Texte 2: Biographie. Preparation à la canonisation de frère Charles

GRANDS TRAITS BIOGRAPHIQUES DE CHARLES DE FOUCAULD

Ab. Nabons-Wendé Honoré SAVADOGO, Burkina

Un orphelin entouré d’affection

Le Vicomte Charles-Eugène de Foucauld de Pontbriand naquit à Strasbourg le 15 septembre 1858 de François Édouard, Sous-inspecteur des Eaux et Forêts, et d’Élisabeth Marie Beaudet de Morlet. Il eut une seule petite sœur, Marie, née le 13 août 1861.

L’enfance de Charles fut marquée par le deuil. En 1864, à 6 ans, il perd sa mère suite à une fausse couche le 13 mars, son père le 9 août et sa grand-mère paternelle en octobre. Charles et sa sœur sont alors éduqués par leur grand-père, le Colonel de Morlet qui entoura leur enfance d’une chaleureuse affection. Leur enfance fut aussi marquée par l’affection de la famille de sa tante paternelle, les Moitessier. Charles noua surtout une solide et profonde amitié avec sa cousine Marie Moitessier qui jouera un rôle déterminant dans sa croissance humaine et spirituelle. Son grand-père lui assura une bonne éducation chrétienne ; il fit sa première communion et sa confirmation le 27 avril 1872.

La foi perdue et retrouvée

Admis au lycée de Nancy en 1872 et à l’École militaire de Saint-Cyr en 1976, Charles perd la foi pendant une douzaine d’années. Cette étape de sa vie fut marquée d’excès et de déviations de comportement. Le décès de son grand-père le 3 février 1878 empira sa situation. Charles s’enfonça alors dans la paresse, l’indolence, l’ennui, l’indiscipline, la médiocrité, les réjouissances effrénées, les folles dépenses financières. Il s’attacha même à une femme, Marie C, et en fit sa concubine.

Militaire peu discipliné mais courageux, Charles s’ennuyait et finit par quitter l’armée en 1882 pour se consacrer à l’exploration du Maroc. L’éclat du succès le rétablit dans l’estime et l’admiration des siens et de la société. Il est désormais habité par une quête morale et religieuse. L’affection et la foi de son ambiance familiale le soutiennent dans sa quête religieuse de plus en plus intense : « Mon Dieu, si Vous existez, faites que je Vous connaisse ! ». Il rencontre l’abbé Huvélin à l’église Saint-Augustin de Paris pour discuter de religion mais ce dernier l’invite à communier et à se confesser. Charles de Foucauld se convertit ainsi en fin octobre et sa relation à Dieu sera progressivement pleine d’amour, de tendresse et d’abandon total à Dieu.

Trappiste et inflexible imitateur de Jésus de Nazareth

En 1890, à peine trois ans après sa conversion, il entra chez les trappistes à Notre-Dame des Neiges puis à Notre-Dame du Sacré-Cœur à Akbès (Syrie). Mais très insatisfait de ne pas pouvoir trouver la pauvreté extrême de Jésus à Nazareth et désireux de fonder une congrégation pour vivre pleinement cet idéal, il quitta la vie des trappistes en janvier 1897. Sous la direction averti de son directeur spirituel, l’abbé Henri Huvelin, il se rendit en Terre-Sainte et se fit domestique des moniales clarisses à Nazareth pour imiter la vie cachée de Jésus pauvre, dépouillé de tout et assis à la dernière place.

La découverte de sa vocation sacerdotale et missionnaire

Pendant presque trois ans, Charles de Foucauld vécut quotidiennement de très longues heures d’adoration eucharistique, de méditation du Saint Évangile et de lectures théologiques. Des changements très importants s’opèrent alors dans la perception de sa vocation et du sacrement de l’Eucharistie. Il perçoit que par-dessus tout, rien ne glorifie tant Dieu ici-bas que la présence et l’offrande de la Sainte Eucharistie. Il est aussi convaincu que jamais un homme n’imite plus parfaitement Jésus que quand il offre le sacrifice ou administre les sacrements. Charles retourne à Notre-Dame des Neiges pour se préparer au sacerdoce. Les retraites d’ordination diaconale et presbytérale lui insufflent la conviction que l’Eucharistie est un banquet à apporter aux plus pauvres. Elle exige de vivre une fraternité universelle avec tous les hommes, en particulier avec les plus éloignés. Désormais, sa vocation d’imitation de Jésus à Nazareth n’est plus à vivre en Terre Sainte, mais au milieu des brebis les plus délaissées, celles du Maroc.

