Jean-Pierre LANGLOIS (Québec), Journal d’avril 2017, Tamanrasset

1. Pour le moment, je me sens comme en plein été (30 degrés et plus), et le printemps n’est même pas terminé ! Les mois chauds sont encore à venir. Mais à chaque jour suffit sa peine. Je m’acclimate doucement, et sors de mon cocon un peu plus.

Le jardin devant la maison s’est agrandi cette semaine d’un minuscule jacaranda, à fleur bleue-violette. S’il prend bien malgré le sol assez pauvre du secteur, il fera de l’ombre au citronnier, au grenadier, à l’olivier et à l’oranger, sans parler des 2 cotonniers, des 5 plants de vigne et du laurier rose… Magnifique !

J’ai semé des graines de légumes en vain, mais mon ami et gardien Issa a réussi à faire pousser betteraves, carottes, tomates et oignons, 2 ou 3 courgettes. Si tout cela donne en temps voulu, ce sera bien sympathique ! Je vois pousser tout cela avec… étonnement ! Je suis vraiment un gars de la ville.

2. Dernièrement, je suis monté sur le toit du presbytère pour le nettoyer des épines de tamaris accumulées depuis les pluies de l’été dernier. Ce n’était pas un luxe.

Un visiteur français, Pierre, infirmier de son métier, est venu passer plusieurs semaines à Tam en fin de pèlerinage à Jérusalem. Il est devenu maître d’œuvre pour réparer le toit du presbytère car des joints de la toiture avec le voisin laissaient passer l’eau de pluie. Il ne pleut pas souvent, mais il pleut assez fort lorsque cela arrive. Or les murs sont en pisé, -argile paille et petite roches-. Cela se dégrade facilement sous les coulisses d’eau venant du toit… Avec le gardien du jardin, du nom d’Issa, un Camerounais, ils ont couvert à la longueur de l’édifice le mur mitoyen et colmaté quelques autres brèches. Un beau travail.

Mardi le 25 avril, Pierre et moi avons installé une douzaine de panneaux expliquant en français et en arabe le parcours de vie de Frère Charles au fortin (bordj) où il est mort en 1916. Cela devrait être plus agréable et attirant à regarder et à commenter lors de la visite des « touristes » à Tam. Doucement des « pèlerins » viennent de nouveau par ici, mais au compte-gouttes pour le moment.

3. Les quelques chrétiens reconnus – les migrants évitent souvent de se faire reconnaître comme chrétiens, leur statut précaire est déjà suffisamment lourd pour ne pas en ajouter une couche supplémentaire d’handicap – nous ne sommes pas mal vus par la population locale. Elle est indifférente peut-être, ne connaît pas le christianisme et ne peut pas avoir de points de repères.

Les gens ne savent pas ce que signifie Pâques pour nous, d’autant plus que le Coran enseigne que le Christ Jésus n’est pas mort sur la croix, mais a été emporté vivant au Paradis. Alors dimanche 16 avril, jour de Pâques, c’était pour la population le premier jour de travail de la semaine, sans plus. Pas de chocolat, pas de fleurs, pas de rencontres familiales, rien de particulier à signaler. Cela m’invite à retrouver avant tout le sens intérieur de la fête; et ce n’est pas plus mal pour moi, bien au contraire.

La communauté réunie à la veillée pascale

Par ailleurs, nous n’avons pas à nous défendre d’être chrétiens. Nous avons plutôt bonne réputation, individuellement. Les autorités craignent seulement que nous soyons des espions à la solde de nos pays respectifs. Et les amis algériens que le temps a pu permettre de rencontrer, ils nous ouvrent leurs pensées et leurs cœurs, partageant volontiers avec nous le repas ou des activités. Mais il s’agit là de quelques individus ou familles, très loin de la majorité des gens côtoyés seulement.

4. Il n’y a pas de clocher à la chapelle dont on se sert, et on ne sonne pas la cloche comme au Québec. Nous sommes une infime minorité, plus ou moins une cinquantaine de personnes chrétiennes pour au moins 120 000 habitants. Il est de mise de ne pas avoir d’indications publicitaires à l’extérieur, sur la rue.  Il n’y a donc qu’un moyen de venir participer aux célébrations ou de prendre contact avec nous : comme vous le devinez, le bouche-à-oreilles. Mais c’est très efficace, sinon toujours précis. Car il n’y a pas d’adresse civique, ni de nom de rue. On se rend chez les gens en demandant le nom du quartier, l’édifice remarquable du coin, et puis, on s’informe aux passants, aux personnes croisées sur la route. C’est aussi le cas pour la communauté chrétienne. Les migrants qui y viennent, une vingtaine environ, ne restent pas non plus toujours longtemps sur place. Ils laissent leur place à d’autres, puis à d’autres…

5. La liturgie étant particulièrement simplifiée en région éloignée, et les autres membres de l’équipe d’animation à Tam étant très ouverts, nous avons vécu des jours saints sans carcan mais dans le recueillement et une belle sinon grande participation ! Et la Semaine Sainte fut très significative par son dépouillement même. La célébration de ce Jeudi saint était par exemple des plus intimes, une quinzaine de personnes, mais cela me faisait tellement penser à ce qu’a pu être la première célébration au Cénacle…

Le soir du Jeudi saint avec des petits frères de Jésus venus de l’Assekrem

6. Je devrais passer une quinzaine de jours à la mi-mai à l’Assekrem, l’ermitage de Frère Charles, à 70 km de Tam, au désert. Une belle aventure !

« Que ce Jésus Ressuscité continue de nous faire vivre à plein notre pèlerinage vers le Royaume ! »
27 avril 2017                                       Pedro

PDF: Journal d’avril 2017

Honoré SAWADOGO (Burkina Faso): Recollection avec les Fraternités de L’Île de France, de Basse et de Haute Normandie

Chers confrères, c’est précisément depuis le 11 décembre 2015 que notre frère Yves de Malmann, m’a contacté, en votre nom à tous, pour m’inviter à venir vivre ce temps de recollection avec vous. Nos échanges ont été très fraternels et nous avons préparé petit-à-petit cette rencontre en tenant compte de vos souhaits et de vos recommandations. Je voudrais alors remercier très cordialement votre fraternité, le Père Yves, votre responsable, ses collaborateurs et chacun de vous pour m’avoir invité à me joindre à vous pour prier et célébrer le centenaire de la mort de Frère Charles. Cette rencontre-ci est ma deuxième rencontre avec des confrères de France. La toute première était en octobre-novembre 2009. J’avais eu la grande joie de prendre part au mois de Nazareth à Marsanne dans le diocèse de Valence. C’est là que j’ai connu notre Frère Jean-François Berjonneau que je suis très heureux de retrouver. J’étais encore aux études à Rome l’année passée et ne pensais pas que j’allais pouvoir finir et retourner chez moi. Mais la providence aidant, j’ai pu conclure mes études et suis rentré en septembre dernier. Malgré la distance entre le Burkina et la France, le Père Yves m’a encouragé à venir et je crois que cela en vaut la peine. Le Christ nous a-t-il pas recommandé d’annoncer sa Parole jusqu’aux extrémités du monde ? Les extrémités du monde peuvent être considérées de façon spatiale, temporelle et existentielle. De façon temporelle nous ne finirons jamais d’annoncer sa Parole, au plan spatial nous ne serions jamais parti trop loin pour l’annoncer et enfin de façon existentielle, il n’y a aucune réalité de la vie humaine et universelle qui ne soit en attente de la Bonne Nouvelle. Considérant tout cela, je suis venu, et je suis très content de pouvoir vivre ces instants de prière et de fraternité avec vous. Je vous remercie de tout cœur pour votre accueil, votre affection fraternelle et votre présence.

