L’obéissance chez Charles de FOUCAULD. Pierre SOURISSEAU

Dans ses notes de la retraite faite à Nazareth en 1897, Charles de Foucauld écrit le 11 novembre : « Mon Dieu, parlez-moi de l’obéissance, dites-moi ce qu’il faut que je fasse pour pratiquer cette vertu. Vous savez que de toutes peut-être c’est celle que je connais le moins. On m’a plus d’une fois reproché (à tort ou à raison, je l’ignore) de mal la pratiquer. Expliquez-le moi, mon Dieu. » Il fait là allusion aux remarques de ses supérieurs de la Trappe qu’il vient de quitter. Dom Louis de Gonzague exprimait ainsi sa pensée à Raymond de Blic le 31 mars 1897 : « Je crois votre beau-frère capable de tous les héroïsmes religieux excepté de celui de l’obéissance simple, qui est cependant le capital en la matière. »

Pourtant, celui qui paraissait incapable d’obéissance simple avait, et aura, sur ce sujet des points de vue originaux.

Il sait depuis son retour à la foi chrétienne que son existence ne peut qu’être réponse de soumission amoureuse à Dieu, le si Grand ! qui l’aime et qui l’appelle : « Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour Lui : ma vocation religieuse date de la même heure que ma foi : Dieu est si grand ! Il y a une telle différence entre Dieu et tout ce qui n’est pas Lui ! » (à H. de Castries, 14 août 1901) Ce « ne pouvoir faire autrement que de ne vivre que pour Lui » est une attitude fondamentale d’obéissance absolue et inconditionnelle. Pour Charles de Foucauld, la Volonté de Dieu sur lui est cette « vocation spéciale» qu’il devine dès sa conversion et qu’il essaiera d’accomplir durant toute sa vie. L’obéissance à cet appel personnel est fondamentalement liée à la foi.

Mais il va plus avant dans sa réponse. Pour être concret dans cette obéissance, il veut découvrir le « où » et le « comment » ne vivre que pour Dieu, où et comment se conformer à sa Volonté dans les circonstances terrestres et contingentes. Il cherchera longtemps et parfois péniblement, à incarner le « Fiat Voluntas tua » du Pater dans le registre de son réel : « Voilà toujours ce Quid vis me facere ? [S. Paul, dans Vulg. Ac., 9, 6] qui, depuis les dix ans que Vous m’avez ramené au bercail, que Vous m’avez converti, et surtout depuis huit ans, reviennent si souvent, si souvent sur mes lèvres ! » écrit-il en 1896. (Méditations sur l’Ancien Testament, Genèse XXII, 13-fin, in Qui peut résister à Dieu, Nouvelle Cité, 1980, p. 65) Dans le déroulement de son histoire, cette quête de vérité et de fidélité, successivement, le conduira à la Trappe, le fera passer par une expérience d’ermite en Terre Sainte jusqu’à l’engagement sacerdotal voué au monde musulman du Maroc et d’Afrique du Nord ; il s’orientera alors vers une installation au Sahara, et plus précisément à Tamanrasset, où peu à peu il sera lucidement assuré qu’il est bien fait pour rester au milieu de ses voisins touaregs… Dans toutes ces péripéties, à chacune de ces étapes, de ces choix de vie, c’est l’obéissance en acte qui s’exerce.

Un aspect encore plus pratique de l’obéissance apparaît vite à ses yeux. Comme Jésus à Nazareth entre Marie et Joseph, il essaie d’établir avec son prochain les rapports les plus simples et les plus délicats. Spontanément il entre dans l’aspect relationnel et familial de l’obéissance qui concorde bien avec son naturel porté à l’amitié et au respect des personnes. Dans sa retraite de novembre 1897 chez les Clarisses, faisant parler Jésus, il écrit : « Avec ma grande, ma première obéissance, mon pain quotidien, l’obéissance à mon Père que j’ai rendue toute ma vie en tant qu’homme, j’ai accompli une autre obéissance : j’ai été soumis envers mes parents ; toi aussi tu dois être soumis envers tes mères [la Mère abbesse et les Sœurs] » et il précise : « prévenir les désirs, devancer les souhaits, de manière à faire en tout le plus grand plaisir à mes mères, à les consoler autant que possible, à ne pas manquer une occasion de leur être une douceur, une consolation, une source de joie, comme l’était Notre Seigneur pour ses parents à Nazareth… » (La Dernière Place, Nouvelle Cité, 2002, p. 181-182) Dans le chapitre XXIV du Règlement des Petits frères du Sacré-Cœur, sur la Charité à l’intérieur de la fraternité, il insiste dans le même sens : « Les frères doivent se témoigner cette tendresse réciproque par toutes les attentions, toutes les délicatesses, tous les petits services possibles… Qu’ils se la témoignent par la déférence et l’obéissance mutuelle en tout ce que Dieu permet, comme Notre Seigneur Jésus, la Très Sainte Vierge et Saint Joseph s’obéissant à l’envi entre eux chaque fois que le service du Père le permettait. » (Règlements et Directoire, Nouvelle Cité, 1995, p. 208) Si l’obéissance envers Dieu renvoie Charles de Foucauld à la foi, il est également renvoyé à l’obéissance-charité.