Le défrichement évangélique du Sahara par l’amitié et la bonté

Ordonné prêtre diocésain le 9 juin 1901 au grand séminaire de Viviers, il veut se rendre au Maroc et s’installe pour cela à Beni-Abbès, un carrefour à la frontière entre l’Algérie et le Maroc. Frère Charles vécut au Sahara une évangélisation de défrichement par l’amitié et la bonté. À Beni-Abbès, il commença par mener une vie intensément contemplative avec une grande disponibilité fraternelle à tous ceux qui se présentait dans sa Fraternité : les caravanes, les soldats et officiers, les simples voyageurs, les esclaves et surtout les plus pauvres et les plus démunis.

En vue de commencer l’évangélisation des Touaregs il s’engagea dans des tournées pastorales au rythme des missions militaires. Il voulait ainsi gagner la confiance des populations et entrer en amitié avec elles. Il s’installa ensuite au milieu des Touaregs à Tamanrasset en mai 1905 d’où il faisait des tournées pastorales. Il s’incarna dans leur culture en apprenant leur langue et leur culture et traduisit le Saint Évangile et quelques passages de l’Ancien Testament en touareg. Charles mena aussi d’importants travaux linguistiques dont la réalisation d’une grammaire élémentaire et de deux lexiques touareg-français, français-touareg. En dépit de nombreuses difficultés, Charles ne renonça pas à sa présence parmi les touaregs qu’il résuma en ces termes :

C’est d’abord de mettre au milieu d’eux Jésus, Jésus dans le Très Saint-Sacrement, Jésus descendant chaque jour dans le Saint Sacrifice ; c’est de mettre aussi au milieu d’eux une prière, la prière de l’Église, si misérable que soit celui qui l’offre … c’est ensuite de montrer à ces ignorants que les chrétiens ne sont pas ce qu’ils supposent, que nous croyons, aimons, espérons ; c’est enfin de mettre les âmes en confiance, en amitié, de les apprivoiser, de s’en faire si possible, des amis ; afin qu’après ce premier défrichement, d’autres puissent faire plus de bien à ces pauvres1.

C’est au milieu des Touaregs que Charles de Foucauld meurt le vendredi 1er décembre 1916, assassiné par des sénousites venus piller sa résidence et le prendre en otage. Il fut béatifié par le Pape Benoît XVI le 13 novembre 2005 et canonisé par le Pape François le … 2021.

ACTUALITÉ DE L’EXPÉRIENCE SPIRITUELLE DE CHARLES DE FOUCAULD

Une multitude de « followers »

Après 15 ans de ministère pastoral au Sahara, Charles de Foucauld ne fit presque pas de convertis. Son ardent désir de fonder une congrégation religieuse pour vivre la parfaite imitation de Jésus de Nazareth n’a pas abouti. Malgré cet apparent échec, la vie et la mort de frère Charles furent fécondées par le Seigneur. C’est ainsi que de nombreux disciples du Christ s’inspirent de son expérience spirituelle fondée sur l’Eucharistie célébrée, adorée et vécue, sur la fraternité universelle, sur l’écoute quotidienne et méditée de l’Évangile, sur l’abandon totale et confiante à la volonté du Père, sur l’ardent désir de porter le Christ aux plus pauvres et aux plus éloignés.

La transformation par l’Eucharistie

L’expérience spirituelle de Charles de Foucauld est comme une lumière que le Seigneur offre aujourd’hui à son Église pour éclairer sa marche. L’intense dévotion eucharistique qu’il nous communique est un moyen efficace pour vivre nos célébrations et nos adorations eucharistiques dans la fraicheur de la reforme conciliaire de Vatican II. À l’école de frère Charles, on ne saurait prendre part à l’Eucharistie sans vivre une profonde communion au Christ qui nous ouvre à tous les hommes, en particulier aux plus pauvres et aux plus éloignés. Son modèle d’adoration eucharistique invite à l’écoute de la Parole de Dieu pour être transformés par l’imitation des vertus de Jésus.

