Giampiero PALMIERI: eucharistie à Tre Fontane

Tre Fontane – 1-12-2016 – Eucharistie : homélie de don Giampiero Palmieri (traduction de l’italien)

Ce que je rêve, en secret, sans me l’avouer à moi-même, sans me le permettre, et chassant ce rêve, qui revient sans cesse, que je vous dis à vous parce qu’il faut que vous sachiez les derniers fonds de mon âme, ce dont je rêve involontairement, c’est quelque chose de très simple et très peu nombreux, ressemblant à ces premières communautés très simples des premiers temps de l’Eglise… Quelques âmes réunies pour mener la vie de Nazareth, vivre de leur travail comme la Sainte Famille, en pratiquant les vertus de Nazareth dans la contemplation de Jésus… petite famille, petit foyer monastique, tout petit, tout simple ; non point bénédictin. (Lettre à l’abbé Huvelin du 22 octobre 1898)

Nous qui sommes là aujourd’hui, pour une raison ou pour une autre, nous nous retrouvons parce que quelque chose de très profond nous unit à ce rêve, né dans le cœur de frère Charles, entre mille pudeurs et résistances : rêve germé dans l’Eglise comme une semence, jetée par la main de Dieu et devenue un arbre aux racines solides. Nous nous retrouvons dans ce rêve, dans cette semence. Nous pouvons dire que là il y a toute notre vie de disciples de notre Bien-Aimé Frère Jésus.

Et par Frère Charles et les lectures proclamées en cette fête de sa naissance au ciel, nous remontons encore plus jusqu’à ce moment intime et profond de la dernière Cène, réunion de la famille formée par Jésus et ses frères et sœurs, au cours de laquelle il nous confie son rêve à Lui, avec une intensité pas trop lointaine de celle de frère Charles, peut-être (nous l’avons écouté avec tendresse ! C’est le rêve du cœur de Dieu !) : qu’un unique amour circule comme une sève vitale entre le mystère de Dieu Trinité et la vie des hommes ; amour du Père qui par le Fils incarné se répand sur tous les humains, comme un fleuve de grâce qui guérit et qui comble de joie…

C’est par le Christ, par son amitié qui rejoint tous les humains, que ce fleuve fait irruption dans le monde. Mais le rêve de Dieu va au-delà de cela : Il sait que, l’amour vivifiant de Dieu ayant été reversé sur le monde par le Christ, ce même amour qui est l’Esprit Saint de Dieu, se répand et agit quand les hommes s’aiment comme des frères. C’est pour cela qu’Il nous a choisis. C’est pour cela qu’Il nous a donné son commandement. C’est pour cela, il nous le dit dans l’évangile, qu’il écoutera nos demandes. Pourvu que dans le monde se réalise la guérison et la transformation des hommes par le moyen de l’amour. Tout amour participe inconsciemment à cette puissance théologale et rédemptrice de l’amour de Jésus, même celui qui apparemment est loin de cette référence essentielle à Jésus… même celui qui renie la foi et pourtant se penche sur les plaies de ses frères.

Qu’elle est grande la kénose de l’amour de Dieu ! Qu’elle est humble, l’action de l’Esprit ! Il vivifie par les relations les plus ordinaires et apparemment insignifiantes. Voilà ce qui monte du cœur de frère Charles – et c’est dans son rêve qu’il trouve les paroles pour le dire : pour notre transformation Nazareth suffit. Nazareth, c’est l’intimité de la vie de famille où tout le mystère de l’incarnation de Dieu et de sa passion est déjà donné : l’un pour l’autre, nous sommes des frères, des sœurs, des mères, nous ne cessons de nous engendrer, en entrant l’un dans la vie de l’autre, en nous blessant et en pansant les plaies, dans le don d’une amitié fraternelle qui parfois est un baume et parfois brûle et fait mal. C’est avec vigueur que nos communautés refusent d’être des lieux artificiels où l’on mène une existence séparée, faite de formalités – surtout quand ses raisonnements s’appuient sur des faux prétextes religieux. Nous aimons, nous vénérons l’humanité réelle, nous voulons nous situer dans la vraie vie des hommes : là où ils pleurent, où ils rient, luttent, espèrent et désespèrent. C’est là que nous contemplons la présence réelle et cachée de Jésus, son incarnation qui continue. C’est là que nous percevons qu’il continue à aimer, à se donner dans sa passion ; c’est là qu’il continue à être Eucharistie. Voilà notre « petit foyer monastique », notre Nazareth. Au fond nous n’avons pas d’autre tâche en dehors de celle-ci : rendre évidente cette présence du Seigneur, en lui permettant de se manifester par nos regards, nos corps, nos paroles. Dans notre faiblesse, oui, à partir de notre faiblesse, permettre à Dieu de construire ces petites relations d’amour, grandes en réalité : c’est ainsi que la sève de l’Esprit circule. Nous savons qu’il y a en ceci une donnée fondamentale et incontournable de l’évangélisation qui nous attend, tâche de l’Eglise pour notre temps : continuer à promouvoir l’humilité, la gratuité et la béatitude de la pauvreté de tant de petits Nazareth, espaces ecclésiaux où les hommes peuvent faire expérience qu’on y devient plus humains, plus authentiques, plus capables d’aimer : des petites communautés toutes simples, comme aux premiers temps de l’Eglise, écrivait frère Charles dans son rêve…