Pour tous ses choix de genres de vie, de lieux de vie, pour tous les gestes demandés par l’obéissance et le service envers le prochain, Charles de Foucauld pratique au préalable un discernement, car il désire avant tout entrer dans la Volonté de Dieu sur lui. « Est-ce un rêve ceci, Monsieur l’Abbé, est-ce une illusion du démon ou est-ce une pensée ou une invitation du Bon Dieu ? » telle était la question qu’il pose à l’abbé Huvelin le 22 septembre 1893 au début de ses troubles dans sa vie de trappiste. Cette question demeure permanente…

Pour y voir clair, Charles de Foucauld utilise trois moyens : le recours à son directeur spirituel, l’Évangile, la droite raison. Dans une méditation sur la parole de Jésus : « Si vous m’aimez, observez mes commandements » (Jn 14,15), il écrit : « Obéir à Dieu, nous le devons et le pouvons tous les instants de notre vie, comme Jésus : lui voyait en lui-même en tout moment la volonté divine ; nous, nous connaissons en toute chose, par notre directeur spirituel à qui Dieu a dit ‘Qui vous écoute, M’écoute’, cette même volonté divine ; en l’impossibilité de consulter notre père spirituel, nous avons comme guides l’Évangile et la droite raison interrogés avec les lumières de la grâce implorée par la prière et la pénitence. » (Méditations sur les Saints Évangiles, in L’Imitation du Bien-aimé, Nouvelle Cité, 1997, p.218)

Pour écouter Jésus et lui obéir, l’obéissance venant de l’écoute (ob-audire), il s’agit d’écouter en priorité l’Église, représentée par ceux qui ont autorité. Charles de Foucauld aura toujours une profonde vénération pour le Pape, pour son Évêque de Viviers, Mgr Bonnet, pour le Père blanc préfet apostolique du Sahara, Mgr Guérin. Les enseignements, les directives et les conseils de ces responsables ecclésiastiques répercutent jusqu’à lui la Parole de Dieu lui-même.

Tout autant, il se réfère sans cesse à ce que lui dira l’abbé Huvelin, son directeur spirituel. Dans sa vision théologique et ecclésiale, le directeur spirituel est celui qui a mission de fournir à chacun comme un « enseignement privé de la religion catholique ».

Quand le directeur spirituel ne peut être consulté, une prière fervente demande que « l’Évangile et la droite raison » guident le dirigé vers la bonne décision. Il n’ouvre pas pour autant les pages des quatre Évangiles au hasard. Il en a bâti et organisé les passages d’une façon très personnelle, et s’est fait avec les citations évangiles un portrait de Jésus selon les vertus de son Modèle. Avant chaque chapitre de son Règlement, il a, par ailleurs, collecté des paroles évangéliques qui éclairent et sous-tendent les prescriptions réglementaires, le tout formant, selon ses termes, « un livre de piété » (à Huvelin, 7 mai 1900).

Charles de Foucauld se réfère ainsi à des citations évangéliques qu’il a, pour ainsi dire, profondément faites siennes. Certes au Sahara, le contexte fera évoluer la lettre du Règlement. Néanmoins, jusqu’à la fin de sa vie, il en lit deux pages par jour. L’Évangile, dans la présentation qu’il s’en est fait, est ainsi très souvent lu et relu, médité et remédité, passant dans son âme « comme la goutte d’eau qui tombe et retombe sur une dalle, toujours à la même place » (à Massignon, 22 juillet 1914). Quand vient le moment où il a besoin d’une lumière pour voir la Volonté de son Bien-aimé, les paroles évangéliques rapportées dans son Règlement sont là, et il sait les interpréter avec justesse. La droite raison éclairée par l’Évangile lui montre alors la direction.

Un exemple : pour prendre un premier contact avec le Sud de la Préfecture apostolique et faire une visite pastorale aux militaires catholiques dans leurs postes isolés, il s’en ouvre ainsi à Mgr Guérin le 26 août 1903 : « Je n’ai reçu aucune réponse de vous. Puisque le voyage est possible le 6 septembre, je partirai le 6 septembre. Si je reçois plus tard de vous l’ordre de ne pas rester dans le Sud, je n’y resterai pas. Je ne pars pas si vite par manque d’obéissance à vous, bien-aimé et très vénéré Père, mais parce que la plus parfaite obéissance, et cela fait partie de sa perfection, comporte dans certains cas de l’initiative. Si je pars sans hésiter, c’est que je suis prêt à revenir sans hésiter ; aussi facilement que je pars, je reviendrai. Je pars avec hâte, parce que qui sait si ce qui est possible le 6 le sera un mois plus tard. » Pour obéir au réel, la droite raison, dans une intelligence vraie de la situation, sait en effet prendre des « initiatives »…

Il faut d’ailleurs ajouter que dans ce cas précis Charles de Foucauld pouvait s’appuyer sur une consigne qu’il venait de recevoir. « Suivez votre mouvement intérieur, allez où vous pousse l’Esprit » lui avait écrit le 5 juillet 1903 l’abbé Huvelin, qui avait désormais la certitude que les motions de son dirigé venaient manifestement de Dieu. Pour ce spirituel qu’est Charles de Foucauld, les événements deviennent des signes, des appels. Aussi sa disponibilité se traduit-elle par une attention permanente au moment présent, à la vie, où dans la foi il sait lire l’action de la Providence divine, le Traité de l’abandon du P. Caussade, un de ses livres préférés, l’ayant initié à se conformer ainsi avec amour à la Volonté divine.

