Ce que j’apprends de mes voisins. Marc HAYET

A Lille, dans le Nord de la France, il y a deux fraternités dans des quartiers populaires. Marc, qui vit à Lille-Sud, avec Régis et Filip, nous parle de ses engagements et de tout ce qu’il reçoit dans les rencontres au fil des jours.

Les documents de préparation du Chapitre nous invitent à faire le point sur nos lieux de vie, les situations dont nous nous faisons proches, la façon dont nos engagements et nos présences nous font vivre. Je les reçois comme une invitation à donner des nouvelles : il y a longtemps que nous n’avons pas écrit depuis Lille-Sud.

Avec Régis, nous sommes arrivés dans le quartier de Lille-Sud en janvier 1983 : trente-six ans déjà ! J’ai eu une longue période d’absence de plus de quinze ans, mais sans couper les liens avec voisins et amis, et maintenant voilà presque dix ans que je suis revenu. Autant dire que beaucoup de liens se sont créés avec le quartier, avec quelques familles en particulier qui nous ont accueillis « comme de la famille » (me permets d’écrire ça parce que je les ai entendus se le dire entre eux …) On partage la vie avec ses grandes difficultés et ses joies, avec ses misères et ses limitations et avec les quelques réussites. Je donne un coup de main à plusieurs pour les papiers administratifs : Dieu sait s’il faut en remplir et Dieu sait s’ils sont parfois compliqués, avec, en plus, l’informatisation de beaucoup de démarches quand beaucoup de nos amis n’ont pas accès à ces techniques…

Mais j’ai l’impression que ce dont les gens ont le plus besoin, ce n’est pas d’abord de ce genre de services, mais c’est de l’attention et de l’amitié. Chacun attend un peu d’écoute, de considération sans jugement ; se sentir aimé et respecté sans condition. C’est parfois exigeant et il faudrait être disponible 24 heures sur 24, mais ça me touche beaucoup de sentir la confiance qui grandit. Et ce qui me touche plus encore, ce sont les fruits de cette confiance et en particulier l’attitude de vérité. En disant cela, je pense par exemple à un de nos jeunes amis : “on l’a vu naitre” il y a 34 ans, c’était le fils de nos voisins immédiats. Il y a deux ans, on l’a accompagné, soutenu et visité quand il a fait une cure de désintoxication alcoolique. Quelques mois plus tard, je le trouve dans la rue avec deux autres amis. On bavarde ensemble un moment, puis il dit aux autres : « Allez-y ! Moi, je reste là, il faut que je parle avec Marc ». Et quand on est seuls, il me dit : « Tu sais, j’ai recommencé à boire … » J’ai été très touché par ce désir d’être vrai, ce courage à apparaitre en face de l’autre tel que je suis, sans cacher mes limites. Il exprimait comme une sorte de crainte : que l’autre n’aille surtout pas me juger meilleur que je suis ! (l’exact opposé de la crainte habituelle …). Il ne voulait pas que j’apprenne sa rechute par d’autres mais il savait bien que, s’il me la confiait, cela n’al lait pas casser l’amitié ni la confiance et que je resterais à ses côtés. Et il m’a donné une sacrée : elle est où ma confiance à moi ? moi qui n’ai aucune envie que les autres découvrent mes limites et mes failles et qui fais tout pour les cacher …

On a la chance d’être dans une Église locale qui a été très marquée par la mission ouvrière. On a des liens – surtout les frères de l’autre fraternité – avec plusieurs groupes et communautés chrétiennes dont les membres, très engagés, sont vraiment des gens de nos quartiers populaires : ils en ont le style, le langage et les richesses aussi. Mais dans un contexte marqué par une forte “déchristianisation” et par une présence importante de croyants musulmans, c’est une Église très minoritaire et très petite. D’où la difficulté à assumer un certain nombre de services vitaux et la nécessité de faire appel à toutes les “bonnes volontés”. C’est dans ce cadre que la demande nous avait été faite, il y a quelques années, à cause de notre “connaissance du milieu”, de participer à l’accompagnement des catéchumènes : on en a parlé entre nous et j’ai accepté de faire partie d’une équipe. Une fois par mois, avec Myriam, une mère de famille, nous retrouvons deux ou trois adultes qui se préparent au baptême. C’est un cheminement qui dure environ deux ans. Je ne connaissais rien à ce type d’accompagnement et j’ai eu la chance de suivre une formation assurée par le service du catéchuménat. Les personnes qu’on a accompagnées jusqu’ici était surtout des femmes, entre 20 et 50 ans, souvent avec une histoire personnelle difficile. Je suis toujours frappé par la fraîcheur de leur découverte et cette sorte de « soif » et d’attente vive qui les anime.