Présentation du thème

Le thème qui guidera le déroulement de ce partage que je voudrais faire avec vous est celui que l’équipe responsable nous a proposé dans sa lettre du 3 septembre : « Comment la spiritualité eucharistique de Frère Charles peut éclairer la nôtre aujourd’hui ? » Ce thème est le résultat de vos différents échanges. Le Père Yves m’en a fait l’écho à plusieurs reprises. Il m’avait en effet fait plusieurs suggestions que j’essayerai d’inclure au cours de cette causerie : « Charles de Foucauld et l’eucharistie », saisir « l’actualité de l’Adoration à partir de celle de Frère Charles »; « l’actualité de la dévotion eucharistique – et particulièrement l’Adoration – à la lumière de cet itinéraire spirituel : Le langage, les formes et les expressions du XIX° siècle ne sont plus les nôtres ; comment vivre, traduire et exprimer cela aujourd’hui ? ».

Document complet au prochain lien:

Honoré SAWADOGO (Burkina Faso) Recollection Fraternités Île de France, Basse et Haute Normandie

Honoré SAWADOGO (Burkina Faso): Le réception, encore nouvelle, de la figure de Frère Charles en Afrique noire

Le thème qui fera l’objet de ce partage est le suivant : « la réception, encore nouvelle, de la figure de Frère Charles en Afrique noire ». Il s’agit là aussi de la proposition de l’équipe de responsable. Voici les suggestion qui m’ont été faites en amont : « la découverte des Fraternités sur le continent africain », « Chez nous (en Europe, en France) nos fraternités sont très vieillissantes, et plutôt ignorées de nos jeunes confrères : Manifester que le charisme de Charles de Foucaud « séduit » aujourd’hui des prêtres dans des Églises jeunes, est aussi important » mais « les lettres et témoignages de l’équipe internationale, ou de ceux qui ont l’occasion de se rendre en Afrique, nous réchauffent le cœur, dans ce qu’ils nous disent de la façon dont, peu à peu, la spiritualité de Frère Charles, trouve un écho dans un certain nombre de pays, chez nos confrères africains ».

Je n’ai pas la prétention de pouvoir vous parler de ce thème tel qu’il est formulé. Non seulement l’Afrique Noire est très vaste et variée, mais il manque surtout de supports écrits sur lesquels il faut se baser. En plus, il me semble que l’objectif du thème n’est pas la collection d’informations sur les fraternités africaines, mais l’écoute du témoignage d’un confrère africain afin de pouvoir échanger avec lui en vue de la croissance de l’espérance de part et d’autre. C’est pourquoi, je voudrais surtout faire un partage sur ma propre rencontre de Charles de Foucauld et aussi dire quelques choses sur la réception de Charles de Foucauld dans mon diocèse, au Burkina Faso et dans nos pays voisins.

La réception de Charles de Foucauld en Afrique Noire : un modèle, Baba Simon

Le temps ne m’a pas permis de faire des recherches historiques sur la réception de Charles de Foucauld en Afrique Noire. Il y a toutefois le cas d’un prêtre très renommé du Cameroun, Baba Simon. Vous le connaissez certainement mieux que moi. J’ai rarement entendu parler de lui et c’est sur internet que j’ai pu voir quelques informations le concernant. Il fait partie des premiers africains noirs qui ont découvert l’héritage spirituel de Charles de Foucauld et l’ont vécu de façon profonde. Il est né en 1906 à Batombé, baptisé en 1918 et ordonné prêtre en 1935. Il a découvert Charles de Foucauld à travers la Petite Sœur Madeleine et René Voillaume, fondateurs respectifs des Petites sœurs et des Petits frères de Jésus dans la spiritualité de Charles de Foucauld. Il a trouvé dans la spiritualité de Charles de Foucauld « le chemin qu’il cherchait depuis longtemps ». Il est l’un des cofondateurs de la Fraternité Jésus Caritas au plan international, et en est le premier responsable en Afrique. En 1959, il part dans le nord du Cameroun pour s’installer à Tokombéré dans le diocèse de Maroua-Mokolo, parmi les Kirdis. Il partage leur vie de pauvreté, et lutte contre la misère. Son évangélisation est empreinte de prière et de charité. Respectant leurs traditions, et y voyant la marque de la présence de Dieu, « Baba Simon » devient le « chantre de la kirditude ». Épuisé, il meurt le 13 août 1975 à Édéa. Son procès de béatification est en cours.

La réception de Charles de Foucauld dans le diocèse de Ouahigouya

Le Petit Frère Emmanuel Kalmogo: C’est le premier prêtre diocésain de mon diocèse. Il est né en 1935, ordonné prêtre en 1960 et est décédé en 2011. Sa spiritualité foucauldienne était très discrète. Personnellement c’est seulement à l’occasion de la fondation du Monastère Jésus Sauveur de Honda que j’ai su qu’il s’inspirait de Charles de Foucauld. Sa vie sacerdotale était empreinte de simplicité et même d’austérité. Certains de ses confrères le désignaient comme un moine perdu dans l’apostolat. Il ressentait en effet un appel à la vie monastique qu’il a mis du temps avant de reconnaître et d’assumer. Malgré ses grandes capacités intellectuelles et rhétoriques, son immense connaissance de notre tradition locale, il a toujours voulu occuper la dernière place. Tout au long de son ministère sacerdotal, il menait une vie simple, passant souvent ses congés ou vacances au village en menant les activités quotidiennes des paysans. Il est resté austère jusqu’à ses derniers jours. J’ai eu l’occasion de travailler avec lui dans le cadre de la formation des aspirants du monastère de Honda dont il était le premier co-fondateur avec notre évêque d’alors Philippe Ouédraogo, maintenant archevêque de Ouagadougou et cardinal.