“Nul n’a d’amour plus grand que celui qui donne sa vie… » Nazareth est un paradis de beauté pour lequel on se livre jusqu’au bout. Pour Nazareth, on peut mourir. La mort peut arriver dans des circonstances et dans des modalités même un peu banales, comme cela a été pour frère Charles. N’importe, cela aussi fait partie de la simplicité de Nazareth. Mais c’est dans ce geste de l’acceptation de la mort même par amour que se révèle le mystère profond de Dieu : Il est le Seigneur qui donne la vie et qui a fait de sa vie divine un immense cadeau d’amour pour les hommes.

COMPTE RENDU DE LA RENCONTRE DE LA FRATERNITE SACERDOTALE JESUS CARITAS – Tchad

La rencontre nationale de la Fraternité Sacerdotale Jésus Caritas tenue à Kélo (dans le diocèse de Laï) du  4 au 7 Janvier 2016, est ouverte par une récollection animée par l’Abbé Edmond Diondoh qui a fait un partage sur la « Miséricorde en 24 mots ». C’est un commentaire du Pape François sur le terme « Miséricorde » appelé aussi les 12 couples d’indications pratiques pour vivre gracieusement la Noël et l’Année sainte. Ce message du Pape est dédié exclusivement à ses collaborateurs de la Curie romaine à l’occasion de l’échange des vœux de Noël et du Nouvel an. Mais l’intervenant qui est sollicité pour animer cette récollection a jugé que ce même message est également très important pour nous prêtres, membre de la Fraternité Sacerdotale Jésus Caritas surtout en cette année de la miséricorde.

Lire le document complet (PDF): Compte Rendu de la RSJC à Kélo

 

Jean-Pierre (Québec): Ma session des nouveaux arrivés

Ma session des nouveaux arrivés en Algérie
22-29 janvier 2017

Je suis parti en avion de Tamanrasset et j’ai passé 2 semaines à Alger, la capitale de l’Algérie. Je viens de me renseigner sur les distances franchies pour m’y rendre : c’est l’équivalent d’un voyage aller-retour entre Verdun (Montréal) et Gaspé, un peu moins qu’un aller simple entre Montréal et Miami en Floride… En autocar, cela m’aurait pris à peu près 24 heures, probablement plus en cette période de l’année où nous attend la neige dans les montagnes des Aurès à traverser avant de descendre vers la Méditerranée. Et, de toute façon, à partir de Tamanrasset, il n’y a pas moyen de se faire « escorter » par la gendarmerie d’un point à l’autre du territoire, pour une seule pauvre petite personne comme moi ! Alors, hop ! allons vite à l’aéroport.

Sur mes 14 jours de présence à Alger, il a plu, un peu ou beaucoup, 10 jours. Une très bonne moyenne de buts comptés en si peu de temps. Et il faisait plutôt froid. Heureusement, les maisons où nous étions logées étaient chauffées, mais pas celle où j’ai passé la nuit. J’ai revêtu non le Christ, mais mon manteau demi-saison… et j’ai fini par m’habituer à cette froide humidité. Mieux, mes mains gercées se sont rétablies comme par enchantement. Du climat sec du désert, la pluie m’a servi de pommade réconfortante!

Alger est bâtie autour d’une large baie, à la fois port de mer et plage de galets. Peut-être y a-t-il du beau sable quelque part, mais je n’en ai pas aperçu durant mon bref séjour. La ville est construite comme en estrades, avec la mer d’un côté, colline ou petite vallée de l’autre.