Un modèle d’évangélisation en situation de sécularisation et d’intégrisme religieux

L’actualité de Frère Charles s’exprime aussi par son modèle d’évangélisation. Au milieu d’un monde fortement musulman où il ne pouvait pas inviter ouvertement à croire en Jésus, Charles de Foucauld a voulu proclamer son Maître en vivant la bonté et l’amitié avec tous ceux qu’il rencontrait. N’est-ce pas cette présence fraternelle, amicale et pleine de tendresse qu’il nous faut pour témoigner de Jésus dans notre monde de plus en plus sécularisé ?

Frère Charles a vu ses frères musulmans se radicaliser : « C’est l’islamisation du Hoggar, […]… C’est un fait très grave […] dans quelques années, si l’influence musulmane touatienne prend le dessus, ce sera une hostilité profonde et durable… »2. L’attitude de frère Charles vis-à-vis de l’intégrisme religieux tant répandu aujourd’hui est plus que jamais actuelle et inspirant pour nous. Que l’on soit en dialogue ou en amitié avec les musulmans, que l’on soit victimes d’intégrisme, il faut l’amitié, le dialogue, la connaissance lucide de l’autre pour le « comprendre », la bonté et la tendresse pour favoriser l’union des cœurs.

Saint patron des périphéries et de la fraternité universelle

Le Magistère du Pape François nous invite à aller vers les périphéries existentielles des hommes afin de faire de toutes personnes, surtout les plus éloignées et exclues, nos frères et sœurs. Nous pouvons trouver en Frère Charles le spécialiste, le saint patron des « périphéries » et de la fraternité universelle. C’est ce qu’il a vécu et enseigné : « nous devons aimer également tous les hommes, riches et pauvres, heureux et malheureux, sains et malades, bons et mauvais, car tous sont membres du Corps mystique de Jésus (matière prochaine ou éloignée), et par conséquent membres de Jésus, portion de lui, c’est-à-dire infiniment vénérables, aimables et sacrés »3.

Un ami céleste qui accompagne et interroge

Charles de Foucauld est par-dessus tout actuel aujourd’hui parce que sa présence auprès de Dieu, dans la foule immense des saints, est l’accomplissement de la fraternité universelle qu’il a tant recherchée. Sa participation à l’a gloire et à l’intercession du Christ nous le rend si présent quotidiennement et agissant dans nos vies et celle de l’Église. Chacun de nous peut se demander : quels fruits l’amitié avec le frère Charles a-t-elle portés dans ma vie ? Y-a-t-ils des aspects de ma vie que frère Charles défie au changement ?

Saint Charles, prie pour nous !

Saint Charles de Foucauld, prie pour nous, aide-nous à nous abandonner totalement au Père, « sans mesure, avec une infinie confiance », car il est notre Père et toi, tu es notre ami. Saint Charles de Foucauld. Prie pour nous !

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FRATERNITE SACERDOTALE JESUS CARITAS

PREPARER LA CANONISATION DU FRERE CHARLES

THEME 1 : LA CANONISATION DU FRERE CHARLES
ET NOTRE OPTION POUR LES PAUVRES

Fernando Tapia Miranda
Equipe internationale

« La pandémie a mis à découvert la situation difficile des pauvres et les grandes inégalités qui régissent notre monde » disait le Pape François le 19 août dernier. Et il ajoutait : « Si le virus ne fait pas de différence entre les personnes atteintes, il a rencontré sur son chemin dévastateur, de grandes inégalités et des discriminations. Et il les a accrues ! »

Cela veut dire que les pauvres, aujourd’hui, souffrent davantage qu’avant, à cause du manque de soins, du chômage et de la faim.

