Ma petite vie à Tamanrasset, Jean Pierre LANGLOIS (Québec)

17 mars 2017

Ma petite vie à Tamanrasset

De retour à Tamanrasset depuis le début de février, le train-train quotidien a repris. Pas de grandes choses. Mais je vis bien, je ne suis plus acculé à ménager parce que je n’ai pas l’argent nécessaire (ici, la carte de crédit est ignorée, y compris à Alger). Peu à peu, je peux améliorer les plats cuisinés (il me faut m’ingénier à préparer les plats avec ce qui est disponible sur place).

Nous sommes une petite communauté de 20 à 25 personnes, dont 2 petits frères de Jésus et une petite sœur du Sacré-Cœur, 2 ou 3 Algériens Kabyles qui travaillent sur place et une vingtaine de migrants subsahariens de passage, que ce soit de façon prolongée ou non.

Avant tout, 2 tâches me semblent primordiales dans ma présence à Tam : offrir les services sacramentels (surtout l’Eucharistie) de façon régulière; et, assurer une présence faite de partage simple de la vie quotidienne, une disponibilité dans l’accueil et la visite des gens qui veulent bien nous honorer de leur hospitalité, une “pastorale de la proximité” pourrait-on dire.

Le Carême est là. J’ai suscité des échanges après la messe les vendredis matins – jour de congé -. Les participants sont pour la plupart des migrants qui travaillent sur place pour se refaire une santé économique avant de repartir ailleurs, la plupart du temps en route vers l’Europe. Avec les dangers effrayants que cela suppose. Pour les femmes, ce n’est que pire encore… Alors réfléchir sur la Parole de Dieu lorsqu’on se demande comment on trouvera du travail et de quoi manger le soir même, cela n’apparaît pas toujours des plus pertinents à leurs yeux, probablement. Ils ne le diront pas, mais… ils participent volontiers.

Puisque je ne fais qu’arriver, et que forcément mes relations humaines sont très limitées, que je ne parle pratiquement ni l’arabe dialectal algérien ni le tamahaq (langue des Touaregs), ce second volet est extrêmement réduit jusqu’à maintenant. Lorsque je vais saluer des familles dans la ville, c’est essentiellement en accompagnant l’un ou l’autre des membres de la petite équipe d’animation de la communauté chrétienne, les 2 petits frères de Jésus ou la petite sœur du Sacré-Cœur.

Sinon, il s’agit de rencontres jusqu’ici brèves avec des migrants venant du sud du Sahara, de passage plus ou moins longtemps à Tamanrasset, et qui finissent par vouloir me consulter sur un aspect moral ou spirituel de leur existence. Car, pour ce qui est du plan matériel, je serais bien en peine de les aider efficacement. Cela me facilite d’ailleurs la tâche de vivre moi-même une simplicité “volontaire” de l’existence !

Notre petite communauté, et la ville même de Tamanrasset, constitue une étape vers le mirage de l’Europe que certains et certaines poursuivent sans arrêt. Et pourtant Jésus et son Esprit travaille malgré tout ces personnes bien avant que nous les interpellions. Au fond, c’est Lui qui appelle.

C’est aussi un peu pour cela que je suis arrivé à Tamanrasset. Pour le moment, mon horaire est plus que léger. Mais je ne cherche pas à le remplir à tout prix. Je profite de ce temps de liberté. Sans doute l’âge et les expériences antérieures m’aident. J’essaie de mieux prier, sinon davantage.

Sur le chemin entre Tamanrasset et Iffok – février 2017

Du nouveau : aller en-dedans

Il y a maintenant 3 semaines que je vais visiter des prisonniers chrétiens avec la petite sœur du Sacré-Cœur. Un autre monde à découvrir, à apprivoiser : leur être disponible, mais sans attente particulière. Ce sera une belle ascèse pour le Carême ! Une démarche de gratuité. Je suis heureusement accompagné de la petite sœur du Sacré-Cœur qui les visite depuis déjà 2 ans. J’en ai rencontré deux. On échange sur leurs préoccupations, on lit un psaume et des extraits de la Bible.