Le Monastère Jésus Sauveur de Honda

Le Monastère de Honda est la co-fondation de deux confrères de la Fraternité Sacerdotale Jesus Caritas: Philippe Ouédraogo et Emmanuel Kalmogo. Mgr Philippe a été ordonné évèque du diocèse de Ouahigouya en 1996. Il voulait deux communautés de contemplatifs féminins et masculins pour soutenir l’œuvre de l’évangélisation dans son diocèse à dominance musulmane (seulement 4% de chrétiens). Il chercha en vain des communautés de moines et de moniales et interpréta la situation comme une invitation à fonder. Avec le concours de son Prêtre Emmanuel Kalmogo, la fondation du Monastère de Honda commença le 15 août 2001. Le Monastère s’inspire de trois sources : La tradition bénédictine dans son expression cistercienne de la stricte observance, l’expérience spirituelle de Charles de Foucauld et la Culture africaine, celle des mossi en particulier. Les moines de Honda sont donc des cisterciens de la stricte observance qui veulent être des moines missionnaire à la suite de Charles de Foucauld tout en inculturant leur expérience monastique. Selon leur projet constitutionnel, ils veulent « vivre dans le silence, la prière, le travail manuel, l’étude continuelle des choses de Dieu ». « Par leur silence, leur prière, leur travail, leur effort de sanctification de leur personne, ils donnent tout et continuellement à Dieu » pour que « Jésus sauve ceux qui n’ont pas encore entendu l’évangile ou pas encore accueilli ». Ils sont moines missionnaires selon l’inspiration et le modèle de Charles de Foucauld. Présentement il y a quatre moines profès, un novice, un pré postulat et quelques candidats.

Avec le décès du premier fondateur et le transfert du deuxième co-fondateur, le monastère est quelque peu orphelin. Le niveau de scolarisation des candidats est très bas, ils sont déterminés mais la bonne volonté ne suffit. Ils ont besoin d’une présence sacerdotales, ou au mieux, la présence d’un « Père Abbé » pour les accompagner. Ayant participé à leur formation en 2003-2004 puis de 2007 à 2011, j’ai profité de mes études à Rome pour me cultiver davantage sur la spiritualité Monastique à Saint Anselme. J’ai été chargé cette année d’organiser leur formation mais je suis nommé au Petit Séminaire à plein temps. Je compte y passer les congés de Noël, de Pâques et une bonne partie des grandes vacances. Il y a aussi d’autres personnes qui y vont de temps à autre pour les aider. Si quelqu’un parmi vous est intéressé par une année sabbatique ou un service fidei donum au milieu d’eux, vous serez accueillis à bras ouvert. Jean-Michel Bortheirie, un frère d’une fraternité de Limoges a déjà fait un séjour d’environ un mois et sa présence les a beaucoup marqués. Il leur a donné une petite formation sur les vertus.

Les Fraternités sacerdotales et la famille foucauldienne au Burkina

Charles de Foucauld est assez bien connu au Burkina Faso à travers les Petites Sœurs de Jésus – qui ont deux fraternités dans les diocèses de Ouagadougou et de Kaya – les Fraternités laïques, les Fraternités sacerdotales et quelques vierges consacrées. À ma connaissance, il n’y pas encore de diocèse où il y a des Fraternités bien structurées et bien fonctionnelles. Il y a bien de nombreux prêtres diocésains qui s’inspirent de Charles de Foucauld, mais les rencontres ne sont pas régulières, elles sont plutôt sporadiques. Il y a aussi des rencontres au niveau national et notre responsable national est l’abbé Jean Zougouri. Toujours au niveau national, les fraternités laïques sont plus dynamiques. Grâce à elles et avec la collaboration des Petites Sœurs et des membres de la Fraternité Sacerdotale nationale, la famille foucauldienne vit chaque année des activités communes : une année sur deux, il y a une formation sur la spiritualité de Charles de Foucauld qui dure trois à quatre jours ou une retraite d’une semaine. Pour les retraites, le Burkina accueille également des membres des Fraternités sacerdotales ou laïques du Niger, du Benin et du Togo. La dernière retraite, il y a deux ans, comptait au tour de 150 participants dont de nombreux fidèles laïcs, des prêtres, des religieux et des religieuses. La famille foucauldienne au niveau national a un projet d’une construction d’un centre spirituel sous forme d’ermitage. Elle a pu acquérir un terrain de quelques hectares où ils arbres ont déjà été plantés. Pour la célébration du centenaire de la mort de Charles de Foucauld, la Famille foucauldienne a organisé une célébration nationale à Ouagadougou.

Wend Benedo, un projet social de la Fraternité Sacerdotale du Burkina

La Fraternité Sacerdotale nationale a pu mettre sur pieds un projet à caractère social. Il s’agit d’une structure d’accompagnement des personnes vivant avec le Sida. L’accompagnement est comporte une dimension médicale et sociale. Le projet accompagne les malades du Sida pour leur faciliter l’accès aux traitements médicaux adéquats. Il constitue aussi un lieu d’écoute de ses personnes très stigmatisées. Il y a aussi les personnes touchées par la maladie ou le décès de leurs proches. Aurelio Sanz Baeza, le responsable international de la Fraternité Jesus Caritas, depuis la Fondation Tienda Asilo de San Pedro de Carthagène, Espagne, est un partenaire et un accompagnateur de ce projet confié à la gestion d’une Vierge consacrée.

Nos mois de Nazareth :

Le Burkina Faso a déjà organisé un mois de Nazareth en 2007 qui a vu la participation de confrères venus de la sous région et même du Madagascar. Les autres composantes de la Famille foucauldienne au Burkina Faso ont activement participé à certaines activités du mois. J’ai personnellement voulu participer à ce mois mais Mgr Philippe dont j’étais le secrétaire y participait déjà et je devais rester pour garder la maison. Il y a aussi eu un mois de Nazareth au Maroc en novembre 2008 en anglais mais là aussi, nous étions en pleine préparation du jubilé d’or de notre diocèse. Le tout dernier mois de Nazareth a été organisé au Cameroun en 2014 ou 2015. Il semble qu’un autre mois de Nazareth sera organisé prochainement au Burkina Faso. L’organisation des mois de Nazareth témoigne de l’existence et de la dynamique des jeunes fraternités d’Afrique. Elles sont souvent confrontées aux grandes distances et au manque des moyens pour se rencontre de façon régulière.

Charles de Foucauld peu connu en Afrique Anglophone ?

Je n’ai pas connaissance de l’existence de nombreuses Fraternités Jesus Caritas dans les pays anglophones de l’Afrique (il semble qu’il y en a au Kenya). Il faudrait que je m’informe davantage. Il semble cependant que Charles de Foucauld est très peu connu dans le milieu anglophone africain. C’est un défi pour les fraternités Africaines.