On utilise des fiches de travail intitulées « Rencontres avec Jésus le Christ », construites autour de passages de l’évangile ou des personnes rencontrent Jésus; et on découvre ensemble le « style » de Jésus, sa manière d’être et d’agir et le visage de Dieu qu’il nous propose ; c’est aussi une façon de découvrir qu’être chrétien, ce n’est pas d’abord “ingurgiter” un corps de doctrines, c’est avant tout rencontrer quelqu’un de vivant, en acceptant de se laisser bousculer et changer par cette rencontre.
Ce qui m’a peut-être le plus marqué au fil des ans, c’est de toucher du doigt combien, pour beaucoup, la question du pardon est centrale. Je me souviens de cette jeune femme qui nous disait, après qu’on avait abordé ce thème : « Je crois que ma route vers le baptême, pour les mois qui restent, doit être une route de pardon, à donner et à recevoir ; ça va être difficile mais je ne peux pas passer à côté ! »

Et je me rappelle une nouvelle baptisée, camerounaise, improvisant dans l’église une danse enthousiaste, à la fin de la veillée pascale, pour exprimer sa joie avec toutes les fibres de son être, entrainant avec elles sa famille et ses amis et bientôt une bonne partie de l’assistance.

A la paroisse, j’ai aussi accepté un autre service, celui du « journal paroissial », bien grand mot pour une revue de 16 pages qui parait trois fois par an. C’est un journal gratuit, distribué par un bataillon de bénévoles dans plus de 6500 boites aux lettres du quartier. Dans la charte, il y a une phrase que j’aime bien (et que je cite à toutes les réunions de travail de ” l’équipe de rédaction” ! …) : « Nous voulons un journal qui offre aux habitants de Lille-Sud un regard chrétien sur le monde (et non exclusivement un regard sur le monde chrétien).” Et la charte explique comment faire : en parlant des richesses du quartier (le travail des associations, les solidarités, les projets communs, le “vivre ensemble”, etc.) ; par des interviews, pour faire parler ceux qui n’ont pas souvent la parole ; en essayant de faire deviner que la vie n’est pas “banale” mais pleine de sens. Beau programme, direz-vous, mais je crois pouvoir dire, modestement, qu’on le remplit assez bien. Pour moi en tout cas, même si ça m’occupe beaucoup les semaines avant chaque parution, c’est avant tout une vraie chance de rencontres.

Notre quartier a une mauvaise réputation, c’est pourtant un quartier plein de vie ou le tissu associatif est très dense. Toutes sortes d’associations : les clubs de sports bien sûr, le soutien scolaire, la promotion féminine, et des choses inattendues mais tout aussi géniales comme La cravate solidaire, une association qui aide les gens à se préparer à des entretiens d’embauche : simulation d’entretiens et conseils, choix de vêtements gratuits (fournis par des boutiques) pour être digne et bien se présenter, photo d’identité pour le CV, tout y est, y compris un suivi des personnes avec qui les bénévoles gardent le contact pendant quelques mois.

Grace au journal, j’ai ainsi eu l’occasion de rencontrer des personnes très engagées au service de la vie du quartier. Quelle richesse ! Avec certaines, on a l’occasion de se revoir, lors de fêtes ou de réunions du quartier, et c’est toujours une joie. Je pense, entre autres, à un animateur du quartier que j’avais interviewé à propos de deux films remarquables qu’il avait réalisés. On aime se revoir, et le dialogue continue, comme en témoigne ce texto qu’il m’a envoyé en me souhaitant une bonne année : « Les temps ont toujours été durs dans ce monde, mais, à notre époque, il nous manque des personnes ressources qui emploient des vrais mots avec du sens derrière … » : c’est ce qu’il essaye de vivre dans ses activités avec les jeunes.