Mon train-train quotidien

La poussière, je ne fais que commencer à en manger !! L’hiver aidant, les fenêtres restaient fermées, et la poussière soulevée par le vent restait à l’extérieur. La saison des vents est maintenant arrivée, mais pour le moment, ce n’est pas trop dérangeant. Ça sent le printemps, les bourgeons de fleurs éclatent et de petites feuilles apparaissent au grenadier, au citronnier du jardin du presbytère. Ce qui fait une jolie différence avec votre tempête de neige et les grands froids des derniers jours. La nuit reste fraîche, mais le jour, la température se réchauffe avec l’omniprésence du soleil. Jusqu’à 24 ou 28 degrés Celsius. J’arrête… je ne veux pas faire d’envieux !!

Le vrai test s’en vient, avec l’été et la grande chaleur habituelle, jour après jour. Comme je prévois venir au pays à la fin de l’été, ce sera une occasion de voir comment je m’acclimate.

J’ai abandonné mes cours d’arabe, au moins pour le moment. Ni le prof ni l’élève n’en avaient vraiment le goût. Je vieillis. Mais je suis tranquille ici, heureux de vivre tout simplement, même s’il me manque quelque chose qui me paraisse pertinent à réaliser. Cela viendra en son temps, si je me montre patient. Et, à l’orée de la retraite, je n’ai pas de preuve à démontrer à qui que ce soit, en commençant par moi. Le Seigneur me guidera s’il a envie de mes services quelque part.

Je ne me suis pas encore décidé à me déplacer en bicyclette; donc je marche à pied dans les environs.

Et je me suis procuré un téléphone portable, car ici à peu près tout le monde en possède un et l’utilise. Même en plein désert, on se cherche un réseau pour communiquer !

Ma tablette me sert beaucoup, autant pour écouter ou lire les nouvelles, sur place ou de l’étranger. Et pour pratiquer mon habileté au SUDOKU !

Manquer de relations humaines, c’est aussi savoir patienter afin que l’un ou l’autre des membres de l’équipe d’animation soit assez disponible pour m’accompagner afin de trouver un bon technicien en informatique et de lui expliquer le problème de mon ordinateur portable. Cela a donc pris presque 2 semaines pour le régler. Ce qui est fait maintenant, à mon grand soulagement.

Bon ! Je m’en vais au souk, à une demi-heure d’ici à pied, pour acheter des poitrines de poulet en vue du repas de l’équipe d’animation de dimanche soir. C’est mon tour de recevoir. Et avec la visite d’un couple, nous serons 6 ou 7 à table. Je dois prévoir un peu d’avance. Je pense à du poulet et à une croustade aux pommes. Ce serait bon avec du sirop d’érable, mais je cherche un succédané potable.

Attentat de Québec le 29 janvier 2017 contre la Grande Mosquée

Oui, bien sûr, j’ai su dès le lundi matin 30 janvier le drame de la Grande Mosquée de Québec, et j’ai suivi de mon mieux les réactions qui m’ont paru somme toute appropriées dans les circonstances. Espérons qu’à ce malheur, il en sorte de bonnes choses : un peu de retenue dans les expressions des réseaux sociaux, une meilleure écoute et attention aux immigrants venus du monde musulman, de plus grands efforts effectués pour favoriser l’intégration fraternelle, à l’école et surtout dans l’emploi.

Je n’ai pas senti beaucoup d’échos ici, sinon dans un journal qui parlait d’une des deux victimes algériennes. L’impact m’a paru très limité, en comparaison avec les réactions de la petite société québécoise.

Il y a là un beau sujet de révision de nos opinions sur les musulmans, si je peux me permettre cette suggestion : comment avez-vous réagi personnellement ? Qu’est-ce que cet événement signifie et comment vos communautés réagissent ? Les pas à franchir pour améliorer l’avenir ? …

Ce qui s’en vient

La Semaine Sainte se vivra en toute simplicité, avec la présence notable des petits frères de l’Assekrem, et peut-être de 2 visiteurs français.

Ce pourrait devenir une occupation plus grande, cet accueil des visiteurs, malgré le contrôle assez strict des autorités policières qui cherchent à éviter tout problème de sécurité. J’ai remis récemment en ordre 2 chambres et 1 pièce commune, tout près, en les nettoyant et en m’assurant qu’il y ait un minimum de mobilier pour y rester de passage. Quoique je ne me sente pas la vocation de frère hospitalier comme à Lourdes ou à l’Oratoire St-Joseph, je ne crains pas vraiment, car il n’y a pas beaucoup de chance que Frère Charles développe soudainement un pèlerinage accaparant au Sahara !