Ma rencontre avec Charles de Foucauld et mon expérience de Fraternité

Mes premiers contacts avec Charles de Foucauld datent de 2000 à travers un livret, 30 jours avec Charles de Foucauld. C’était un livre qui proposait un cheminement d’un mois de prière au rythme de l’itinéraire et de l’enseignement spirituel du Frère Charles. son expérience spirituelle m’a paru très authentique, très simple et très essentielle. Elle m’a beaucoup attiré mais aussi effrayé. Les liens avec Charles de Foucauld se sont ensuite consolidés durant mon année de stage pastoral en 2003-2004. La fondation du Monastère Jésus Sauveur de Honda, d’inspiration foucauldienne (moines missionnaires par la vie de Nazareth: Évangile, Eucharistie, enfouissement, charité), était à ses  débuts. J’avais été sollicité pour aider à la formation des candidats dont le niveau de scolarisation était moyen. Cela m’a permis de connaître davantage Charles de Foucauld et sa spiritualité. Après mon ordination sacerdotale, j’ai continué à assurer la formation au Monastère durant une ou deux semaines par an. Au niveau du diocèse de Ouahigouya, les prêtres de la fraternité Iesus Caritas n’étaient pas assez nombreux pour former une fraternité. Il y avait des sympathisants mais pas de fermes engagements. Pendant 5 ans j’ai cheminé avec une fraternité laïque qui était plus régulière dans ses rencontres: une rencontre par mois avec une heure d’adoration, la messe et un peu de partage. Nous avions aussi quelques récollections et des sorties spirituelles ensemble.

Un des points culminants de ma connaissance de l’héritage spirituelle de Charles de Foucauld fut le mois de Nazareth à Marsanne (diocèse de valence si je ne ma trompe) en octobre-novembre 2009. Les 5 ans d’étude à Rome ont aussi été une précieuse occasion d’approfondissement de la spiritualité foucauldienne. J’ai aussi eu l’occasion de participé à une vie de Fraternité sacerdotale de façon régulière. Nous nous rencontrions une fois par mois à Tre Fontane chez les Petites sœurs pour une heure d’adoration, la prière des vêpres, un partage fraternel et un repas du soir.

Conclusion : Remarques conclusives

La spiritualité de Charles de Foucauld est made in Africa for Africa : On peut nourrir l’espérance que la spiritualité foucauldienne connaîtra un plus grand essor en Afrique. En effet, Charles de Foucauld est arrivé en Afrique avec une véritable maturité spirituelle mais sa spiritualité a pris une belle couleur africaine. La confrontation et l’adaptation permanente de son expérience spirituelle, pastorale et missionnaire aux réalités de l’Afrique saharienne lui ont forgé une spécificité qui séduit et attire. En outre, les conditions pastorales vécues par Charles de Foucauld, notamment la dominance de l’Islam et la progressive radicalisation de nombreux musulmans, sont toujours d’actualité. L’Afrique sub-saharienne, présentement frappée par le fléau de l’Islam radical en croissance, a besoin d’une spiritualité ouverte, tolérante, persévérante, disposée et adaptée au dialogue avec l’Islam comme celle de Charles de Foucauld.

Une expérience spirituelle universelle et essentielle : L’expérience spirituelle de Charles de Foucauld a un caractère universel ou polyvalent. Son expérience spirituelle est comme une grande source faite de plusieurs ruisseaux. Charles de Foucauld s’est modelé au rythme de diverses spiritualités à telle enseigne que l’on peut facilement se trouver à l’aise avec lui même appartenant déjà à une spiritualité spécifique. On trouve chez lui une spiritualité monastique et érémitique, une spiritualité franciscaine, une spiritualité ignacienne (discernement, élection, volonté de Dieu), une spiritualité carmélitaine, une spiritualité missionnaire et pastorale, une spiritualité de laïc engagé, etc. Il est comme un chargeur universel qui peut charger n’importe quelle batterie. Cela n’explique-t-il pas la diversité d’expériences spirituelles que suscitent sa personne, son itinéraire spirituel et son charisme ? Sa spiritualité est aussi essentielle, fondée sur l’amour de Dieu et du prochain. Elle se passe de rites d’initiation et de dévotions complexes. Elle va droit au but par des chemins clairs et simples.

La fécondité des fraternités vieillissantes de l’Europe : Les fraternités de l’Europe semblent vieillir et se renouveler difficilement par l’adhésion de nouveaux membres. Tout en reconnaissant la nécessité du renouvellement, je voudrais admirer le prestige du vieillissement. Pour mes yeux de jeune africain, la vieillesse est signe de persévérance, de fidélité, de grâces et de bénédictions ! Voir les vieilles fraternités et les « vieux frères » m’encourage et me stimule à persévérer à la suite de ceux qui n’ont pas cédé au découragement et aux difficultés inhérentes à tout cheminement spirituel. En outre, les fraternités d’Europe ont le droit et le devoir de voir les nouvelles fraternités africaines comme les fruits de leur fécondité spirituelle et missionnaire. En effet, plusieurs fraternités africaines ont vu le jour grâce à l’aide de prêtres en fraternité allés en Afrique comme fidei donum. D’autres, sans même quitter leur pays, ont su partager leur expérience et inspirer des prêtres africains qu’ils ont pu rencontrer ou accueillir dans leurs paroisses.

Honoré SAWADOGO, fraternité de Burkina Faso

PDF: Honoré SAWADOGO (Burkina FASO) La réception, encore nouvelle, de la figure de Frère Charles en Afrique noire

Ma petite vie à Tamanrasset, Jean Pierre LANGLOIS (Québec)

17 mars 2017

Ma petite vie à Tamanrasset

De retour à Tamanrasset depuis le début de février, le train-train quotidien a repris. Pas de grandes choses. Mais je vis bien, je ne suis plus acculé à ménager parce que je n’ai pas l’argent nécessaire (ici, la carte de crédit est ignorée, y compris à Alger). Peu à peu, je peux améliorer les plats cuisinés (il me faut m’ingénier à préparer les plats avec ce qui est disponible sur place).

Nous sommes une petite communauté de 20 à 25 personnes, dont 2 petits frères de Jésus et une petite sœur du Sacré-Cœur, 2 ou 3 Algériens Kabyles qui travaillent sur place et une vingtaine de migrants subsahariens de passage, que ce soit de façon prolongée ou non.

Avant tout, 2 tâches me semblent primordiales dans ma présence à Tam : offrir les services sacramentels (surtout l’Eucharistie) de façon régulière; et, assurer une présence faite de partage simple de la vie quotidienne, une disponibilité dans l’accueil et la visite des gens qui veulent bien nous honorer de leur hospitalité, une « pastorale de la proximité » pourrait-on dire.

Le Carême est là. J’ai suscité des échanges après la messe les vendredis matins – jour de congé -. Les participants sont pour la plupart des migrants qui travaillent sur place pour se refaire une santé économique avant de repartir ailleurs, la plupart du temps en route vers l’Europe. Avec les dangers effrayants que cela suppose. Pour les femmes, ce n’est que pire encore… Alors réfléchir sur la Parole de Dieu lorsqu’on se demande comment on trouvera du travail et de quoi manger le soir même, cela n’apparaît pas toujours des plus pertinents à leurs yeux, probablement. Ils ne le diront pas, mais… ils participent volontiers.