J’aimerais terminer en vous parlant d’un autre lieu où je suis présent avec Régis. C’est un collectif qui s’appelle « Mémoire-Fraternité » (Mémoire aux défunts-Fraternité aux vivants). Dans ce collectif, il y a des associations, qui sont toutes au service des personnes en grande précarité. Et puis il y a un groupe, celui dont nous faisons partie, qui assure une présence fraternelle lors des enterrements des personnes sans ressources.

En France, la loi oblige les mairies à prendre en charge les funérailles des personnes décédées sur leur territoire et qui n’ont pas – ni leur famille proche – les ressources suffisantes pour assurer leur sépulture. Autrefois, à Lille, ces enterrements avaient lieu en vitesse, au petit matin, le plus souvent sans accompagnants et les personnes étaient enterrées dans ce qu’on appelait « le carré des indigents ». Il y près de 25 ans qu’un groupe de personnes a décidé de mettre sur pieds ce collectif, avec cette simple réaction d’humanité : « On n’enterre pas un être humain comme un chien ». Des accords ont été conclus avec la mairie et les services des Pompes funèbres, si bien que, chaque fois qu’une personne est prise en charge par ce programme, nous sommes prévenus ; et un petit groupe, ceux qui peuvent se libérer, assure une présence et une petite célébration d’adieu à celui ou celle qui s’en va. Même si la plupart des participants sont des chrétiens (catholiques et protestants), la célébration est une célébration “laïque”, de “fraternité républicaine”, sauf si des proches de la personne décédée ont demandé qu’il y ait une prière. Les “anciens” du collectif ont remarqué une évolution : autrefois, il s’agissait beaucoup de personnes isolées, parfois vivant à la rue. Maintenant il y a de plus en plus de personnes en lien avec leur famille ou bien insérées dans leur quartier mais sans ressources suffisantes. Signe d’un appauvrissement de la société ? Les dernières années, il y a eu, chaque année, une quarantaine d’enterrements pris en charge par ce programme.

Je fais partie de la petite équipe qui assure la célébration auprès de la tombe : il s’agit de faire un petit “discours” donnant quelques détails de la vie de la personne qu’on enterre (si on a pu avoir un contact avec de la famille ou des services sociaux qui la suivaient) et rappelant le sens de la démarche. Puis il y a une minute de silence, la lecture d’un poème, et chacun des participants s’incline devant la tombe en y déposant quelques fleurs. Souvent, je cite l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits […] lis doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

J’avoue que je suis toujours très remué quand nous accompagnons quelqu’un d’absolument seul : comment est-ce possible que quelqu’un meure et qu’il n’y ait personne à qui il (ou elle) manque ? Il nous est arrivé d’accompagner des personnes dont on savait seulement si c’était un homme ou une femme : pas de papiers d’identité sur eux et personne pour signaler la disparition. Vraiment seul (ou seule) au monde ! … Je crois que chacun des membres de notre groupe a très fortement ancrée en lui (en el le) cette certitude que c’est un devoir d’être là pour témoigner simplement de notre humanité commune et de notre fraternité. Et j’admire ce vieux monsieur de 92 ans, qui vient d’un autre quartier de Lille, qui marche avec deux cannes et fait à pied le dernier kilomètre, simplement pour poser ce geste de fraternité.

Il faut dire qu’il y a aussi parfois des belles choses : je me sou viens de l’enterrement d’un homme qui logeait dans un foyer d’hébergement pour personnes vivant à la rue. À l’enterrement de cet homme, des animateurs du foyer étaient présents et aussi un bon copain du défunt. Au moment de s’incliner devant la tombe, cet ami a pris la parole : « Pourquoi tu m’as laissé ? C’est moi qui aurais dû partir. Mais attends un peu : la, j’ai plus un sou, mais laisse-moi toucher mon RSA (allocation minimale de solidarité, versée par l’état aux personnes qui n’ont pas de revenus ou des revenus très faibles) et je vais venir ici avec une bonne bière et je la boirai à ta santé ». On peut sourire, mais il avait mis dans ce message, avec ses mots a lui, tout son cœur et toute son amitié pour son copain. On avait envie d’applaudir

J’ai écrit un jour pour le journal paroissial un article intitulé : « Tu sais quoi ? Je crois bien que Dieu habite notre quartier ! ». Je voulais simplement vous partager aujourd’hui quelques lieux ou cette conviction se nourrit. Et je n’ai pas fini de dire merci à ceux et celles qui me font découvrir sa présence …

A la prochaine !