Je me rendrai à l’Assekrem pour remplacer durant une semaine les petits frères là-bas au milieu du mois de mai. Ils seront en réunion de communauté du côté d’Alger, je crois.

Santé, patience et humour à revendre !

Amitié, Pedro

P.S. : On vient d’apprendre que notre évêque, Mgr Claude Rault, est remplacé par un de ses confrères Père Blanc, John McWilliam, un Britannique d’origine âgé de 69 ans. C’est courageux de sa part.

PDF: Ma petite vie à Tamanrasset.0317

Jacques GAILLOT, Le visage est sens à lui seul

Cette affirmation du philosophe Emmanuel Levinas révèle d’emblée toute l’importance qu’il donne au visage.

« Le visage parle » « Dans l’accès au visage, il y a certainement aussi un accès à l’idée de Dieu » (dans son livre : Ethique et Infini)

Le visage est une terre que l’on n’a jamais fini d’explorer. Il ouvre au mystère.

Quand je prends le RER de bon matin, en particulier le lundi, je n’en finis pas de regarder avec sympathie les visages de tous ceux qui, pour la plupart, reprennent le travail : visages fatigués, endormis, préoccupés, rêveurs. Visages recueillis qui écoutent de la musique, visages attentifs à la lecture d’un journal, visages amoureux transfigurés…

Je présente tous ces visages à notre Père du ciel et de la terre. Que sa miséricorde s’étende à la vie de chacun et de chacune. Qu’ils se sachent aimés par Celui qui attache tant de prix à leur vie. Je commence la prière du « Notre Père » sans jamais pouvoir aller plus loin que cette première parole. Il me suffit de voir dans ces visages Celui dont nous sommes tous les enfants bien aimés.

L’expérience m’a appris à regarder d’abord dans un visage ce qu’il y a d’universel en lui. J’ai devant moi un être humain, un citoyen du monde, un habitant de la planète. Les différences viendront après : qu’il soit de tel pays, de telle culture, de telle religion. Qu’il soit noir ou blanc, préfet ou migrant, général ou prisonnier…

L’être humain est premier. C’est lui qui s’impose à moi. Il est là avec sa dignité. Une dignité qui lui appartient et que personne ne peut lui prendre. Sa conscience est un sanctuaire sacré inviolable. (Vatican II). Dans l’Evangile, la seule attitude qui puisse libérer quelqu’un, c’est de reconnaître sa dignité.

Un soir, à table, je faisais part de mon passage à la prison au cours de l’après-midi. Je rendais visite à un détenu qui voulait me voir. Aussitôt mon voisin de table me demanda :

« Qu’est-ce qu’il a fait ? »

« Je n’en sais rien. Je ne pose jamais cette question à un prisonnier. »

Un autre intervint : « Est-ce qu’il est catholique ? »

« Je ne sais pas. Je n’ai pas posé non plus cette question. »

Intrigué, un troisième interrogea :

« Alors, de quoi avez-vous parlé ? »

« J’ai écouté un homme qui avait une souffrance à me partager »

L’important n’est pas d’être d’abord renseigné sur le passé d’un détenu pour savoir à qui on a affaire, mais d’accueillir sans préjugés, ce qu’il veut me partager.

J’évoquerai quelques rencontres de femmes et d’hommes qui ont croisé un jour mon chemin. Ils ne se réclament d’aucune religion, se sont rendus proches de leurs frères en humanité avec les mots et les gestes de l’amour, et un sens aigu de la justice. Ils ont été confrontés à la mort.

Il y a en nous plus grand que nous

Françoise est morte subitement. Son corps a été transporté à l’Institut médico-légal. Elle n’avait pas quarante ans. SDF, longtemps femme battue, elle avait rencontré Jean-Claude qui la respectait et prenait soin d’elle. Tous deux étaient des gens de la rue, vivaient dans la précarité, fréquentaient les Restos du cœur.

Ils ne pouvaient pas se parler sans crier, se disputaient tout le temps mais s’adoraient et n’arrivaient pas à se passer l’un de l’autre. Jean-Claude qui n’est pas croyant, me demande de venir faire une bénédiction à Françoise avant qu’elle ne soit mise dans le cercueil. Il ne veut pas que « sa » Françoise soit enterrée sans qu’il y ait une bénédiction de ma part.