Puisque je ne fais qu’arriver, et que forcément mes relations humaines sont très limitées, que je ne parle pratiquement ni l’arabe dialectal algérien ni le tamahaq (langue des Touaregs), ce second volet est extrêmement réduit jusqu’à maintenant. Lorsque je vais saluer des familles dans la ville, c’est essentiellement en accompagnant l’un ou l’autre des membres de la petite équipe d’animation de la communauté chrétienne, les 2 petits frères de Jésus ou la petite sœur du Sacré-Cœur.

Sinon, il s’agit de rencontres jusqu’ici brèves avec des migrants venant du sud du Sahara, de passage plus ou moins longtemps à Tamanrasset, et qui finissent par vouloir me consulter sur un aspect moral ou spirituel de leur existence. Car, pour ce qui est du plan matériel, je serais bien en peine de les aider efficacement. Cela me facilite d’ailleurs la tâche de vivre moi-même une simplicité « volontaire » de l’existence !

Notre petite communauté, et la ville même de Tamanrasset, constitue une étape vers le mirage de l’Europe que certains et certaines poursuivent sans arrêt. Et pourtant Jésus et son Esprit travaille malgré tout ces personnes bien avant que nous les interpellions. Au fond, c’est Lui qui appelle.

C’est aussi un peu pour cela que je suis arrivé à Tamanrasset. Pour le moment, mon horaire est plus que léger. Mais je ne cherche pas à le remplir à tout prix. Je profite de ce temps de liberté. Sans doute l’âge et les expériences antérieures m’aident. J’essaie de mieux prier, sinon davantage.

Sur le chemin entre Tamanrasset et Iffok – février 2017

Du nouveau : aller en-dedans

Il y a maintenant 3 semaines que je vais visiter des prisonniers chrétiens avec la petite sœur du Sacré-Cœur. Un autre monde à découvrir, à apprivoiser : leur être disponible, mais sans attente particulière. Ce sera une belle ascèse pour le Carême ! Une démarche de gratuité. Je suis heureusement accompagné de la petite sœur du Sacré-Cœur qui les visite depuis déjà 2 ans. J’en ai rencontré deux. On échange sur leurs préoccupations, on lit un psaume et des extraits de la Bible.

Mon train-train quotidien

La poussière, je ne fais que commencer à en manger !! L’hiver aidant, les fenêtres restaient fermées, et la poussière soulevée par le vent restait à l’extérieur. La saison des vents est maintenant arrivée, mais pour le moment, ce n’est pas trop dérangeant. Ça sent le printemps, les bourgeons de fleurs éclatent et de petites feuilles apparaissent au grenadier, au citronnier du jardin du presbytère. Ce qui fait une jolie différence avec votre tempête de neige et les grands froids des derniers jours. La nuit reste fraîche, mais le jour, la température se réchauffe avec l’omniprésence du soleil. Jusqu’à 24 ou 28 degrés Celsius. J’arrête… je ne veux pas faire d’envieux !!

Le vrai test s’en vient, avec l’été et la grande chaleur habituelle, jour après jour. Comme je prévois venir au pays à la fin de l’été, ce sera une occasion de voir comment je m’acclimate.

J’ai abandonné mes cours d’arabe, au moins pour le moment. Ni le prof ni l’élève n’en avaient vraiment le goût. Je vieillis. Mais je suis tranquille ici, heureux de vivre tout simplement, même s’il me manque quelque chose qui me paraisse pertinent à réaliser. Cela viendra en son temps, si je me montre patient. Et, à l’orée de la retraite, je n’ai pas de preuve à démontrer à qui que ce soit, en commençant par moi. Le Seigneur me guidera s’il a envie de mes services quelque part.

Je ne me suis pas encore décidé à me déplacer en bicyclette; donc je marche à pied dans les environs.

Et je me suis procuré un téléphone portable, car ici à peu près tout le monde en possède un et l’utilise. Même en plein désert, on se cherche un réseau pour communiquer !

Ma tablette me sert beaucoup, autant pour écouter ou lire les nouvelles, sur place ou de l’étranger. Et pour pratiquer mon habileté au SUDOKU !

Manquer de relations humaines, c’est aussi savoir patienter afin que l’un ou l’autre des membres de l’équipe d’animation soit assez disponible pour m’accompagner afin de trouver un bon technicien en informatique et de lui expliquer le problème de mon ordinateur portable. Cela a donc pris presque 2 semaines pour le régler. Ce qui est fait maintenant, à mon grand soulagement.

Bon ! Je m’en vais au souk, à une demi-heure d’ici à pied, pour acheter des poitrines de poulet en vue du repas de l’équipe d’animation de dimanche soir. C’est mon tour de recevoir. Et avec la visite d’un couple, nous serons 6 ou 7 à table. Je dois prévoir un peu d’avance. Je pense à du poulet et à une croustade aux pommes. Ce serait bon avec du sirop d’érable, mais je cherche un succédané potable.

Attentat de Québec le 29 janvier 2017 contre la Grande Mosquée

Oui, bien sûr, j’ai su dès le lundi matin 30 janvier le drame de la Grande Mosquée de Québec, et j’ai suivi de mon mieux les réactions qui m’ont paru somme toute appropriées dans les circonstances. Espérons qu’à ce malheur, il en sorte de bonnes choses : un peu de retenue dans les expressions des réseaux sociaux, une meilleure écoute et attention aux immigrants venus du monde musulman, de plus grands efforts effectués pour favoriser l’intégration fraternelle, à l’école et surtout dans l’emploi.

Je n’ai pas senti beaucoup d’échos ici, sinon dans un journal qui parlait d’une des deux victimes algériennes. L’impact m’a paru très limité, en comparaison avec les réactions de la petite société québécoise.

Il y a là un beau sujet de révision de nos opinions sur les musulmans, si je peux me permettre cette suggestion : comment avez-vous réagi personnellement ? Qu’est-ce que cet événement signifie et comment vos communautés réagissent ? Les pas à franchir pour améliorer l’avenir ? …

Ce qui s’en vient

La Semaine Sainte se vivra en toute simplicité, avec la présence notable des petits frères de l’Assekrem, et peut-être de 2 visiteurs français.

Ce pourrait devenir une occupation plus grande, cet accueil des visiteurs, malgré le contrôle assez strict des autorités policières qui cherchent à éviter tout problème de sécurité. J’ai remis récemment en ordre 2 chambres et 1 pièce commune, tout près, en les nettoyant et en m’assurant qu’il y ait un minimum de mobilier pour y rester de passage. Quoique je ne me sente pas la vocation de frère hospitalier comme à Lourdes ou à l’Oratoire St-Joseph, je ne crains pas vraiment, car il n’y a pas beaucoup de chance que Frère Charles développe soudainement un pèlerinage accaparant au Sahara !

Je me rendrai à l’Assekrem pour remplacer durant une semaine les petits frères là-bas au milieu du mois de mai. Ils seront en réunion de communauté du côté d’Alger, je crois.

Santé, patience et humour à revendre !

Amitié, Pedro

P.S. : On vient d’apprendre que notre évêque, Mgr Claude Rault, est remplacé par un de ses confrères Père Blanc, John McWilliam, un Britannique d’origine âgé de 69 ans. C’est courageux de sa part.