Marc

PDF: Ce que j’apprends de mes voisins. Marc HAYET

La prophétie de Charles de FOUCAULD. Antonio LÓPEZ BAEZA

“Retournons à l’Évangile, sinon le Christ ne sera pas avec nous”

Charles de FOUCAULD

L’avenir de l’Église, c’est le désert:

Autrement, comment, peut-il indiquer au monde actuel le chemin qui mène de l’esclavage et des dépendances qui l’affligent à la joyeuse liberté des enfants de Dieu?

L’avenir de l’Église, c’est Nazareth:

La force prophétique (c’est-à-dire la capacité de convaincre) de sa parole dans le monde dépend de son incarnation dans les indigences et les luttes des pauvres et des marginalisés de chaque société.

L’avenir de l’Église, c’est la Fraternité universelle:

Au sein de celle-ci, personne ne peut se sentir exclu ou marginalisé; tous sont embrassés au-delà des rites et des croyances, au-delà des différentes façons de concevoir l’existence humaine et de rechercher le bonheur.

L’avenir de l’Église, c’est Jésus, le Modèle Unique:

Celui qui n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, chemin d’humanité en plénitude pour être doux et humble de cœur; révélant avec sa vie et avec sa mort le visage d’un Dieu, Père et Mère, follement amoureux de toute créature humaine.

L’avenir de l’Église, c’est crier l’Évangile avec sa vie:

Une vie qui contamine la joie de se sentir déjà sauvé par Dieu. Une vie qui trouve tout son sens dans le silence du service le plus désintéressé. Une vie offerte dans l’action de grâce et la communion à tous ceux qui ont soif de la vie.

L’avenir de l’Église, c’est la dernière place :

Parce qu’avec la sagesse de l’Esprit, elle sait que les princes et les puissants de ce monde oppriment toujours; et elle sait que les premières places au Banquet du Royaume sont réservées à ceux qui ont accepté d’être serviteurs inutiles et désinteressés, tout en faisant ce qu’ils devaient faire.

L’avenir de l’Église, c’est l’Absolu de Dieu :

Il convient qu’Il grandisse et qu’elle diminue. Parce que seul Dieu sauve – et Dieu seul sauve que! Lui seul capable de tirer des enfants d’Abraham des pierres et seul lui est également capable de combler les aspirations les plus profondes du cœur humain.

L’avenir de l’Église, c’est l’Adoration de l’Éternel :

Le Dieu plus grand que toutes les institutions et les idées qui louent et défendent son nom. Devant lui il n’y a plus que le silence de l’âme amoureuse, livrée à l’étonnement d’un tel amour immense.

L’avenir de l’Église, c’est l’abandon à Dieu:

Ne rien chercher pour soi-même sous forme d’honneurs ou de privilèges; accepter les incompréhensions, les persécutions et les échecs qui pourraient lui arriver et rester fidèle à l’Évangile en suivant son Maître avec la Croix; et elle travaille le plus la plus tranquille gratuité, sachant que sa mission dans le monde ne dépend pas de l’efficacité des moyens temporaires.

L’avenir de l’Église, c’est la simplicité évangélique:

Revenons à l’Évangile! Simplicité de la hiérarchie. Simplicité de la morale. Simplicité dans les expressions liturgiques – Simplicité, avant tout, dans l’exposition de la vérité révélée que nous transmet la diaphanie du Verbe fait Chair.

L’Église du futur sera une Église de ressuscités :

Des femmes et des hommes courageux et libres, des amoureux passionnés de la vie et défenseurs intrépides de la dignité et des droits de l’homme; Bienheureux dans la pauvreté de leur esprit de solidarité; prêts à donner leurs vies, au quotidien de leurs responsabilités, comme le grain de blé qui n’a pas peur de mourir pour porter beaucoup de fruits pour le bien commun …

Ou elle ne le sera pas du tout!