Arrivé à l’Institut médico-légal, je vois Françoise revêtue d’un beau manteau tout neuf. Son visage reflète la paix. Je passe mon bras sur l’épaule de Jean-Claude qui sanglote. « C’est moi qui venais de lui offrir son manteau » me dit-il.

Je prie Dieu à haute voix, fais une bénédiction avant que le cercueil ne se referme. Puis c’est le long trajet qui nous mène au cimetière situé en banlieue.

A l’endroit réservé aux personnes qui n’ont pas de tombe, trois femmes des Restos du cœur se tiennent là, avec des fleurs à la main.

Au moment du dernier adieu, Jean-Claude prend la parole avec émotion : « Ma Françoise, je t’aime de tout mon cœur. Ma chérie, tu es tout pour moi. Je reviendrai te voir. Je te payerai une belle tombe. Je t’embrasse. »

Au café du coin, nous prenons un verre. Jean-Claude me dit : « C’était bien ce que j’ai dit tout-à-l ’heure à Françoise ? »

« C’était très bien parce que tu as su parler avec tendresse et émotion. J’en avais les larmes aux yeux.

Ces liens d’amour que tu as tissés avec Françoise ne tomberont pas dans l’oubli. Ils trouveront un prolongement après la mort. Je crois qu’il y a en nous plus grand que nous. »

L’avenir est ouvert

Une femme anticléricale, dont je n’ai jamais connu le visage, m’écrivait des lettres qui exprimaient tout le mal qu’elle pensait de l’Eglise catholique en général et du pape en particulier. Son vœu était de voir l’humanité débarrassée du fléau des religions.

En lui répondant, je prenais soin de ne pas me situer sur son terrain : celui de la critique. Pressentant sa nature rebelle et son attachement à la justice, je préférais lui parler de mes engagements. Peu à peu cette femme en vint à me parler d’elle. J’appris ainsi qu’elle était juive et avait beaucoup souffert pendant la Seconde Guerre mondiale, sans cesse obligée de se cacher avec ses fils. Elle ne supportait pas l’injustice et la combattait avec passion.

Bien que très âgée, elle gardait intact son esprit anticlérical. « Communion, confirmation furent pour moi des pièces de théâtre que je jouais sans aucune pensée religieuse ; je ne pouvais accepter ce que prêtres et religieuses de Sion voulaient imprimer en moi et je voyais avec effarement certaines de mes compagnes prier avec conviction. Croire est un peu comme une lourde charge que l’on dépose à terre et qui ainsi vous aide à vivre : moi qui ne crois à rien, je me sens légère ce cette incroyance. »

Atteinte d’un cancer généralisé, elle se savait condamnée.

« Cette mort prochaine ne change rien à ma façon d’être. Je cherche toujours à apprendre comme si l’avenir m’était offert. J’ai demandé que l’on vous écrive pour vous prévenir de mon trépas. Surtout pas de prières. Ce serait me faire injure. Halte aux jérémiades ! Mes pensées vont souvent vers vous… »

Pour ces quatre-vingt-dix ans, un rassemblement de famille eut lieu chez un de ses fils. Celui-ci m’écrivit pour me demander une faveur : téléphoner à sa maman le jour de son anniversaire quand toute la famille serait réunie.

Au jour et à l’heure dite, la surprise du coup de fil lui fit grand plaisir.

Elle avait de l’affection pour moi. Après avoir revu ses enfants et petits-enfants, le temps était venu pour elle de prendre congé des siens. Je fus prévenu.

La disparition de cette femme rebelle me causa de la peine. J’avais moi aussi de l’affection pour elle. J’admirais son courage et sa droiture :

« Cette mort prochaine ne change rien à ma façon d’être. Je cherche toujours à apprendre comme si l’avenir m’était offert. »

Paroles magnifiques pour une femme de quatre-vingt-dix ans ! Sa vie est habitée par « le souffle ». Quand on aime la vie, elle devient une aventure, un risque. Elle est une quête jamais achevée.

L’Esprit-Saint agit dans le cœur de toute personne. (Vatican II)

Cette femme est morte comme elle avait vécu. N’y a-t-il pas une manière de vivre et de mourir qui ne conduit pas à la mort ?

« Ma vie est à réinventer »

Une femme est venue me voir alors que je logeais dans le grand squat de la rue du Dragon en plein Paris. Son visage était empreint de tristesse.