Mais quel sens donner à un acte d’obéissance ? Quand il obéit, Charles de Foucauld veut dépasser l’exécution purement matérielle d’une tâche, l’accomplissement scrupuleux d’une prescription imposée de l’extérieur. Il voit au-delà. Il veut marcher à la suite de Jésus obéissant et remettre tout dans les mains du Père.

A ses yeux l’obéissance de Jésus n’est pas qu’une des vertus parmi toutes celles qu’il admire en son Modèle. Il contemple l’obéissance parfaite et totale qui emplissait le Cœur de Jésus, et cela jusqu’à la Croix, où il entend « la dernière prière de notre Maître, de notre Bien-aimé », prière de confiance, d’abandon, de foi, d’obéissance. Il désire que cette prière soit « celle de tous nos instants » : « Mon Père, j’accepte tout ; Pourvu que Votre Volonté se fasse en moi, mon Dieu, pourvu que Votre Volonté se fasse en toutes Vos créatures, en tous Vos enfants… »

Obéir pour Charles de Foucauld, c’est donc aimer… Quand il écrit au jeune trappiste Jérôme sur l’obéissance, il évoque l’échelle de l’amour que Jacob a vue en songe et lui dit : « l’obéissance est le dernier, le plus haut et le plus parfait des degrés de l’amour, celui où l’on cesse d’exister soi-même, où on s’annihile, où on meurt comme Jésus est mort sur la croix… Ce degré contient tous les autres, les dépasse tous, est transcendant, au-dessus de tout, dépassant tout. » (au P. Jérôme, 24 janvier 1897)

Obéir pour Charles de Foucauld, ce sera aussi adorer… Répondant à un ami qui connaît l’Islam, il lui expose l’attitude de l’adoration : « la plus complète expression du parfait amour, l’acte par excellence de l’homme ! son acte habituel et même son acte continuel, s’il agit  conformément à sa nature et à sa raison… Rendre grâces à Dieu « de sa grande gloire″ dans une admiration, une contemplation, une adoration, un respect, un amour sans fin, c’est la fin pour laquelle nous sommes créés, ce sera notre vie dans le ciel, et c’est notre vie dans ce monde si nous agissons en êtres raisonnables. » (à H. de Castries, 15 juillet 1901)

« Obéir. Aimer. Adorer » serait l’essentiel du témoignage de Charles de Foucauld sur l’obéissance, l’essentiel aussi du message de Jésus, le Modèle Unique…

Et par là évidemment, Charles de Foucauld se rapproche de la foi et de l’obéissance de ses amis de l’Islam, qui se veulent « soumis » au Si Grand !

Pierre SOURISSEAU

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Charles de FOUCAULD et les Péres Blancs. Philippe THIRIEZ, pb

Le Père Philippe Thiriez est Père blanc depuis 1950 ; il a passé 30 ans en Algérie, dont 6 au Sahara, et 9 ans au Proche-Orient. Sa fonction d’assistant de l’évêque de Laghouat, Mgr Gagon, l’a conduit régulièrement à El Golea, à Beni Abbès, à Tamanrasset et à l’Assekrem. En 1994, il a publié un ouvrage sur Charles de Foucauld à Nazareth, et en 1998, « Correspondances sahariennes » (en collaboration avec Antoine Chatelard). En 2005, il publie « Lettres à sa sœur, Marie de Blic » (Editions Le Livre Ouvert) ainsi que l’article ci-dessous, dans la revue des Pères Blancs « Le petit Echo ».

L’acte de décès du P. de Foucauld, transcrit en mai 1917 par le Capitaine de la Ro­che porte mention « du nommé de Foucauld Charles, profession de Père Blanc, né en 1858 à -Strasbourg, décédé vers le 1° décembre 1916 et inhumé à Tamanghasset » . Pour­tant dans une lettre du 8 mars 1908 à sa soeur Marie de Bk, évoquant le cher et vénéré P. Guérin, il précise : ce n’est pas mon directeur et je ne suis pas Père Blanc ; il est évêque du diocèse où je me trouve et me comble de bontés…

Ch. de Foucauld ne connaissait pas les Pères Blancs avant de débarquer à Alger le 10 septembre 1901. Tout juste ordonné, il avait proposé ses services à l’évêque du Sahara , par l’entremise de Mgr Livinhac (en 1889, successeur du Cardinal Lavigerie comme Supérieur général de la Société des Missionnaires d’Afrique).,C’est le tout jeune Préfet Apostolique, Charles Guérin, 29 ans, qui vint l’accueillir au bateau avec le prieur de la Trappe de Staouéli . Il devait mourir du ty­phus avant lui, le 19 mars 1910, à 38 ans. C’est le P. Henri Bardou, alors supérieur à Ouargla, qui occupera ce poste de janvier 1911 à 1916. Lui et le Fr. Charles se rencontrèrent en 1913 à Tilremt, entre Ghardaia et Laghouat, dans un bordj qui existe encore . Après lui, c’est Mgr Gustave Nouet qui fera le transfert à El Goléa en 1929 des restes du Fr. Charles.

