. novembre 1897). Dans cette autre réflexion, il est encore plus explicite sur la présence permanente de Jésus parmi nous: «Dieu, pour nous sauver, est venu à nous, il s’est mêlé avec nous dans le contact le plus familier et le plus proche … Pour le salut de notre âmes, il continue à venir à nous, se mêlant à nous, vivant avec nous au contact le plus étroit, chaque jour et chaque heure dans la Sainte Eucharistie… »(Règlements et Directoire, 1909). Toutes ces citations sur l’Eucharistie et l’adoration eucharistique parlent à nous de foi d’un CdF convaincu de la présence vivante de Jésus dans le Saint Sacrement. Non seulement cela, mais il comprend sa tâche, sa mission, sa présence parmi les musulmans et les nécessiteux, de cette présence vivante de Jésus dans l’Eucharistie et dans l’adoration eucharistique. Sans l’expérience profonde de cette présence eucharistique, la vie n’est plus une imitation de Nazareth, telle que la CdF l’entend. Et du côté positif: contempler et bien s’imprégner de cette présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie vous pousse, vous lance dans une présence personnelle dans le monde et parmi les hommes comme à Nazareth, à la manière de Jésus.
L’autre présence forte de Jésus ressuscité, pour frère Charles, ce sont les pauvres. Il y a de nombreuses références aux pauvres dans les écrits du frère Charles. J’en choisis quelques-uns, dont nous pouvons avoir l’intuition de leur foi en Jésus ressuscité et présent: «Il n’y a, je crois, aucune parole de l’Évangile qui a eu sur mon impression la plus profonde, et a transformé ma vie plus, que cela: faites-le à l’un de ces petits, faites-le moi. Si nous pensons que ces paroles sont celles de la vérité incréée … Avec quelle force sommes-nous conduits à chercher et à aimer Jésus en ces « petits, ces pécheurs, ces pauvres gens, mettant tous nos moyens spirituels au service de la conversion, et tous nos moyens matériels pour le soulagement des misères temporaires ». (Lettre à Louis Massignon, 1er avril 1916). CdF ne fait pas de réflexion théologique sur la «présence» de Jésus ressuscité dans les pauvres et les petits, mais il est évident qu’il n’a aucun doute sur la permanence de Jésus vivant en eux, et que cela l’émeut. D’une part, il perçoit, il voit Jésus ressuscité dans la dernière. En revanche, il reçoit l’appel à rapprocher ce Jésus vivant de tous, comme en témoigne cette autre déclaration de la sienne: «Pouvoir mener une vie très contemplative, faire tout pour tous, donner Jésus à tous. »(Juin 1902, conclusion de la retraite). Autrement dit, il veut voir Jésus vivant dans les pauvres, et il veut que les autres voient que Jésus vivant, à travers lui, à travers son témoignage.
Je ne peux m’empêcher de rappeler l’un des textes évangéliques les plus connus sur la présence de Jésus ressuscité: les disciples d’Emmaüs (Lc 24, 13-34). Nous connaissons très bien toute la scène. Je ne m’en tiendrai qu’au dernier moment, lorsque les deux pèlerins invitent Jésus à rester avec eux, et Jésus accepte:
«Et il est entré pour rester avec eux. Et il arriva qu’en s’asseyant à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna. Puis leurs yeux se sont ouverts et ils l’ont reconnu, mais il a disparu de leur côté. Ils se sont dit: « Notre cœur ne brûlait-il pas en nous quand il nous a parlé sur la route et nous a expliqué les Écritures? » Et aussitôt se levant, ils retournèrent à Jérusalem et trouvèrent les Onze rassemblés et ceux qui étaient avec eux, en disant: «C’est vrai! Le Seigneur est ressuscité et est apparu à Simon! Ils ont, pour leur part, raconté ce qui s’était passé sur le chemin et comment ils l’avaient rencontré lors de la fraction du pain. (Lc 24, 29-34)
Fait intéressant, c’est à la fin, lorsque Jésus n’est plus physiquement présent, qu’il semble être le plus présent. Et cette autre présence, plus intérieure, plus profonde, est ce qui donne aux disciples une nouvelle impulsion. Premièrement, se souvenir de tout son voyage dans la clé de Jésus (« Nos cœurs n’ont-ils pas brûlé alors qu’il nous parlait en chemin et nous expliquait les Écritures? »). Plus tard, rejoindre les autres disciples pour leur dire ce qui s’est passé. Pablo d’Ors dit, dans une approche de cette scène et, plus précisément, de ce moment, que ceux d’Emmaüs ont la liberté d’interpréter ce qui leur est arrivé. Et réfléchissez et confirmez ce qui leur est arrivé. C’est la foi: pas une imposition mais une proposition, car elle respecte notre liberté.