Le Saint Père reconnaît que la réponse à la pandémie doit être double : d’un côté, « il est indispensable de trouver l’antidote à un petit virus mais terriblement destructeur, qui étend ses rets sur le monde entier », et de l’autre, ajoute le Pape, « nous avons à guérir d’un autre grand virus, celui de l’injustice sociale, de l’inégalité des chances, de la marginalisation et du manque de protection des plus faibles ».

Cette situation nous stimule pour réaffirmer notre option évangélique pour les pauvres. François dit dans sa catéchèse : « La foi, l’espérance et l’amour nous poussent nécessairement vers cette préférence pour les plus nécessiteux, qui va plus loin que la pure assistance nécessaire. Elle implique de cheminer ensemble, de se laisser évangéliser par eux, qui connaissent bien le Christ souffrant, de se laisser ‘contaminer’ par leur expérience du salut, par leur sagesse et leur créativité. Partager avec les pauvres signifie s’enrichir mutuellement. Et s’il y avait des structures sociales malades, qui les empêchent de rêver à un avenir, nous avons à travailler ensemble pour les guérir, les transformer » (Qui ne reconnaîtrait pas là, la manière d’évangéliser du Frère Charles ?)

Le Saint Père affirme que « la pandémie est une crise et d’une crise nous ne sortons pas les mêmes : ou bien nous en sortons meilleurs, ou bien nous en sortons pires. Nous devrions en sortir meilleurs, concernant les injustices sociales et la dégradation du milieu ambiant. »

La Canonisation du Frère Charles intervient dans ce contexte et ce n’est pas un hasard. A travers cet événement de grâces, Dieu veut mettre à la vue de tous, un homme, un croyant, un pasteur, un missionnaire qui s’est donné corps et âme aux plus pauvres et aux plus abandonnés de son temps, les Touaregs. Il se fit l’un d’eux, chemina avec eux, se fit évangéliser par eux. Aujourd’hui, la sainteté passe par l’option préférentielle pour les pauvres.

Si nous voulons préparer et célébrer le mieux possible la Canonisation du Frère Charles, ce n’est pas pour glorifier le Frère Charles, mais pour renforcer dans toute l’Eglise un amour actif et proactif pour les plus petits, les derniers, ce qui, aujourd’hui, est plus nécessaire que jamais. Le Pape dit dans Evangelii Gaudium : « La beauté même de l’Evangile ne peut pas toujours être correctement manifestée par nous mais il y a un signe qui ne devrait jamais manquer : l’option pour les derniers, pour ceux que la société rejette et exclut. » (EG 165)

Nous, la famille spirituelle de Frère Charles, avons accueilli comme une grâce son charisme, qui reçoit, de plus, dans ce contexte de pandémie, une remise à jour et une validation particulière. Nous ne pouvons pas le garder caché, ni le négliger ni le laisser stérile. « Ravive le don de Dieu qui est en toi » disait Saint Paul à Timothée2. C’est l’invitation que notre Frère et Seigneur Jésus nous fait aujourd’hui, pour contribuer au grand renouvellement de l’Eglise que l’Esprit Saint est en train d’impulser à travers le Pape François. Nous avons donc une grande responsabilité. La Canonisation du Frère Charles est une chance unique pour progresser dans cette orientation.

En vue de la réflexion et de la prière personnelles ou en groupe :

• Est-ce que je vois une connexion entre notre option pour les pauvres, le renouvellement de l’Eglise impulsé par le Pape François et la Canonisation du Frère Charles ?
• Quels appels à la conversion est en train de nous lancer le Seigneur, à travers cette canonisation ?
• Quelle sera ma contribution pour que la Canonisation porte tous les fruits que le Seigneur attend d’elle ?

Santiago du Chili, 10 septembre 2020

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Pandémie, vie de l’Église. Quelles leçons… Cardinal Mario GRECH

CARDINAL MARIO GRECH : UNE INTERVIEW AVEC LE NOUVEAU SECRETAIRE DU SYNODE DES EVEQUES

Interview d’Antonio Spondaro sj et de Simone Sereni publié le 23 Octobre 2020 / https://www.laciviltacattolica.com

Mgr Mario Grech est le nouveau secrétaire général du Synode des évêques. Né à Malte en 1957, il a été nommé évêque de Gozo en 2005 par Benoît XVI. De 2013 à 2016, il a été président de la Conférence épiscopale de Malte. Le 2 octobre 2019, le pape François l’a nommé Pro-Secrétaire Général du Synode des évêques. À ce titre, il a participé au Synode sur l’Amazonie. L’expérience pastorale de Mgr Grech est vaste. Sa gentillesse et sa capacité à écouter les questions nous ont incités à avoir une conversation libre.