PDF: La prophétie de Charles de FOUCAULD. Antonio LÓPEZ BAEZA. Fr

Pour une bonne réception du message de l’assemblée mondiale de Jesus Caritas à Cebu pour nos fraternités locales. Jean-François BERJONNEAU

Quand une assemblée comme celle de Cebu adresse un message aux membres des fraternités répandues dans tous les continents, elle doit se préoccuper de sa réception. Il ne suffit pas que cette lettre reflète l’expérience qu’ont vécue les participants à cette rencontre. Il est opportun de se soucier de la manière dont ce message va rejoindre l’expérience des fraternités et éventuellement va transformer leurs pratiques et orienter leurs réflexions.

Cet article veut éveiller les membres de la fraternité sacerdotale Jesus Caritas sur les nouveautés dont ce texte est porteur pour la vie et la mission de nos fraternités :

1) Lorsque nous nous sommes rassemblés à Cebu, aux Philippines, nous avons fait une belle expérience concrète de la « fraternité universelle » ! Quarante deux prêtres, venus du monde entier, riches de leur expérience pastorale au milieu d’un peuple dont ils partagent la vie se sont réunis autour du thème « Prêtres diocésains missionnaires à la lumière du témoignage du bienheureux Frère Charles de Foucauld » .

Tout au long des échanges et des débats que nous avons eus durant les trois semaines de cette assemblée générale, nous avons senti battre le cœur des communautés et en particulier des pauvres dont chacun de ces frères était solidaire. Ainsi ce n’était pas seulement une rencontre de prêtres animés par le charisme du Frère Charles, mais c’était aussi la convergence de la vie, des joies et des peines, des souffrances et des espérances de ces peuples dont nous faisons tous partie qui était au cœur de notre réflexion et de notre prière. Et nous pouvons dire qu’à travers tous ces échanges d’expériences et de solidarités multiples qui marquaient la vie et le ministère de chaque prêtre nous avons senti de manière concrète ce que c’était que cette unité de la famille humaine pour laquelle le Christ a donné sa vie.

Donc derrière ce message de Cebu qui est venu rejoindre vos fraternités, dites-vous bien que c’est la vie d’une multitude de pauvres de tous les continents qui est engagée.

2) La méthodologie que nous avons adoptée s’est inspirée de la démarche de la « révision de vie » telle que l’Action Catholique nous y invite : Voir Juger Agir. C’est-à-dire que nous avons d’abord pris le temps de porter un regard lucide sur la réalité sociale économique et politique de nos pays et aussi sur la manière dont l’Église dans ces différents pays se situe.

Ensuite nous avons avancé dans des critères de discernement sur cette situation en prenant en compte la Parole de Dieu, les éléments essentiels du message du Frère Charles et l’exhortation à relancer notre démarche missionnaire telle que nous l’adressée le Pape François dans « La joie de l’Évangile ».

Enfin nous avons laissé retentir les appels essentiels à nous engager dans nos fraternités sacerdotales pour que les prêtres diocésains que nous sommes orientent leur ministère dans une perspective résolument missionnaire et renouvelée par le souffle du Pape François.

C’est à cette même révision de vie avec la rigueur qu’une telle démarche exige, que nous sommes appelés à vivre dans chacune de nos rencontres de fraternité.

3) Nous nous sommes rendu compte dans l’exposé des réalités telles qu’elles étaient présentées par les délégués des différents continents et les pays représentés que dans cette société mondialisée, les défis à relever étaient presque partout les mêmes

Défi d’un système libéral et d’une économie de marché qui continue un peu partout de développer les inégalités entre les secteurs les plus riches de la société et des pauvres qui deviennent toujours plus pauvres. Et ce système est générateur d’injustices criantes : Partout des droits fondamentaux de la personne humaine ne sont pas respectés.

Défi de la dégradation écologique de cette « maison commune » que constitue notre planète avec les conséquences toujours plus évidentes du réchauffement climatique et de l’accumulation des gaz à « effet de serre » : montée des eaux des océans, multiplication des cyclones, des tornades, des inondations meurtrières alors que dans d’autres pays, la sécheresse et la désertification s’amplifient. Et ce sont les plus pauvres qui sont les premières victimes de tous ces dérèglements climatiques.