PDF: Ma petite vie à Tamanrasset.0317

Jacques GAILLOT, Le visage est sens à lui seul

Cette affirmation du philosophe Emmanuel Levinas révèle d’emblée toute l’importance qu’il donne au visage.

« Le visage parle » « Dans l’accès au visage, il y a certainement aussi un accès à l’idée de Dieu » (dans son livre : Ethique et Infini)

Le visage est une terre que l’on n’a jamais fini d’explorer. Il ouvre au mystère.

Quand je prends le RER de bon matin, en particulier le lundi, je n’en finis pas de regarder avec sympathie les visages de tous ceux qui, pour la plupart, reprennent le travail : visages fatigués, endormis, préoccupés, rêveurs. Visages recueillis qui écoutent de la musique, visages attentifs à la lecture d’un journal, visages amoureux transfigurés…

Je présente tous ces visages à notre Père du ciel et de la terre. Que sa miséricorde s’étende à la vie de chacun et de chacune. Qu’ils se sachent aimés par Celui qui attache tant de prix à leur vie. Je commence la prière du « Notre Père » sans jamais pouvoir aller plus loin que cette première parole. Il me suffit de voir dans ces visages Celui dont nous sommes tous les enfants bien aimés.

L’expérience m’a appris à regarder d’abord dans un visage ce qu’il y a d’universel en lui. J’ai devant moi un être humain, un citoyen du monde, un habitant de la planète. Les différences viendront après : qu’il soit de tel pays, de telle culture, de telle religion. Qu’il soit noir ou blanc, préfet ou migrant, général ou prisonnier…

L’être humain est premier. C’est lui qui s’impose à moi. Il est là avec sa dignité. Une dignité qui lui appartient et que personne ne peut lui prendre. Sa conscience est un sanctuaire sacré inviolable. (Vatican II). Dans l’Evangile, la seule attitude qui puisse libérer quelqu’un, c’est de reconnaître sa dignité.

Un soir, à table, je faisais part de mon passage à la prison au cours de l’après-midi. Je rendais visite à un détenu qui voulait me voir. Aussitôt mon voisin de table me demanda :

« Qu’est-ce qu’il a fait ? »

« Je n’en sais rien. Je ne pose jamais cette question à un prisonnier. »

Un autre intervint : « Est-ce qu’il est catholique ? »

« Je ne sais pas. Je n’ai pas posé non plus cette question. »

Intrigué, un troisième interrogea :

« Alors, de quoi avez-vous parlé ? »

« J’ai écouté un homme qui avait une souffrance à me partager »

L’important n’est pas d’être d’abord renseigné sur le passé d’un détenu pour savoir à qui on a affaire, mais d’accueillir sans préjugés, ce qu’il veut me partager.

J’évoquerai quelques rencontres de femmes et d’hommes qui ont croisé un jour mon chemin. Ils ne se réclament d’aucune religion, se sont rendus proches de leurs frères en humanité avec les mots et les gestes de l’amour, et un sens aigu de la justice. Ils ont été confrontés à la mort.

Il y a en nous plus grand que nous

Françoise est morte subitement. Son corps a été transporté à l’Institut médico-légal. Elle n’avait pas quarante ans. SDF, longtemps femme battue, elle avait rencontré Jean-Claude qui la respectait et prenait soin d’elle. Tous deux étaient des gens de la rue, vivaient dans la précarité, fréquentaient les Restos du cœur.

Ils ne pouvaient pas se parler sans crier, se disputaient tout le temps mais s’adoraient et n’arrivaient pas à se passer l’un de l’autre. Jean-Claude qui n’est pas croyant, me demande de venir faire une bénédiction à Françoise avant qu’elle ne soit mise dans le cercueil. Il ne veut pas que « sa » Françoise soit enterrée sans qu’il y ait une bénédiction de ma part.

Arrivé à l’Institut médico-légal, je vois Françoise revêtue d’un beau manteau tout neuf. Son visage reflète la paix. Je passe mon bras sur l’épaule de Jean-Claude qui sanglote. « C’est moi qui venais de lui offrir son manteau » me dit-il.

Je prie Dieu à haute voix, fais une bénédiction avant que le cercueil ne se referme. Puis c’est le long trajet qui nous mène au cimetière situé en banlieue.

A l’endroit réservé aux personnes qui n’ont pas de tombe, trois femmes des Restos du cœur se tiennent là, avec des fleurs à la main.

Au moment du dernier adieu, Jean-Claude prend la parole avec émotion : « Ma Françoise, je t’aime de tout mon cœur. Ma chérie, tu es tout pour moi. Je reviendrai te voir. Je te payerai une belle tombe. Je t’embrasse. »

Au café du coin, nous prenons un verre. Jean-Claude me dit : « C’était bien ce que j’ai dit tout-à-l ’heure à Françoise ? »

« C’était très bien parce que tu as su parler avec tendresse et émotion. J’en avais les larmes aux yeux.

Ces liens d’amour que tu as tissés avec Françoise ne tomberont pas dans l’oubli. Ils trouveront un prolongement après la mort. Je crois qu’il y a en nous plus grand que nous. »

L’avenir est ouvert

Une femme anticléricale, dont je n’ai jamais connu le visage, m’écrivait des lettres qui exprimaient tout le mal qu’elle pensait de l’Eglise catholique en général et du pape en particulier. Son vœu était de voir l’humanité débarrassée du fléau des religions.

En lui répondant, je prenais soin de ne pas me situer sur son terrain : celui de la critique. Pressentant sa nature rebelle et son attachement à la justice, je préférais lui parler de mes engagements. Peu à peu cette femme en vint à me parler d’elle. J’appris ainsi qu’elle était juive et avait beaucoup souffert pendant la Seconde Guerre mondiale, sans cesse obligée de se cacher avec ses fils. Elle ne supportait pas l’injustice et la combattait avec passion.

Bien que très âgée, elle gardait intact son esprit anticlérical. « Communion, confirmation furent pour moi des pièces de théâtre que je jouais sans aucune pensée religieuse ; je ne pouvais accepter ce que prêtres et religieuses de Sion voulaient imprimer en moi et je voyais avec effarement certaines de mes compagnes prier avec conviction. Croire est un peu comme une lourde charge que l’on dépose à terre et qui ainsi vous aide à vivre : moi qui ne crois à rien, je me sens légère ce cette incroyance. »

Atteinte d’un cancer généralisé, elle se savait condamnée.

« Cette mort prochaine ne change rien à ma façon d’être. Je cherche toujours à apprendre comme si l’avenir m’était offert. J’ai demandé que l’on vous écrive pour vous prévenir de mon trépas. Surtout pas de prières. Ce serait me faire injure. Halte aux jérémiades ! Mes pensées vont souvent vers vous… »

Pour ces quatre-vingt-dix ans, un rassemblement de famille eut lieu chez un de ses fils. Celui-ci m’écrivit pour me demander une faveur : téléphoner à sa maman le jour de son anniversaire quand toute la famille serait réunie.