En partant de la situation de l’Église en période de pandémie – d’une ecclésiologie « en confinement » – et des défis importants qu’elle révèle pour aujourd’hui, nous sommes naturellement passés à des réflexions sur les sacrements, l’évangélisation, le sens de la fraternité humaine, et donc de la synodalité, que Monseigneur Grech considère comme étroitement liée. Une
partie de l’entretien étant consacrée à la « petite église domestique », nous avons fait le choix d’une conversation menée conjointement par un prêtre et un laïc, marié et père de famille.

Lisez l’interview complète dans le PDF suivant : Pandémie, vie de l’Église. Quelles leçons… Cardinal Mario GRECH

Appel d’intellectuels musulmans

« Boycotter la France, c’est ignorer la réalité de ses idéaux » : l’appel d’intellectuels musulmans à « la concorde et l’union »

Le modèle français respecte l’universalité des valeurs sans opposer les communautés les unes aux autres, affirme, dans une tribune au « Monde », un collectif d’intellectuels musulmans.
LE MONDE 31 octobre 2020

Tribune. Le récent appel d’entités de certains pays à boycotter les produits français est incompréhensible, choquant et injuste. Il représente un processus d’exclusion réalisant précisément le travers qu’il est supposé combattre. Qui pourrait raisonnablement dire que la France maltraite ses citoyens de confession musulmane ? Personne, hormis peut-être ceux qui voudraient instiller des germes de discorde au sein de la communauté nationale française.

Plus que jamais la concorde et l’union doivent prévaloir au sein de la communauté nationale française victime actuellement d’une série d’attentats innommables qui nous endeuillent tous. Nous, musulmans de France et d’autres pays méditerranéens, appelons au calme et à la raison.

Il y a deux sujets. D’une part, l’émotion suscitée par les caricatures du Prophète et les déclarations des autorités françaises sur ce sujet. D’autre part, les commentaires du président Emmanuel Macron dans un discours récent sur le séparatisme. Prenons-les un par un.

Les caricatures du Prophète. Les auteurs des appels au boycottage critiquent les caricatures du Prophète, les trouvant blasphématoires et dégradantes. Nous-mêmes, qui écrivons et signons ce texte, les trouvons vulgaires et choquantes. Mais, en France, le blasphème n’est pas un délit. Il peut donc être critiqué, mais pas interdit.

Depuis la Révolution de 1789, la liberté d’expression est protégée, comme le rappelle l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme. Des limites sont clairement énoncées par la loi, ne permettant ni d’injurier ni d’inciter à la haine comme le racisme. De fait, tout citoyen est libre de faire appel à la justice s’il estime que ces limites sont franchies, non pas au nom du droit au blasphème, mais au nom du respect de la dignité humaine, et ce quelle que soit la religion concernée, catholique, protestante, juive ou musulmane. Mais rien, en tout état de cause, ne permet d’utiliser la violence, ni dans la loi française ni dans l’islam.

A l’encontre du message coranique

Que certains musulmans se sentent offusqués et choqués par ces caricatures, nous l’entendons, mais nous rappelons que l’islam rejette aussi toute idolâtrie ou sacralisation d’une personne humaine. De fait, le prophète Mahomet lui-même rappelait qu’il n’était qu’un messager. Il est à plusieurs reprises moqué, traité de fou, d’usurpateur ou insulté par ses opposants.