Après les massacres des deux caravanes P.B. et de la mission Flatters (en 1876 et 1881), les trois postes de Ghardaia, Ouargla et El Goléa avaient été réoccupés en 1884. Ce sont les diaires de ces postes qui nous parlent avec émotion des passages de l’ermite.

Pendant son séjour à Beni-Abbès (1901-1904), il fut logé à Maison-Carrée, lors de son arrivée, reçut à la Pentecôte 1903 la visite de son évêque, et fit retraite durant six semaines (11 nov. au 26 décembre 2004) chez les Pères de Ghar­daïa qu’il édifia par son austérité et sa vie de prière).

Mgr Guérin évoque sa visite de Pentecôte : Il nous fut bien doux de vivre quelques jours dans l’intimité de ce vrai prêtre qui possède si parfaitement l’esprit de Jésus. Non moins doux de constater la gloire que retire Jésus de la sainteté de son humble ministre: auprès des Européens, officiers et soldats, comme auprès des indigènes, nous n’avons saisi qu’un même écho de respectueuse admiration et de religieuse vénération pour le cher et pauvre solitaire qui, par son oubli de lui-même, son inépuisable générosité et aussi sa très constante amabilité gagne du premier coup tous les cœurs.

Les Pères de Ghardaïa notent : Les desseins du Fr. Charles de Jésus étaient de venir prendre, durant quelques semaines, le repos physique et surtout moral, dont il sentait si fort le besoin après une existence si opposée aux désirs de son âme assoiffée de silence et de recueil­lement. Il venait aussi rendre compte au Chef de Mission des résultats de son voyage et pren­dre ses ordres pour l’avenir avec une humilité touchante. Il fut résolu qu’il resterait à Ghar­daïa au moins jusqu’à Noël. Pendant les premiers jours, il se joignit à la Communauté avec la plus grande simplicité et de la manière la plus aimable, nous intéressant beaucoup, tant par tout ce qu’il nous racontait de son récent voyage et des Touaregs que par les souvenirs plus anciens de son voyage au Maroc. Puis, à partir de l’Avent, il demanda à entrer en retraite, et jusqu’à Noël nous ne le vîmes plus guère sortir de sa chambre que pour aller passer de longues heures à la chapelle.

Il aurait aimé trouver un compagnon chez les P. Blancs. Ceux auxquels il songeait, le P. Pierre Richard et le P. Camille de Chatouville, ne purent se libérer. Quant au Fr. Gilles (Michel Goyat), il le renvoya au bout de trois mois, le jugeant inapte à sa mission .

C’est finalement à Maison-Carrée qu’il séjourna le plus souvent : dix jours en sep­tembre 1901, douze en novembre 1906 (pour y prendre le Fr. Gilles) et, à l’aller et au retour, lors de ses trois séjours en France : en 1909, en 1911, et en 1913, accompagné d’un jeune targui ; Il venait alors de Tamanrasset par El-Goléa et prenait à Ghardaia la diligence puis l’autobus pour Alger. Sauf en 1911 où il passa par Beni-Abbès et Béchar (d’où il prit le train pour Perregaux et Alger).

D’abord intimidé en 1901 par ces vieilles barbes, il s’y sentit vite chez lui. Il était heureux, quand c’était possible, de voir ses correspondants : Mgr Livinhac et Mgr Guérie, les -PP. Marchai et Voillard (celui-ci devint en 1911 son conseiller, après la mort de l’abbé Huve­lin en juillet 1910). C’est l’imprimerie de Maison-Carrée qui publia dès 1918 Le P. Charles de Jésus, vicomte de Foucauld et en 1927 les Articles du Procès de l’Ordinaire.

Le diaire note au 8 déc. 1906 : Le P. de Foucauld (Charles de Jésus) qui a fait suc­cessivement des conférences au Noviciat de Sainte-Marie, au Sanatorium, aux Frères, parle aujourd’hui du Maroc aux Pères de la Maison-Mère. Conférence fort intéressante où parais­sent tour à tour et la compétence de l’ancien officier et l’humilité du religieux.

Puis en 1909: Il nous donna les plus intéressants détails sur toute la région qu’il habite, désormais ouverte à l’influence française …Le chef des Touareg Hoggar, Moussa, a fixé sa maison à Tamanrasset même, auprès du P. de Foucauld… II a auprès de lui , comme khodja ou secrétaire, l’homme qui connaît le mieux la langue tamacheq. Le Père profite de cette circonstance pour faire de cette langue l’étude la plus sérieuse… Chaque jour, ce khod­ja aide le cher Père à terminer des dictionnaires ou à traduire en tamacheq divers passages de l’Ancien ou du Nouveau testament. Daigne N.S. permettre qu’un jour nos confrères vien­nent profiter de ces travaux qui leur donneront de suite les moyens d’agir sur ces pauvres populations : c’est là le grand dessein et l’ardente prière du cher solitaire.