Défi des mouvements migratoires croissants consécutifs à la violence, à la guerre et au manque d’avenir pour de nombreux jeunes des pays pauvres. Aucun pays n’est désormais épargné par ce phénomène qui va en s’amplifiant. Et nous savons que les mouvements migratoires qui vont d’un pays du Sud à un autre pays du Sud sont plus importants que ceux qui s’orientent vers les pays de l’hémisphère Nord. Et en Europe, l’opinion publique assiste aux naufrages de nombreux de migrants venus d’Afrique dans les eaux de la Méditerranée avec un regard marqué par ce que le Pape François appelle la « mondialisation de l’indifférence »

Défi de l’apparition dans des pays de plus en plus nombreux de gouvernements qui exaltent l’orgueil et l’égoïsme national, la méfiance vis-à-vis de l’étranger et le refus de toute solidarité internationale. Ils sont plus prêts à construire des murs entre les nations qu’à établir des ponts. Dans ces conditions le « vivre-ensemble » au sein d’une même société de personnes de cultures ou de religions différentes devient plus difficile !

• Enfin nous avons perçu qu’en de nombreux pays de la planète, la religion musulmane est l’objet d’affrontements internes et que les tendances à la radicalisation et au fondamentalisme se développent. La violence terroriste gagne de nombreux pays. Les peurs se développent dans ce contexte. Et nous avons noté que plus le dialogue avec certains musulmans devient difficile plus il devient urgent.

4) Toutes nos fraternités, dans quelque pays qu’elles soient situées, sont touchées de diverses manières par ces mêmes réalités à dimension mondiale. Et nous avons noté que cette situation internationale donne une actualité saisissante au concept de « fraternité universelle » développé par le Frère Charles. Car en chacun de ces défis, c’est bien la capacité de vivre en frères et sœurs dans la justice et le respect des diversités qui est mis en cause. De plus nous avons perçu avec plus d’acuité la nécessité de rester en communication d’un continent à l’autre, grâce aux facilités nouvelles que nous donnent les médias, pour échanger nos informations, nos réflexions et nos initiatives pour relever ensemble ces défis.

5) Nous avons perçu avec plus d’acuité, combien un certain nombre d’éléments constitutifs de l’itinéraire spirituel du Frère Charles sont opérants pour la situation telle qu’elle se présente dans le monde : option préférentielle pour les plus pauvres, souci de vivre pauvre parmi les pauvres, volonté de témoigner de la fraternité au milieu d’un peuple dont on ne partage ni la foi ni la culture, respect absolu de la liberté de l’autre, ouverture d’un « dialogue de la vie » fait de compréhension de l’autre et marqué par la « bonté », désir d’être présence d’Evangile plus par le vie que par la parole, apprentissage de la culture et de la langue de l’autre, souci du respect de la dignité fondamentale de toute personne humaine (en particulier vis-à-vis de l’esclavage), volonté de considérer toute personne humaine quelle qu’elle soit comme « un frère bien-aimé, un enfant de Dieu, une âme rachetée par le sang de Jésus, une âme bien-aimée de Jésus », désir de participer au développement humain et économique du peuple dont on partage la vie…Tous ces éléments de l’héritage spirituel de Frère Charles doivent éclairer la vie et l’engagement de chaque membre de nos fraternités.

6) Dans le prolongement de cette prise de conscience, nous avons perçu comment le Pape François vient relayer ces intuitions et leur donne une actualité dans son exhortation « La Joie de l’Évangile » ; Et c’est à une dynamique renouvelée de la mission que nos fraternités sont appelées en urgence !Appel à sortir à la rencontre des gens qui vivent « dans les périphéries », à faire avec eux l’expérience de la « mystique  du vivre ensemble » qui consiste à se mélanger, se rencontrer, se prendre dans les bras, se soutenir, participer à cette marée un peu chaotique qui peut se transformer en une expérience de véritable fraternité », à « courir le risque de la rencontre avec le visage de l’autre, avec sa présence physique qui interpelle, avec ses souffrances et ses demandes, avec sa joie contagieuse dans un constant corps à corps » E.G. N°87. Nous retrouvons une consonance avec le message du Frère Charles lorsque le Pape François appelle de ses vœux « une Église pauvre pour les pauvres »…et lorsqu’il ajoute « ils (les pauvres) ont beaucoup à nous enseigner…Il est nécessaire que nous nous laissions évangéliser par eux…et accueillir la véritable sagesse que Dieu veut nous communiquer par eux. »EG N°198