A aucun moment Dieu n’a appelé à tuer les auteurs de ces provocations, mais Il a incité à adopter un comportement sage et patient face à l’adversité : « Et Nous savons certes que ta poitrine se serre à cause de ce qu’ils disent. Glorifie donc Ton Seigneur par Sa louange et sois de ceux qui se prosternent, et adore ton Seigneur jusqu’à ce que te vienne la certitude. » (Coran XV, 97-99). Dieu encourage les premiers musulmans à ignorer ces attaques et à faire preuve d’intelligence : « Lorsque vous entendez que l’on renie les versets de Dieu et que l’on s’en raille, ne vous asseyez point avec ceux-là jusqu’à ce qu’ils entreprennent une autre conversation. Sinon, vous serez comme eux. » (Coran IV, 140).

Non seulement Dieu ne prescrit aucune vengeance, mais Il demande de ne jamais rompre les liens avec les auteurs de ces moqueries en se concentrant sur ce qui les unit et non ce qui les divise. Les meurtres pour défendre le Prophète, les violences et appels aux boycottages vont ainsi clairement à l’encontre du message coranique et relèvent de motivations profanes et politiques bien éloignées de la profondeur spirituelle et éthique de l’islam.

Ensuite, le sujet du discours du président Macron sur le séparatisme. Contrairement à ce qui a été dit ici ou là, ce discours ne critique pas l’Islam. Il critique l’islamisme, qui est une déformation de l’Islam. Critiquant l’idéologie islamiste, il respecte l’Islam, distinction qui a pu être mal comprise dans la traduction arabe.

Contrairement à ce qui a été dit ici ou là, à aucun moment le discours ne prétend réformer ou modifier l’islam. Le président de la République française est respectueux de chacune des religions. Et il est respectueux d’une tradition française, instaurée par une loi de 1905 : la séparation de l’Eglise, des églises, et de l’Etat. L’Etat français n’intervient pas dans la vie des églises, dans aucune d’entre elles.

Un idéal universel

Dans ce discours du 2 octobre, le président Macron a réaffirmé un certain nombre de mesures d’ordre public et de neutralité du service public et précisé des dispositions relatives au droit des associations et à l’école, piliers et creuset de notre pacte républicain français. Egalement, et surtout, il a insisté sur la nécessité de bâtir un Islam en France, Islam des Lumières, libéré des influences étrangères, structuré et transparent dans ses financements, et intégrant pleinement la part culturelle de l’Islam-civilisation, sans empiéter d’un pouce sur l’islam-religion.

Avec son discours refondateur, le président Macron a voulu rappeler que tous les Français doivent se savoir membres de la République française, notamment ses enfants les plus défavorisés ou en insécurité financière, sociale ou culturelle. Et rappelle à tous que le racisme, les discriminations et séparations n’ont pas leur place en France.

Nous, intellectuels engagés dans une volonté de concorde à l’échelon international, avons choisi de soutenir de telles idées témoignant d’un idéal universel, et dont l’Islam-civilisation est une des expressions. Nous avons salué en 2019 à l’Unesco, à l’occasion d’un colloque organisé par l’association L’Islam au XXIe siècle, une telle démarche visant à « faire un à partir de plusieurs » permettant, grâce à la culture, d’unir plutôt que diviser, de rassembler plutôt qu’ostraciser et exclure.

La diversité culturelle et religieuse est voulue par Dieu pour les hommes, lui qui énonce : « Si Dieu avait voulu, Il aurait fait de vous une communauté unique : mais Il voulait vous éprouver en Ses dons. Faites assaut de bonnes actions vers Dieu. En Lui, pour vous tous, est le retour. Il vous informera de ce qu’il en est de vos divergences. » (Coran, V, 48). Toute agression contre une religion est une attaque contre toutes les religions.

Mention nécessaire

C’est parce que la République en France ne « reconnaît aucun culte » qu’elle les protège tous. Selon l’article Ier de la Constitution de 1958, « la France est une République indivisible, laïque, démocratique, et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Alors que le général de Gaulle estimait que le caractère laïque était évident, son rédacteur, Michel Debré, aurait insisté auprès de ce dernier pour que ce soit mentionné. Plus de soixante ans plus tard, on mesure combien cette mention était nécessaire pour la France, un des seuls pays du monde à avoir inscrit l’égalité dans sa devise, et qui s’efforce de suivre ces idéaux.