Au jour et à l’heure dite, la surprise du coup de fil lui fit grand plaisir.

Elle avait de l’affection pour moi. Après avoir revu ses enfants et petits-enfants, le temps était venu pour elle de prendre congé des siens. Je fus prévenu.

La disparition de cette femme rebelle me causa de la peine. J’avais moi aussi de l’affection pour elle. J’admirais son courage et sa droiture :

« Cette mort prochaine ne change rien à ma façon d’être. Je cherche toujours à apprendre comme si l’avenir m’était offert. »

Paroles magnifiques pour une femme de quatre-vingt-dix ans ! Sa vie est habitée par « le souffle ». Quand on aime la vie, elle devient une aventure, un risque. Elle est une quête jamais achevée.

L’Esprit-Saint agit dans le cœur de toute personne. (Vatican II)

Cette femme est morte comme elle avait vécu. N’y a-t-il pas une manière de vivre et de mourir qui ne conduit pas à la mort ?

« Ma vie est à réinventer »

Une femme est venue me voir alors que je logeais dans le grand squat de la rue du Dragon en plein Paris. Son visage était empreint de tristesse.

« Je vous dérange. J’aurais pu aller frapper autre part. Mais si c’est pour entendre le genre de discours habituel, ça ne m’intéresse pas. Je le connais par cœur.

Vous êtes au courant de ce terrible attentat à la station du métro Saint- Michel. Ma fille se trouvait là par hasard. Elle a été tuée sur le coup. Depuis, tout a basculé. Je suis complètement perdue. Je suis venue vous demander si vous, Jacques Gaillot, vous croyez qu’après la mort, il y a quelque chose ? »

« Oui, je crois qu’après la mort, quelqu’un m’attendra et m’accueillera : le Christ lui-même. Pour moi la vie ne s’arrête pas à la mort. Elle est un passage. J’entrerai dans la Vie. Nous sommes faits pour être des vivants, et des vivants dès maintenant. Je me sens relié à toutes les personnes connues et aimées qui sont mortes. Le lien de l’amour subsiste. C’est une longue chaîne entre la terre et le ciel. Nul ne saurait la rompre. »

« J’aimerais croire comme vous, mais je ne suis pas croyante. Bien sûr j’ai été baptisée. J’ai quelque fois essayé de prier ; mais je ne sais pas. Dans mon désespoir, je me surprends à parler à Dieu. Mais est-ce bien à lui que je m’adresse ? »

« Je parle à Dieu moi aussi dans la prière, comme dans une conversation. Ce matin avant votre arrivée j’ai parlé à Dieu : « Donne-moi d’être proche de ceux que je vais rencontrer aujourd’hui. Que l’amour qui vient de toi touche leur cœur. »

Voyez, sans même vous connaître je vous ai déjà confiée à Dieu. »

« Ma fille, elle, vivait avec intensité le moment présent. Et moi, je ne vis plus ; je n’ai le goût à rien. J’ai le sentiment d’être entrée dans la mort. Je travaille parce qu’il le faut bien. A la maison, avec mon mari et mon autre fille, nous ne parlons plus de ce drame. C’est tabou, alors que c’est la seule chose qui compte. Nous avons peur. Nous nous jouons la comédie.

Elle me tendit le bras où je pouvais voir la montre de sa fille que l’on avait retrouvée. Elle l’avait mise en place de la sienne, comme si, à travers ce simple objet, la vie pouvait repartir.

« Je voudrais vivre comme elle. Mais je ne peux pas. »

« Vous reconnaissez en elle ce que vous voudriez vivre. Votre fille vous appelle à vivre. »

« Ma vie est à réinventer. »

D’un commun accord, nous sommes partis déjeuner ensemble. Elle n’avait plus tellement besoin de parler. Je la regardais manger. J’avais plaisir à la voir reprendre des forces pour la route.

Puis nous nous sommes séparés. Je la vis se fondre dans la foule.

L’église Saint-Germain-des-Prés était proche. J’y suis entré pour aller prier : « Seigneur, cette femme que tu aimes est dans le désarroi. Guéris sa blessure, donne-lui la force de réinventer sa vie. »

Quelques mois plus tard, à l’occasion de la fête de Noël, elle m’envoya une magnifique carte avec ses simples mots :

« Je reprends goût à la vie. »

Ces paroles m’ont donné joie et réconfort. L’important n’est-il pas d’être des vivants, aujourd’hui, avant la mort ? Sa fille qui a trouvé la mort au métro Saint Michel aimait la vie, l’amitié, la rencontre, le partage. Elle vivait intensément le moment présent. La vie valait la peine d’être vécue. On peut dire qu’elle a dansé sa vie !

Sa mère reprend goût à la vie. Comme sa fille, elle aura un visage qui sourit à la vie. Elle aimera l’amitié, la rencontre, au risque d’étonner son entourage. Elle prendra soin de la vie des autres avec tendresse.

La spiritualité est un art de vivre, une sagesse qui donne du sens et qui inspire nos choix et nos engagements.

Etre spirituel, n’est-ce pas avoir trouvé son propre souffle ?

L’humain d’abord

Dans le célèbre cimetière parisien du Père Lachaise, la foule se presse sous la coupole du crématorium. Celui que tout le monde appelle par son prénom « Guy » nous rassemble autour de son cercueil. Guy est un militant toujours sur la brèche, un syndicaliste engagé, un athée convaincu, volontiers anticlérical. Comment oublier son langage truculent, ses indignations enflammées ?

Il est mort à quelques semaines de sa retraite. Je n’imaginais pas qu’il ait pu tenir une si grande place dans les cœurs de cette foule. Invité à prendre la parole, je me tournai vers le cercueil :

« Guy, notre ami, notre frère, toi l’homme au grand cœur, tu nous as surpris une fois de plus en nous quittant sans prévenir, sans rien dire… » J’évoquais un souvenir au début d’un repas à l’association des sans-logis, il s’était levé pour prendre la parole.

« Je vais vous dire ce qui fait la supériorité des incroyants sur les croyants. Les croyants agissent pour les autres en vue d’avoir une récompense dans le ciel. Nous, les incroyants, comme on ne croit pas au ciel, on n’attend pas de récompense. On agit pour les autres, tout simplement. Les autres nous suffisent. »

Guy était visiblement heureux de sa découverte. Et moi j’admirais sa finale. Elle était la signature de sa vie.

« Guy, notre ami, notre frère, toi l’homme au grand cœur, merci d’avoir été le joyeux compagnon de nos rencontres. Toi qui affirmais souvent « l’humain d’abord » merci d’avoir été du côté des opprimés. »

Quand Guy prenait la parole, je l’écoutais volontiers car il parlait bien de l’homme. En parlant bien de l’homme, il me disait quelque chose de Dieu, alors que les discours sur Dieu ne me parlent plus guère aujourd’hui.