Et comment ne pas entendre un écho de l‘« apostolat de la bonté » cher à Frère Charles lorsque François appelle les disciples missionnaires que nous sommes à « une attention à l’autre … cette attention aimante à l’autre est le début d’une véritable préoccupation pour sa personne à partir de laquelle je désire effectivement son bien. » EG N°199

7) Et c’est à partir de cette exigence missionnaire à sortir à la rencontre de l’autre, à le connaître, à considérer en lui un frère, à marcher avec lui à son rythme, à être auprès de lui « présence d’Évangile » que nous pouvons mesurer l’urgence de prendre au sérieux les appels que le Frère Charles nous lance pour une véritable vie spirituelle en nous proposant les moyens de la prière, de l’adoration, de temps conséquents de désert et de la révision de vie en fraternité.

C’est ce qu’il notait, avec son vocabulaire bien particulier, dans ses résolutions de retraites en 1902, alors qu’il était à Beni Abbès. :

« Désir passionné de sauver les âmes ; faire tout et ordonner tout pour cela ; faire passer le bien des âmes avant tout, faire tous nos efforts pour nous servir parfaitement des sept grands moyens que Jésus nous donne pour convertir et sauver les infidèles ; oblation du Saint Sacrifice, présence au tabernacle du saint Sacrement, bonté, prière, pénitence, bon exemple, sanctification personnelle – « Tel pasteur, tel peuple » – « le bien que fait une âme est en raison directe de son esprit intérieur »… »

Et en écho, le Pape François affirme dans la Joie de l’Évangile :

« Évangélisateurs avec esprit signifie évangélisateurs qui prient et qui travaillent…Il faut toujours cultiver un espace intérieur qui donne sens chrétien à l’engagement et à l’activité missionnaire. Sans des moments privilégiés d’adoration, de rencontre priante avec la Parole, de dialogue sincère avec le Seigneur, les tâches se vident facilement de leur sens, nous nous affaiblissons à cause de la fatigue et des difficultés et la ferveur s’éteint. » EG N°262

Si, comme nous l’avons constaté durant l’assemblée de Cebu, ces voies spirituelles essentielles que nous propose la Fraternité et qui sont les temps de désert, les temps d’adoration, les temps d’écoute priante de la Parole de Dieu, les rencontres fraternelles autour de la relecture de notre vie à la lumière de l’Évangile ne sont plus pratiquées, c’est toute la dynamique qui consiste à être présences du Christ auprès de nos frères qui s’essouffle et s’affaiblit.

Alors en fraternité, prenons le temps de relire les appels contenus dans le Message de Cebu, faisons les nôtres dans une pratique renouvelée de la mission face aux immenses défis que nous lance l’évolution pleine d’incertitudes de notre monde.

Et ensemble fraternités de l’hémisphère Nord, avec l’expérience de l’âge qui s’avance et fraternités de l’hémisphère Sud, avec l’enthousiasme de l’âge qui s’élance, soyons ces frères universels et ces « disciples missionnaires » dont notre humanité a tant besoin.

Jean-François BERJONNEAU
(membre de l’équipe qui a rédigé le message de Cebu)

PDF: Pour une bonne réception… Jean-François BERJONNEAU

Les martyrs de Dablo, Burkina Faso

C’est à la date du 12 mai 2019, pendant la célébration Eucharistique du dimanche du Bon Pasteur, que la communauté chrétienne de Dablo, réunie pour la messe dans son église paroissiale, a été jugée digne par son Seigneur et Maître, le Christ Jésus, de témoigner de lui par le martyre de six de ses membres. Que le nom du Seigneur soit béni pour les siècles des siècles. Amen !

Document complet (PDF) : Hommage aux martyrs de la foi de la paroisse de Dablo