L’accusation d’une soi-disant ingérence française violant l’intimité des consciences musulmanes est fausse

Nous, intellectuels venant d’horizons très différents, témoignons en faveur de cette probité française et de sa légitimité. Il ne s’agit pas de mots creux. Connaisseurs du monde, nous pouvons sans peine paraphraser et faire nôtre l’expression « heureux comme un musulman en France »… Car l’islam est une religion de conscience qui s’adresse directement à l’individu, chaque musulman étant « une Eglise » à lui-même, n’ayant de compte à rendre qu’à Dieu. « Croira qui voudra et niera qui voudra », nous dit le Coran (XVIII, 29), réaffirmant la valeur de l’individu. L’homme n’étant soumis qu’à Dieu, il est par essence non assujetti, en une forme d’émancipation universelle conforme à l’idéal républicain d’individus libérés de l’adoration ou de l’asservissement de leurs semblables.

C’est en cela que l’accusation d’une prétendue ingérence française violant l’intimité des consciences musulmanes est si fausse. Elle tendrait aussi à dénoncer la loi des hommes, comme voulant contredire la loi de Dieu. Mais en France, la liberté religieuse est la règle ! « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi », nous dit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

L’ordre politique et l’ordre religieux sont séparés en France, en plein respect des droits fondamentaux des citoyens. Distinguer ces deux ordres permet à la fois de respecter la transcendance des croyants et de limiter les prétentions de certains qui pourraient s’imaginer parler pour Dieu (et donc rivaliser avec lui).

Paradigme républicain

Observateurs de la société française, nous lui reconnaissons le fait qu’elle pose parfois des questions en avance sur son temps, en ayant en tête des considérations universelles. Certains peuvent considérer une telle attitude comme arrogante. Nous ne partageons pas ces critiques. Permettre à chacun de prendre en main son destin, tout en s’intégrant au sein d’un creuset républicain, représente à notre sens toute la beauté – et la difficulté – du paradigme républicain, nullement en opposition avec la croyance intime de chacun.

Au-delà de la prise en compte de la diversité des expressions culturelles, le modèle français respecte l’universalité des valeurs, sans opposer les communautés les unes aux autres… Le Coran affirme ce caractère unique de l’homme : « Nous vous avons constitués en peuples et en tribus pour que vous vous connaissiez entre vous. Le plus noble d’entre vous, auprès de Dieu, est le plus pieux d’entre vous. » (Coran, XLIX, 13).

Le président Macron, suivant les bases républicaines, rappelle que nous sommes tous différents et tous égaux, garantissant l’universalisme de la réflexion, sans tomber dans les travers d’un relativisme culturel asservissant. C’est ainsi que nous dénonçons avec la plus grande force les attentats, violences, et manifestations de haine.

En suivant le philosophe Alain, battons-nous pour la Liberté, défendons l’Egalité, et promouvons la Fraternité : « Ne vouloir faire société qu’avec ceux qu’on approuve en tout, c’est chimérique, et c’est le fanatisme même. » Car la Fraternité fait le lien entre Liberté (ou mon autonomie) et l’Egalité (ou mon devoir éthique de respect de l’autre).

En conclusion, boycotter les produits français, c’est boycotter la France. Boycotter la France, c’est ignorer la réalité de ses idéaux, c’est méconnaître son respect des religions, celle du prophète et les autres. Il faut cesser le boycottage de la France et retrouver le chemin du dialogue, de l’écoute et du respect mutuel.

Signataires : Farid Abdelkrim, auteur et comédien ; Mohamed Bajrafil, islamologue et essayiste ; Sadek Beloucif, président de l’association L’Islam au XXIe siècle ; Chems-eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris ; Eva Janadin, déléguée générale de l’association L’Islam au XXIe siècle ; Hakim El Karoui, fondateur de l’Association musulmane pour l’Islam de France ; Khaldoun Nabwani, philosophe ; Tareq Oubrou, grand imam de Bordeaux ; Hachem Saleh, écrivain ; Youssef Seddik, philosophe, anthropologue des textes sacrés.

PDF: Appel d-intellectuels musulmans