Quand je le rencontrais pour partager un repas avec lui, je ne pouvais rester indifférent : il me tenait en éveil.

« Je ne voudrais plus voir le soleil se lever.

Je ne voudrais plus voir le soleil se coucher… »

Ainsi s’exprimait Jean-Pôl, 30 ans, dans un dernier poème qu’il me fit parvenir.

Il était comme un oiseau blessé qui ne savait pas où se poser. Libertaire, anticlérical, écorché vif, il se sentait mal dans sa peau. Il lui arrivait de toucher à la drogue et à l’alcool. Jean-Pôl connaissait ses fragilités et ses blessures, mais son cœur était plein de tendresse.

Je le rencontrais de temps en temps lors des manifestations des sans- papiers. Il aimait me parler. Un jour, il réalisa un souhait qui lui était cher : m’inviter dans un restaurant qu’il connaissait sur la colline de Montmartre. Ce soir-là, il était aux anges. J’étais heureux d’être avec lui, en face de lui. Dans sa fragilité, il m’apparaissait tellement humain ! Son visage était beau. Il me parla avec enthousiasme de son projet de partir prochainement pour la Dordogne avec sa compagne qui était tout pour lui.

Je n’imaginais pas que ce dîner serait un repas d’adieu. La Dordogne fut pour lui un échec et la séparation d’avec sa compagne un drame. On retrouva Jean-Pôl pendu à un arbre.

Quelques jours après, je reçus sa dernière lettre accompagnée d’un poème.

« Eh bien voilà, c’est fait. J’ai décidé de débarrasser cette putain de terre de mon mal-être…J’ai mal, tu sais. Je suis une boule de haine. Je suis arrivé pourtant en Dordogne avec plein d’espoir.

Le cynisme m’habite. Je me hais. J’aurais tant voulu être utile, mais tout ce que j’ai vécu est pitoyable.

Je m’en veux mon cher Jacques, de te faire de la peine. Mais que veux-tu, tu es la seule personne à qui je peux me confier. »

Une étoile s’est éteinte.

Le suicide de Jean-Pôl est un cri à la vie qu’il nous lance. Il aurait tant voulu vivre, aimer et être aimé !

Je pense qu’il n’existe pas de relations simplement horizontales qui seraient coupées d’une relation à Dieu. Une rencontre humaine vraie est déjà riche de la vie même de Dieu.

Ce poème de Paul Eluard, comment ne pas le dédier à Jean-Pôl ?

La nuit n’est jamais complète

Il y a toujours puisque je le dis

Puisque je l’affirme

Au bout du chagrin

Une fenêtre ouverte

Une fenêtre éclairée

Il y a toujours un rêve qui veille

Désir à combler

Faim à satisfaire

Un cœur généreux

Une main tenue

Une main ouverte

Des yeux attentifs

Une vie,

La VIE à se partager.

Aller jusqu’au bout

Jean-Jacques est avocat, un ami proche depuis plus de trente ans. Malade, Il est parti vite, sans inquiéter personne. Je lui avais téléphoné peu de temps auparavant pour prendre des nouvelles de sa santé. Il m’avait répondu : « Je suis en voiture. Je vais à la prison de Fresnes pour voir Marina. »

Marina est une Italienne, en grève de la faim, menacée d’extradition dans son pays. Je me disais en moi-même avec admiration :

« Jean-Jacques est malade. Il a quatre-vingt ans passés. Quel courage de prendre sa voiture et d’aller voir en prison une femme en détresse ! »

Tel était Jean-Jacques. Il allait vers les gens. Il ne mettait pas de limites.

Défenseur sans frontières des droits humains, avocat des minorités, il défendait pendant la guerre d’Algérie, les militants algériens en prison qui luttaient pour l’indépendance de leur pays. Il défendait les Canaques de la Nouvelle-Calédonie, les paysans du Larzac, les objecteurs de conscience, les militants anti OGM (organisme génétiquement modifiés), les chômeurs, les prisonniers Kurdes, basques ou italiens menacés d’extradition. Que de fois Jean-Jacques m’a dit : « Tu ne pourrais pas venir au tribunal ? Ce serait bien que tu sois là. »

Jean-Jacques m’a appris à reconnaître la grandeur de l’homme qui peut se passer de Dieu

Au cimetière du Père Lachaise, dans la chaleur moite d’un après-midi d’août, la foule se presse au crématorium.

Quand mon tour fut venu de prendre la parole, j’étais gagné par l’émotion : « Jean-Jacques, toi que nous aimons, tu n’as cessé de sortir, pour te porter là où des femmes et des hommes étaient en danger. Jusqu’à la fin de ta vie, tu auras rencontré l’être humain opprimé. Tu n’iras pas plus loin. »

« Toi, l’avocat des opprimés, tu as été une espérance pour les pauvres. »

« Moi, je les aime tellement que je les trouve beaux »

Il y a longtemps, je visitais une maison pour personnes ayant de lourds handicaps, dans un village de Normandie. Un éducateur m’accompagnait dans les différentes salles. Je passais à côté de ces corps désarticulés, ces visages défaits dont on aurait dit qu’ils étaient revêtus d’un masque de laideur. Leurs cris m’étaient insupportables.

J’étais troublé et mal à l’aise. L’éducateur qui s’était aperçu de mon trouble me regarda et me dit cette parole extraordinaire que je ne saurais oublier : « Moi, je les aime tellement que je les trouve beaux. »

Cette parole me transperça. Un chemin s’ouvrait à moi pour me faire découvrir mes propres fragilités. Je compris qu’aimer ce n’était pas faire des choses pour quelqu’un, c’était lui révéler qu’il était beau. On a raison de dire que le bonheur, c’est de se savoir beau dans le regard des autres. Cet éducateur avait un cœur de « chair » et non par un cœur de « pierre ». Il était capable de trouver les gestes et les mots pour dire à chacun et chacune : « Tu es important ! Je t’aime. Avec tes blessures, tes fragilités, tu peux grandir et être toi-même. »

Ces rencontres de la vie quotidienne sont une invitation à demeurer proche de l’humain et des réalités sociales

Elles rendent attentifs à la dimension du divin qui s’ouvre à partir du visage.

C’est en acceptant de passer par l’humanité des autres, avec toute leur épaisseur, que l’on peut s’ouvrir au mystère de Dieu.

Ce n’est pas la spiritualité du « Dieu et moi » qui court-circuite les autres. Une spiritualité désincarnée mène à l’impasse.

La spiritualité de l’Evangile n’invite pas à l’isolement, mais à la solidarité. « Le Verbe s’est fait chair et Il a habité parmi nous ».

La spiritualité ne se construit pas hors des bouleversements et des conflits de la société, mais avec ceux qui souffrent et qui luttent pour avoir le droit d’être eux-mêmes. Car il s’agit de construire un monde dans lequel chacun existe pour l’autre

Jacques Gaillot
Evêque de Partenia
Paris 13 juillet 2016

PDF: Jacques GAILLOT Le visage est sens à lui seul