Il parlera en 1911 de tous les P. Blancs à l’ombre desquels (il) vit depuis dix ans ! et qu’il aimerait voir prendre sa suite. Il note cependant en 1905 dans son carnet les réticences des autorités militaires à ce sujet car 1) ils ont donné des ennuis presque partout… 2) ils sont souvent maladroits et se mêlent de ce qui ne les regarde pas…3) les enfants qui fréquentent leurs écoles sont d’ordinaire pires que les autres ! On ne sait s’il partage ce point de vue ou s’en sert pour décider les S. Blanches à venir les premières… . Cel­les-ci, installées à Laghouat dès 1872 avec un prêtre d’Alger, puis à Ghardaïa où elles sont en 1904 une quinzaine, en charge des hôpitaux civil et militaire, le reçoivent et l’écoutent avec dévotion. Leur supérieure canadienne, Mère Augustine, fut la dirigée du Fr. Charles.

Un travail de recherche fut réalisé, en 1951, au scolasticat d’Eastview, et repris en 1978 par le P. Pierre Delétoile, décédé en 1995, sur Les Pères Blancs, témoins de la vie mis­sionnaire de Ch de Foucauld. Si l’on y parle peu de son passé ni de son séjour à Nazareth, on admire le saint religieux et l’apôtre hors du commun.

A la nouvelle de son assassinat, les Pères de Ouargla notent : Les auteurs de ce crime abominable voulaient s’emparer de celui qui, par son incontestable influence, empê­chait les Hoggars de se soulever contre la France. La consigne était de remettre le Père vi­vant entre les mains du grand chef des Snoussis ; mais l’arrivée d’une de nos patrouilles dé­rangea les plans, et fit terminer le raid d’une manière sanglante.

Répondant en 1921 au P. Voillard, René Bazin disait : II me semble que nos contemporains ne distingueront pas entre Ch. de Foucauld et vos frères. Il a été leur compagnon, leur ami, leur obligé. On peut dire qu’il est leur modèle. Par là, il servira la cause de la conversion des musulmans. Ses prières vous vaudront d’être un jour appelés au secours par ceux-là qui vous ont si peu compris jusqu’à présent. Nul ne sait tout ce qu’un saint peut faire pour continuer, invisible, les travaux commencés par préparera le bien que vous accomplirez. »

Philippe THIRIEZ p.b .

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Témoignage sur la soeur Odette PRÉVOT de Chantal GALICHER

Il y a déjà 10 ans que les événements se sont passés et le temps efface ou modifie les souvenirs. Je vais m’efforcer de les retrouver aussi exacts que possible.

Par 2 fois, j’ai été envoyée à la fraternité de Kouba où vivait Odette : en 1978-1979 et de 1991 à1995. J’ai donc vécu à Alger avec Odette jusqu’à son dernier jour et j’ai pu constater l’évolution qu’elle a vécue surtout pendant sa dernière année.

Odette avait une personnalité forte, elle avait beaucoup de dons humains et spirituels, mais aussi un caractère abrupt qui ne la rendait pas facile à vivre, cependant, j’ai toujours eu le sentiment que « Quelqu’un » l’habitait et la conduisait, ce qui ne se faisait pas sans luttes intérieures. Elle avait une grande puissance de travail, une grande capacité d’attention et d’écoute, particulièrement pour les enfants auxquels elle consacrait beaucoup de son temps au retour de son travail, dans le soutien scolaire (elle était institutrice de profession et de cœur). Elle avait aussi un grand souci pastoral, elle était attentive à la qualité de la vie liturgique à la paroisse de Kouba. Dans la liturgie bien préparée, elle entendait exprimer à la fois la grandeur et la proximité de Dieu.

La rencontre avec l’Islam marquait son chemin spirituel, elle était en recherche, en attente de rencontrer les musulmans et d’en recevoir une lumière sur leur chemin. Je me souviens de sa joie et de son étonnement, quand un jeune musulman, ne sachant pas s’il devait ou non participer au Ribat, avait simplement ouvert son Coran, au hasard, priant Dieu de l’éclairer et y avait trouvé une phrase qui, pour lui était une invitation à suivre un nouveau chemin en participant au Ribat : Dieu peut-Il donc parler aussi par le Coran, comme Il nous parle par la Bible ?