« Je vous dérange. J’aurais pu aller frapper autre part. Mais si c’est pour entendre le genre de discours habituel, ça ne m’intéresse pas. Je le connais par cœur.

Vous êtes au courant de ce terrible attentat à la station du métro Saint- Michel. Ma fille se trouvait là par hasard. Elle a été tuée sur le coup. Depuis, tout a basculé. Je suis complètement perdue. Je suis venue vous demander si vous, Jacques Gaillot, vous croyez qu’après la mort, il y a quelque chose ? »

« Oui, je crois qu’après la mort, quelqu’un m’attendra et m’accueillera : le Christ lui-même. Pour moi la vie ne s’arrête pas à la mort. Elle est un passage. J’entrerai dans la Vie. Nous sommes faits pour être des vivants, et des vivants dès maintenant. Je me sens relié à toutes les personnes connues et aimées qui sont mortes. Le lien de l’amour subsiste. C’est une longue chaîne entre la terre et le ciel. Nul ne saurait la rompre. »

« J’aimerais croire comme vous, mais je ne suis pas croyante. Bien sûr j’ai été baptisée. J’ai quelque fois essayé de prier ; mais je ne sais pas. Dans mon désespoir, je me surprends à parler à Dieu. Mais est-ce bien à lui que je m’adresse ? »

« Je parle à Dieu moi aussi dans la prière, comme dans une conversation. Ce matin avant votre arrivée j’ai parlé à Dieu : « Donne-moi d’être proche de ceux que je vais rencontrer aujourd’hui. Que l’amour qui vient de toi touche leur cœur. »

Voyez, sans même vous connaître je vous ai déjà confiée à Dieu. »

« Ma fille, elle, vivait avec intensité le moment présent. Et moi, je ne vis plus ; je n’ai le goût à rien. J’ai le sentiment d’être entrée dans la mort. Je travaille parce qu’il le faut bien. A la maison, avec mon mari et mon autre fille, nous ne parlons plus de ce drame. C’est tabou, alors que c’est la seule chose qui compte. Nous avons peur. Nous nous jouons la comédie.

Elle me tendit le bras où je pouvais voir la montre de sa fille que l’on avait retrouvée. Elle l’avait mise en place de la sienne, comme si, à travers ce simple objet, la vie pouvait repartir.

« Je voudrais vivre comme elle. Mais je ne peux pas. »

« Vous reconnaissez en elle ce que vous voudriez vivre. Votre fille vous appelle à vivre. »

« Ma vie est à réinventer. »

D’un commun accord, nous sommes partis déjeuner ensemble. Elle n’avait plus tellement besoin de parler. Je la regardais manger. J’avais plaisir à la voir reprendre des forces pour la route.

Puis nous nous sommes séparés. Je la vis se fondre dans la foule.

L’église Saint-Germain-des-Prés était proche. J’y suis entré pour aller prier : « Seigneur, cette femme que tu aimes est dans le désarroi. Guéris sa blessure, donne-lui la force de réinventer sa vie. »

Quelques mois plus tard, à l’occasion de la fête de Noël, elle m’envoya une magnifique carte avec ses simples mots :

« Je reprends goût à la vie. »

Ces paroles m’ont donné joie et réconfort. L’important n’est-il pas d’être des vivants, aujourd’hui, avant la mort ? Sa fille qui a trouvé la mort au métro Saint Michel aimait la vie, l’amitié, la rencontre, le partage. Elle vivait intensément le moment présent. La vie valait la peine d’être vécue. On peut dire qu’elle a dansé sa vie !

Sa mère reprend goût à la vie. Comme sa fille, elle aura un visage qui sourit à la vie. Elle aimera l’amitié, la rencontre, au risque d’étonner son entourage. Elle prendra soin de la vie des autres avec tendresse.

La spiritualité est un art de vivre, une sagesse qui donne du sens et qui inspire nos choix et nos engagements.

Etre spirituel, n’est-ce pas avoir trouvé son propre souffle ?

L’humain d’abord

Dans le célèbre cimetière parisien du Père Lachaise, la foule se presse sous la coupole du crématorium. Celui que tout le monde appelle par son prénom « Guy » nous rassemble autour de son cercueil. Guy est un militant toujours sur la brèche, un syndicaliste engagé, un athée convaincu, volontiers anticlérical. Comment oublier son langage truculent, ses indignations enflammées ?