Dans une lecture libre de la vie de CdF, à la lumière de cet Evangile des disciples d’Emmaüs, on pourrait dire que, quand CdF était, apparemment, «de retour» de tout, le Dieu vivant sort à sa rencontre pour lui dire pour continuer à rester là au milieu des déceptions et des chutes. Ce Dieu vivant s’était déjà rendu présent, d’une certaine manière, dans la forte expérience religieuse des musulmans. Le Dieu des vivants et de la vie utilise des moments et des personnes différents pour nous rencontrer et devenir un compagnon sur le chemin. Mais c’est dans cette église, dans cette conversation et cette confession avec le Père Huvelín, qui ont été suivies de la réception du Corps du Christ, quand le frère Charles «a ouvert les yeux» et qu’il a pu relire sa vie par la foi. On ne peut s’empêcher d’écouter, une fois de plus, son souvenir de ce moment où il s’est converti, c’est-à-dire quand il a découvert de nouveaux yeux: «Dès que j’ai cru qu’il y avait un Dieu, j’ai compris que je ne pouvais rien faire d’autre que vivre pour lui. Ma vocation religieuse date du même temps que ma foi. Dieu est si grand! Il y a tellement de différence entre Dieu et tout ce qui ne l’est pas ». Son chemin, à partir de ce moment, nous le connaissons. Le Dieu vivant qui voit et intuit à ce moment initial le guidera bientôt et l’incarnera en Jésus de Nazareth, et Jésus à Nazareth. On pourrait dire que son Emmaüs le jette à Nazareth. Son expérience du vivant la transporte dans la vie de tous les jours, dans la vie cachée, dans la vie simple et normale. Et comme nous l’avons rappelé dans la première partie de cette présentation, vous allez garder ce Jésus vivant dans l’Eucharistie et dans les pauvres.
Pour nous aussi, comme pour CdF, cette Pâques peut être l’occasion de redécouvrir notre «Emmaüs à Nazareth». En d’autres termes, Jésus ressuscité continue d’être présent dans notre vie quotidienne et dans la vie simple des personnes que nous rencontrons habituellement. Dans la simplicité du quotidien, et dans le simple et le pauvre de chaque jour, nous pouvons sentir la douce présence du ressuscité. Ou nous pouvons être, dans notre Nazareth, un simple instrument de Jésus ressuscité pour se rendre présent et rapprocher sa nouvelle vie des autres.
Questions possibles pour une réflexion personnelle:
1. A quels moments de ma vie sacerdotale, peut-être de déception ou de déception pastorale, ai-je remarqué la douce présence de Jésus ressuscité?
2. Comment est-ce que je perçois Jésus ressuscité dans la vie de tous les jours, dans mon Nazareth habituel? Comment les autres peuvent-ils le percevoir à travers moi?
3. De tout ce que je sais de la vie et de la spiritualité du CdF, qu’est-ce qui me ressort le plus par rapport au ressuscité?
Aquilino MARTÍNEZ, responsable régional
(Note du traducteur: merci pour votre compréhension et votre compassion)
PDF: L’expérience du Ressuscité en Charles de FOUCAULD, retraite Pâques 2021, Aquilino MARTÍNEZ