Il me semble que sa relation à l’Islam, qui était devenue un élément fondamental de sa vie, s’exprime parfaitement dans une sorte de calligraphie qu’elle avait apportée à un chapitre de la Fraternité auquel elle avait participé. Voici le commentaire qu’elle en avait fait et qui a été redonné par l’une des participantes à ce chapitre :

« En 1989, Odette participa au chapitre de la Fraternité. Chacune y était invitée à apporter un objet, un symbole qui exprimait quelque chose de ce qu’elle vivait, là où elle était envoyée. Elle apporta cette calligraphie avec cette explication :

Au cours d’une méditation sur sa vocation, son envoi au peuple Algérien, elle s’arrêta sur le Nom de Dieu : Allah et elle traça cette écriture (en noir). Elle fut frappée par ces 3 verticales et cela la poussa plus avant dans sa méditation. Elle contempla alors ce Dieu Amour et voici qu’elle aperçu la dernière lettre : h (un peu comme l’ébauche d’un cœur, alors, elle forma l’autre moitié du cœur (en rouge). Elle se laissa porter jusqu’à la vision de cet amour, traversé par la contradiction. Elle sentit son amour pour ce peuple, traversé lui aussi par bien des divergences (et pas seulement culturelles) chemin parfois difficile à se frayer et à poursuivre au sein de l’Islam. Alors, elle traça la petite transversale rouge qui traverse le Nom. Quand ses yeux s’ouvrirent, elle vit ce symbole (le cœur) qui est le tout de notre appel, réponse du Seigneur à notre quête. »

Cette méditation qu’elle avait livrée à ses sœurs pendant le chapitre de 1989, me semble exprimer le profond de sa vie en terre d’Islam, en unissant le nom de religion qu’elle avait « reçu » au début de sa vie religieuse : « de la croix » et le Sacré-Cœur, du nom de la Fraternité.

La dernière période de sa vie a été marquée, bien sûr par la situation sécuritaire de l’Algérie, la tension montait et se posait la question de vérifier nos motivations de rester en Algérie. A la demande du P. Tessier et d’Annie, notre responsable générale, Odette a exprimé son choix de rester pour continuer la mission de Jésus et a développé ses motivations pour cela. Le texte est connu et exprime la dimension eucharistique de notre vie qu’elle entendait assumer : faites ceci en mémoire de moi.

Dans cette période, nous avons fait ensemble une session PRH ensemble, Odette, Anne Marie et moi. Cette session a été, je pense un élément important dans le changement qui s’est opéré en elle à cette époque, elle a ressenti la nécessité de travailler sur elle et d’exercer pleinement la liberté intérieure dont elle jouissait. Peu à peu, nous avons constaté qu’en elle une évolution se faisait. Elle est devenu moins irritable, plus calme et perdait de son besoin de critiquer à priori.

Peu avant Noël 1994, en rentrant des Glycines, elle nous a dit qu’elle avait vécu un dur combat pendant l’Eucharistie du matin. Elle avait entendu la lecture du livre des Cantiques des Cantiques 2, 8-14 où il est dit : «  Lève-toi, mon amie, viens ma toute belle… » Cette parole l’a atteinte au plus profond d’elle-même et elle l’a entendue comme une invitation à une rencontre prochaine. Jusqu’au moment de la communion, elle a été en lutte. Au moment de la communion, elle a pu dire à peu près : « Ce sera quand tu voudras » et la paix s’est installée en elle…..

Témoignage de Chantal 2014

Pendant l’été 1995, nous sommes rentrées en France. Lors d’une rencontre de la Fraternité, beaucoup de sœurs ont noté un changement de comportement d’Odette, dans le sens d’un apaisement, d’un assouplissement. Elle est allée dans sa famille et au moment de quitter sa belle-sœur, elle lui a dit : « Si tu veux me faire un cadeau, permets-moi d’offrir ma vie » Il était évident que le Seigneur travaillait en elle et qu’elle se livrait à ce travail.

Odette et moi, nous sommes revenues à Alger, Anne Marie avait des problèmes de dos et elle devait rester pour se soigner en France.

Un évènement important se préparait en Algérie, le 16 novembre 95, devait avoir lieu la première élection présidentielle pluraliste, l’approche de cet évènement faisait craindre un regain de violence, déjà 10 religieux ou religieuses avaient été tués en Algérie depuis mai 1994, aussi le P. Tessier, nous avait demandé de limiter nos déplacements et de ne rentrer chez nous (à une douzaine de kilomètres du centre d’Alger où nous travaillions l’une et l’autre) que pour le week-end (jeudi et vendredi), c’est ce que nous avions fait pendant environ un mois. Nous rentrions le mercredi soir et une voisine, mère de 6 enfants, malgré ses faibles ressources, nous préparait toujours un couscous, car, disait-elle, vous n’avez plus de provisions à la maison et vous ne pouvez pas faire les courses en rentrant. Ce couscous garde pour moi une saveur inimitable.

Le jeudi 9 novembre, un jeune du quartier est venu voir Odette pour qu’elle l’aide à rédiger un devoir, (elle aidait beaucoup de jeunes du quartier dans leurs études) puis, un étudiant habitué du CCU (Bibliothèque universitaire des Jésuites, où je travaillais), est arrivé, sortant d’une réunion électorale du candidat du RCD (parti laïc démocratique), il voulait nous partager l’espoir qu’il mettait dans ces élections, les premières qui offraient un choix.

Le soir, au téléphone, le Père Marcel Bois, notre curé a fixé l’heure de la messe pour le lendemain matin : 8h30. Il changeait régulièrement, car les trajets entre la maison et l’Eglise étaient devenu un temps privilégié d’attaque des religieux ou religieuses.