Il est mort à quelques semaines de sa retraite. Je n’imaginais pas qu’il ait pu tenir une si grande place dans les cœurs de cette foule. Invité à prendre la parole, je me tournai vers le cercueil :

« Guy, notre ami, notre frère, toi l’homme au grand cœur, tu nous as surpris une fois de plus en nous quittant sans prévenir, sans rien dire… » J’évoquais un souvenir au début d’un repas à l’association des sans-logis, il s’était levé pour prendre la parole.

« Je vais vous dire ce qui fait la supériorité des incroyants sur les croyants. Les croyants agissent pour les autres en vue d’avoir une récompense dans le ciel. Nous, les incroyants, comme on ne croit pas au ciel, on n’attend pas de récompense. On agit pour les autres, tout simplement. Les autres nous suffisent. »

Guy était visiblement heureux de sa découverte. Et moi j’admirais sa finale. Elle était la signature de sa vie.

« Guy, notre ami, notre frère, toi l’homme au grand cœur, merci d’avoir été le joyeux compagnon de nos rencontres. Toi qui affirmais souvent « l’humain d’abord » merci d’avoir été du côté des opprimés. »

Quand Guy prenait la parole, je l’écoutais volontiers car il parlait bien de l’homme. En parlant bien de l’homme, il me disait quelque chose de Dieu, alors que les discours sur Dieu ne me parlent plus guère aujourd’hui.

Quand je le rencontrais pour partager un repas avec lui, je ne pouvais rester indifférent : il me tenait en éveil.

« Je ne voudrais plus voir le soleil se lever.

Je ne voudrais plus voir le soleil se coucher… »

Ainsi s’exprimait Jean-Pôl, 30 ans, dans un dernier poème qu’il me fit parvenir.

Il était comme un oiseau blessé qui ne savait pas où se poser. Libertaire, anticlérical, écorché vif, il se sentait mal dans sa peau. Il lui arrivait de toucher à la drogue et à l’alcool. Jean-Pôl connaissait ses fragilités et ses blessures, mais son cœur était plein de tendresse.

Je le rencontrais de temps en temps lors des manifestations des sans- papiers. Il aimait me parler. Un jour, il réalisa un souhait qui lui était cher : m’inviter dans un restaurant qu’il connaissait sur la colline de Montmartre. Ce soir-là, il était aux anges. J’étais heureux d’être avec lui, en face de lui. Dans sa fragilité, il m’apparaissait tellement humain ! Son visage était beau. Il me parla avec enthousiasme de son projet de partir prochainement pour la Dordogne avec sa compagne qui était tout pour lui.

Je n’imaginais pas que ce dîner serait un repas d’adieu. La Dordogne fut pour lui un échec et la séparation d’avec sa compagne un drame. On retrouva Jean-Pôl pendu à un arbre.

Quelques jours après, je reçus sa dernière lettre accompagnée d’un poème.

« Eh bien voilà, c’est fait. J’ai décidé de débarrasser cette putain de terre de mon mal-être…J’ai mal, tu sais. Je suis une boule de haine. Je suis arrivé pourtant en Dordogne avec plein d’espoir.

Le cynisme m’habite. Je me hais. J’aurais tant voulu être utile, mais tout ce que j’ai vécu est pitoyable.

Je m’en veux mon cher Jacques, de te faire de la peine. Mais que veux-tu, tu es la seule personne à qui je peux me confier. »

Une étoile s’est éteinte.

Le suicide de Jean-Pôl est un cri à la vie qu’il nous lance. Il aurait tant voulu vivre, aimer et être aimé !

Je pense qu’il n’existe pas de relations simplement horizontales qui seraient coupées d’une relation à Dieu. Une rencontre humaine vraie est déjà riche de la vie même de Dieu.

Ce poème de Paul Eluard, comment ne pas le dédier à Jean-Pôl ?

La nuit n’est jamais complète

Il y a toujours puisque je le dis

Puisque je l’affirme

Au bout du chagrin

Une fenêtre ouverte

Une fenêtre éclairée

Il y a toujours un rêve qui veille

Désir à combler

Faim à satisfaire

Un cœur généreux

Une main tenue

Une main ouverte

Des yeux attentifs

Une vie,

La VIE à se partager.

Aller jusqu’au bout

Jean-Jacques est avocat, un ami proche depuis plus de trente ans. Malade, Il est parti vite, sans inquiéter personne. Je lui avais téléphoné peu de temps auparavant pour prendre des nouvelles de sa santé. Il m’avait répondu : « Je suis en voiture. Je vais à la prison de Fresnes pour voir Marina. »

Marina est une Italienne, en grève de la faim, menacée d’extradition dans son pays. Je me disais en moi-même avec admiration :

« Jean-Jacques est malade. Il a quatre-vingt ans passés. Quel courage de prendre sa voiture et d’aller voir en prison une femme en détresse ! »

Tel était Jean-Jacques. Il allait vers les gens. Il ne mettait pas de limites.

Défenseur sans frontières des droits humains, avocat des minorités, il défendait pendant la guerre d’Algérie, les militants algériens en prison qui luttaient pour l’indépendance de leur pays. Il défendait les Canaques de la Nouvelle-Calédonie, les paysans du Larzac, les objecteurs de conscience, les militants anti OGM (organisme génétiquement modifiés), les chômeurs, les prisonniers Kurdes, basques ou italiens menacés d’extradition. Que de fois Jean-Jacques m’a dit : « Tu ne pourrais pas venir au tribunal ? Ce serait bien que tu sois là. »

Jean-Jacques m’a appris à reconnaître la grandeur de l’homme qui peut se passer de Dieu

Au cimetière du Père Lachaise, dans la chaleur moite d’un après-midi d’août, la foule se presse au crématorium.

Quand mon tour fut venu de prendre la parole, j’étais gagné par l’émotion : « Jean-Jacques, toi que nous aimons, tu n’as cessé de sortir, pour te porter là où des femmes et des hommes étaient en danger. Jusqu’à la fin de ta vie, tu auras rencontré l’être humain opprimé. Tu n’iras pas plus loin. »

« Toi, l’avocat des opprimés, tu as été une espérance pour les pauvres. »

« Moi, je les aime tellement que je les trouve beaux »

Il y a longtemps, je visitais une maison pour personnes ayant de lourds handicaps, dans un village de Normandie. Un éducateur m’accompagnait dans les différentes salles. Je passais à côté de ces corps désarticulés, ces visages défaits dont on aurait dit qu’ils étaient revêtus d’un masque de laideur. Leurs cris m’étaient insupportables.

J’étais troublé et mal à l’aise. L’éducateur qui s’était aperçu de mon trouble me regarda et me dit cette parole extraordinaire que je ne saurais oublier : « Moi, je les aime tellement que je les trouve beaux. »

Cette parole me transperça. Un chemin s’ouvrait à moi pour me faire découvrir mes propres fragilités. Je compris qu’aimer ce n’était pas faire des choses pour quelqu’un, c’était lui révéler qu’il était beau. On a raison de dire que le bonheur, c’est de se savoir beau dans le regard des autres. Cet éducateur avait un cœur de « chair » et non par un cœur de « pierre ». Il était capable de trouver les gestes et les mots pour dire à chacun et chacune : « Tu es important ! Je t’aime. Avec tes blessures, tes fragilités, tu peux grandir et être toi-même. »

Ces rencontres de la vie quotidienne sont une invitation à demeurer proche de l’humain et des réalités sociales

Elles rendent attentifs à la dimension du divin qui s’ouvre à partir du visage.

C’est en acceptant de passer par l’humanité des autres, avec toute leur épaisseur, que l’on peut s’ouvrir au mystère de Dieu.

Ce n’est pas la spiritualité du « Dieu et moi » qui court-circuite les autres. Une spiritualité désincarnée mène à l’impasse.

La spiritualité de l’Evangile n’invite pas à l’isolement, mais à la solidarité. « Le Verbe s’est fait chair et Il a habité parmi nous ».

La spiritualité ne se construit pas hors des bouleversements et des conflits de la société, mais avec ceux qui souffrent et qui luttent pour avoir le droit d’être eux-mêmes. Car il s’agit de construire un monde dans lequel chacun existe pour l’autre

Jacques Gaillot
Evêque de Partenia
Paris 13 juillet 2016

PDF: Jacques GAILLOT Le visage est sens à lui seul

Lignes directrices génèrales pour les mois de Nazareth

Fernando Tapia Miranda, prêtre.
Responsable Panamericain de IESUS CARITAS.