Le lendemain matin, avec Odette, nous sommes sorties de la maison, pour arriver sur la grande artère voisine. Nous avions rendez-vous vers 8h1/4 avec une amie, qui nous prenait en voiture pour aller jusqu’à l’Eglise du quartier. A cette heure-là un vendredi matin, jour de repos, la rue était déserte. Là, il y a un blanc dans ma mémoire, je me retrouve assise par terre, avec du sang qui me monte à la gorge par saccade. J’ai craché ce sang et le flux s’est heureusement tari ! Constatant que je ne ressentais pas de douleurs, je me suis dit que cela ne devait pas être grave. En levant les yeux, j’ai vu un tout jeune homme armé. Nous nous sommes regardé et je me souviens de m’être dit : « Merci mon Dieu, je ne le connais pas » Il m’aurait été très dur, en effet, de reconnaître un de nos voisins. Grâce à cette « entrevue » j’ai toujours eu le sentiment que je n’avais pas été personnellement visée, mais que je ne l’avais été, qu’en tant qu’Européenne ou religieuse, ce qui est tout autre chose. J’ai été étonnée de ne pas ressentir de peur à ce moment-là, mais de l’étonnement, peut-être parce que ce garçon me semblait très jeune, ou parce que cela ne ressemblait pas à ce que nous nous imaginions parfois en pensant à ce qui pourrait arriver, ou encore, parce que la situation étant objectivement grave, Quelqu’un d’autre me couvrait sous son ombre et me prêtait ses yeux et son cœur pour voir et sentir autrement. Ensuite, derrière l’endroit où était notre agresseur, j’ai vu Odette, écroulée sur le sol, j’ai réalisé qu’elle était morte, mais curieusement, sans éprouver d’émotion, c’est peut-être une anesthésie émotionnelle du choc

Au bout de quelque temps, un policier arrivé, il m’a amenée en voiture à l‘hôpital du quartier, juste à côté. A l’accueil, un voisin était là et m’a regardé l’air effrayé, je lui ai demandé de prévenir le curé, puis on m’a expédiée à Aïn Naja, l’hôpital militaire d’Alger. Je n’ai plus aucun souvenirs depuis mon entrée dans l’ambulance jusqu’au réveil à l’hôpital Bégin à Paris, le lundi suivant. J’y avais été transférée le vendredi soir après avoir reçu les premiers soins à Alger.

Nous avions vécu à 3 ces années noires à Alger et heureusement, nous n’étions que 2 ce jour-là, mais c’est en France qu’Anne Marie a appris la nouvelle et cela a été pour elle une blessure terrible qui a mis beaucoup plus de temps à se cicatriser que les miennes. Il y a ce qui est visible et ce qui ne se voit pas.

Au réveil, le bilan n’était pas encourageant : l’œil gauche très perturbé, le bras droit dans le plâtre, l’avant-bras chargé d’un fixateur externe (le radius était brisé et il en manquait 1cm)) et la main droite était incapable de s’ouvrir seule, je ne pouvais me soulever dans le lit que si l’on me soutenait le cou, ni m’alimenter par voie orale et une infection me mangeait les poumons, mais comme au moment de l’attentat, mon état de faiblesse me laissait à l’ombre de Celui qui repousse au loin les mauvais rêves et les angoisses de la nuit : je me souviens de morceaux du psaume 90 qui habitaient mes insomnies: « Quand je me tiens sous l’abris du Très haut… Qu’il en tombe mille à tes côtés… toi tu restes hors d’atteinte » Un autre texte me revenait à l’esprit : « Deux femmes sont assises ensemble à la meule, l’une est prise, l’autre est laissée… » C’était l’évangile du vendredi suivant. La route a été longue et semée d’embuches pour retrouver l’autonomie et la santé, en essayant de ne pas oublier ce qui m’a été donné de vivre et la question : « que faire de cet événement » ?

Après cela, je comprends mieux que pour le peuple Hébreux, les 40 ans de marche au désert, qui n’avaient rien d’une promenade de santé ait été relus comme un temps privilégié de rencontre avec son Dieu.

La liste serait longue de tous ceux et celles qui d’une façon ou d’une autre ont contribué à me remettre debout, à traverser le désert et à remonter la pente et je leur suis très reconnaissante.

L’année suivante, à la suite de l’enlèvement, et de la mort des moines de Tibhirine, le testament de Christian de Chergé a été publié. Lorsque nous nous rencontrerons s’il plait à Dieu, je lui demanderai comment comprendre cette phrase de son testament : « J’aimerais que ma communauté, mon Eglise, ma famille se souviennent que ma vie était donnée à Dieu et à ce pays. Qu’ils acceptent que le Maître Unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal.» Mais peut-être alors, dans la Lumière n’aurai-je plus besoin d’explications.

Chantal Galicher
Romans sur Isère le 19/09/2014

PDF: 2 Témoignage sur Sœur Odette Prévost de Chantal Galicher 2005 et 2014

Charles de FOUCAULD et ses disciples à Madagascar. André GACHET

Au cours du premier semestre 2017, la famille Charles de Foucauld de Madagascar a été rudement touchée par la mort de deux prêtres responsables : José et Félix, atteints par un mal pernicieux et analogue.