La Première Assemblée Panamericaine de notre Fraternité sacerdotale qui s’est tenue à Cuernavaca, au Mexique, en février 2015, a proposé à l’équipe internationale la « convocation d’une équipe de quatre personnes pour réaliser une étude spécifique sur l’identité, les objectifs, le contenu et les modalités du mois de Nazareth. Ceci permettra de rédiger un document avec des orientations communes, en respectant les spécificités culturelles de chaque pays. Ce document serait soumis pour approbation à la prochaine Assemblée générale « 1.

L’équipe internationale a accueilli favorablement cette proposition et lors de sa réunion en octobre 2016, a décidé de demander à Manuel Pozo (Espagne), Jean Michel Bortheirie (France) et Fernando Tapia (Chili), de mettre en oeuvre cette Commission et de rédiger un article sur le mois de Nazareth.

Les trois ont accepté cette session et ont travaillé à partir de leur lieux d’origine, étudiant les articles les bulletins d’information IESUS CARITAS à propos du Mois de Nazareth, et collectant des expériences et des documents déjà écrits sur les mois de Nazareth précédents de différents pays.

Enfin, nous nous sommes rencontrés à Almeria (Espagne) du 20 au 24 février 2017 pour faire notre travail. Manuel Pozo nous a accueillis dans sa paroisse Nuestra Señora de Monserrat avec un gran esprit fraternel.

Nous avons commencé notre journée par l’adoration eucharistique et les laudes et fini dans l’après-midi avec l’Eucharistie dans la communauté paroissiale.

Les trois avaient l`expérience d’avoir vecu le mois de Nazareth, et c’est pour cela que le travail était très fluide, très participatif et très agréable. Le principal cadre inspiration était pour nous le texte approuvé à l’Assemblée internationale réalisée par notre Fraternité, en Algérie, en 1982, intitulée « Le mois de Nazareth » et qui a été incorporée dans les dernières éditions du Directoire.

Notre travail s’adresse principalement aux responsables régionaux et à leurs équipes, comme aux coordinateurs des mois de Nazareth et à leurs équipes. Il contient une première partie avec les orientations générales en ce qui concerne le mois de Nazareth, ses objectifs, les modalités de sa réalisation, le profil du coordinateur, sa réalisation, et le déroulement de chaque jour.

Il a aussi une deuxième partie (plus longue) avec les schémas des thèmes, les questions pour les travail personnel ou en groupe et des schémas pour les méditations de la semaine de retraite, avec des exercices pour la prière personnelle. Ce sera une aide pour les animateurs qui préparent les thèmes de réflexion et les méditations de la retraite.

Nous rendons grâce à Dieu pour la possibilité qui nous a été donnée de collaborer à cet important travail pour nos fraternités et nous le remettons entre les mains de l’équipe internationale qui nous a demandé ce service.

Almería, le 25 Février 2017.

Référence : 1. Assemblée panaméricaine, document « Construire ensemble notre avenir. Propositions de croissance pour nos fraternités », février 2016.

PDF: LIGNES DIRECTRICES GÉNÈRALES POUR LE MOIS DE NAZARETH, fr

WEND BE NE DO, un projet né au sein des Fraternités

WEND BE NE DO est né d’un esprit uni entre le Burkina Faso et l’Espagne à travers les fraternités de Charles de FOUCAULD. Le fait d’aller auprès des plus defavorisés, d’être avec eux, de travailler pour eux , de nous situer à la périphérie d’un monde aisé où nous vivons quotidiennement, constitue un défi que la Fondation Tienda Asilo de San Pedro de Carthagène a pris sérieusement dès l’an 2005 et , en même temps ce défi a été aussi pris par toutes les personnes, organisations, institutions et paroisses qui nous ont aidé et nous aident encore à continuer avec un projet qui rend amoureux, qui nous fait sentir que cela vaut la peine de travailler pour les gens du Burkina Faso et spécialement pour les enfants, les adolescents , les jeunes et les adultes de WBND dans le domaine de Bam, touchés par le VIH-sida. On a constaté que le projet s’élargit, qu’il grandit, que les personnes vont mieux, que c’est comme une grande famille où personne n’est exclue. C’est un espace humain où on n’est pas étranger, bien que notre peau nous trahisse en nous montrant comme des occidentaux.

PDF: Rapport WBND Janvier 2017, fr