D’abord le P. José Doutriaux qui avait fêté ses 80 ans le 18 juin 2016 (le mois précédent, j’avais passé avec lui 2 jours à Lille), emporté le 26 février par un cancer du pancréas et de la rate, puis du foie ; il fut enseveli le 3 mars dans le caveau familial du département du Nord.

L’abbé José – prêtre diocésain de Lille (au nord de la France, à la frontière avec la Belgique) – a vécu plus de 40 ans au service de l’archidiocèse de Toliara/Tuléar, en tant que missionnaire Fidei Donum. C’est lui qui avait introduit la spiritualité foucauldienne à Madagascar et fondé l’association des prêtres Jesus-Caritas, notamment dans le sud de la Grande Île. Depuis son retour au pays natal, je le soutenais par téléphone tous les quinze jours environ, d’abord à la maison diocésaine Notre-Dame de la Treille à Lille (où Félix avait été lui rendre visite en octobre 2015), puis chez les Petites Sœurs des Pauvres à La Madeleine, résidence dans laquelle José recevait une assistance médicale appropriée.

L’abbé Félix de Vallois Rajaonarivelo, ordonné prêtre pour le diocèse de Mahajanga en août 1980, avait fêté ses 65 ans à la Toussaint 2016. Grâce à son exceptionnel charisme de communicateur et sa débordante chaleur humaine, il avait mis en place de nombreuses Fraternités séculières dans le centre et le nord du pays.

Félix et moi avions développé une complicité de près de 30 ans quand – l’un et l’autre étudiants à l’Institut Catholique de Paris – il fonda « l’Association des prêtres, religieux et religieuses de Madagascar en étude en Europe » dont le but était « se connaître, tisser des liens fraternels en Europe où la communication et les transports sont aisés, afin de tenter, au retour à Mada, une pastorale interdiocésaine basée sur le fihavanana ». Dynamique président, P. Félix organisa, durant les étés, trois sessions pastorales en France, du côté de la Savoie : 1988 à Annecy, 1989 à Trésun, 1990 à Grenoble. En tant que membre du Centre Lebret « Foi et Développement », je fus délégué à ces journées d’étude pour apporter chaque fois une contribution, sous l’angle de l’enseignement social de l’Église.

C’est donc à partir de l’été 1988 que naquit cette amitié solide qui conduisit Félix plusieurs fois dans ma famille à Genève ; et moi-même, en septembre 2014, à Mampikony, son village natal où se trouvent et la maison familiale et le cimetière accueillant les tombes de ses parents. De la même manière, j’hébergeais Félix chez moi à chacun de ses séjours à Fribourg. Le dernier, en octobre 2015.

Tous les 2 ou 3 ans, les branches foucauldiennes de l’Île Rouge (regroupant les Petites Sœurs de l’Évangile, les Fraternités séculières et les prêtres Jesus-Caritas) se réunissent pour vivre ensemble des journées nationales, sous la forme d’une retraite spirituelle ou d’une session de formation. Aussi Félix m’invita-t-il à animer, du 1 au 7 septembre 2014, à Ambovory, un cours de sociologie religieuse et d’éthique sociale sur le thème de la fraternité, que j’intitulai : « De Charles de Jésus au Frère universel ». Cette session se tint en même temps que la rencontre annuelle de l’Équipe internationale des prêtres Jesus-Caritas, au sein de laquelle Félix représentait le continent africain !

En février 2017, à mon retour d’Afrique centrale – alors que José vivait ses tout derniers jours sur cette terre – un courriel de Fr. Félix m’annonça une maladie terrifiante : un cancer hépatocellulaire. Je fus atterré. En vain, j’entrepris des démarches pour le faire soigner à Paris, mais – malgré des plaidoyers appuyés – je ne pus décrocher, auprès de congrégations religieuses missionnaires ad extra, la couverture financière indispensable pour couvrir un traitement ad hoc en Europe …

La solution indienne alors s’imposa. À Bangalore (mégapole au sud de l’Inde) où Félix fut hospitalisé du 10 avril au 13 mai. Là-bas, en Asie, les oncologues pratiquèrent une chimio-embolisation, en lui administrant un médicament importé de Singapour (Malaisie). Grâce à l’appareil téléphonique de Jean de Matha Jaotody, son unique jeune frère qui, d’ailleurs, l’accompagnait, je pus converser chaque semaine avec Félix ; et encore une ultime fois, lors de son escale à l’Île Maurice, sur la route du retour à Tana.

Et aussi sur le chemin de la Rencontre transcendantale qui aura lieu 3 semaines plus tard, les 3 et 5 juin, à Mahajanga, en la fête de la Pentecôte.

Après avoir luttés en même temps contre le même mal effrayant et inexorable, les Pères José et Félix, prêts à tout, acceptant tout, ne désirant rien d’autre que la volonté de Dieu se fasse en eux, s’abandonnèrent à Lui.

Avec foi, lucidité et espérance, à la suite de Jésus, ces deux disciples du Christ – et amis si chers – se remirent sans mesure, avec une infinie confiance en ce Dieu qui est leur Père … et aussi le nôtre !

André Gachet

Fribourg / Suisse, juin 2017

PDF: Charles de FOUCAULD et ses disciples à Madagascar. André GACHET