Cette ville existait depuis bien avant Ville-Marie, probablement autour des années 1000 ou 1100.

L’architecture a été récemment influencée par le style mauresque et Art Déco. Là où c’est bien entretenu, c’est plutôt joli. Janvier n’est pas un mois touristique, mais je sentais déjà les algérois accueillants; et plusieurs, comme ces 2 jeunes croisés par hasard sur le front de mer, venir me souhaiter la bienvenue, tout simplement. Aurais-je la même démarche à Montréal ? … Je dois avoir la binette d’un Occidental en vacances ! C’est de toute façon agréable et significatif.

Parmi mes belles découvertes, ces maisons de la casbah (vieille ville de l’époque ottomane) situées tout près de la mer et magnifiquement restaurées récemment …

Un plafond si bellement ouvragé, parmi plusieurs autres …

Et une vue splendide qui donne sur la mer … Ah !

Imaginez maintenant tout cela avec une douce et chaude brise marine… hum ! Vous aurez compris que, malgré la température maussade, j’ai apprécié mon séjour à la capitale. Déjà une belle découverte !

Je vous ai déjà parlé d’Alger et de ses beautés. C’est une grande ville avec son métro, ses autobus, sa ligne de tramway vers la banlieue est. Mais attention : il n’y a pas de trottoir ici, ou plutôt chaque propriétaire en fabrique un à sa convenance, pas aussi grand ni ajusté au déambulatoire du voisin. Les parcs sont jolis, mais il n’y en a pas beaucoup. Des voitures, c’est l’inverse : il y en a partout, beaucoup, de sorte que la circulation et le stationnement sont deux réalités difficiles, hasardeuses. Comme on dirait au Québec : « c’est l’enfer ! »

La session d’intégration s’adressait à des nouveaux agents de pastorale arrivés, pour la plupart, durant la seconde moitié de 2016. Nous étions vingt personnes bien comptées, plusieurs venues d’Italie, mais la majorité des Africains, religieuses et religieux prêtres, de l’Afrique noire, un jeune prêtre algérien vivant en France pour le moment. J’étais évidemment parmi les plus âgés…

Nous avons fonctionné de 2 façons : en équipe réduite pour nos réactions personnelles; et en grand groupe pour écouter et échanger avec les invités de nos animateurs. Car nous avons eu la chance de rencontrer plusieurs Algériens et Algériennes sur des thèmes aussi différents que:

  1. le statut de la femme dans la société;
  2. les répercussions sur la population et sur les institutions de la décennie noire (en gros entre 1988 et 1998) où le pays a vécu une quasi guerre civile entre groupe islamiste armé et forces militaires défendant leur pouvoir;
  3. l’histoire récente de l’Église en Algérie et le sens de sa présence minuscule en ce pays maintenant;
  4. les hauts et les bas des chrétiens algériens;
  5. le statut associatif officiel de l’Église en Algérie et ses conséquences;
  6. les migrants et le racisme en Algérie;
  7. l’effort de Caritas Algérie pour financer des projets humanitaires dans le domaine de la promotion féminine, de projets avec les migrants ou l’aide aux personnes malades et handicapées…

Ouf !

Et ce sans compter 2 jours de visite, d’abord à la casbah d’Alger, à la cathédrale de la ville, et à un centre de recherches et de formation à la société arabe de l’Algérie; et au monastère trappiste de Tibhirine où furent enlevés 7 moines au printemps 1996 et qu’on retrouva assassinés un mois et demi plus tard. Cette dernière visite est touchante non seulement à cause du sens ainsi donné au témoignage de solidarité avec le peuple algérien – certains se rappelleront le film Des hommes et des dieux -, d’un don de soi offert à la suite du Christ, mais aussi parce que les lieux sont magnifiques.

C’est la chapelle où les moines priaient et où nous avons célébré l’Eucharistie. Nous sommes allés aussi nous recueillir au cimetière où ils sont enterrés.

Les points saillants de ma session

Je dois dire avant tout que ce furent les personnes rencontrées, les nouveaux arrivés, les invités algériens, nos deux animateurs, les personnes engagées dans l’Église d’Alger croisées au hasard des jours, qui m’ont le plus marqués. Contact chaleureux, efforts d’intégration manifestes sinon parfaitement réussis, joie de vivre et décision de s’impliquer à fond selon ses habiletés. Pensez-y : 4 d’entre nous s’en allaient ensuite en plein désert, à Adrar, pour un apprentissage intensif de deux mois de l’arabe et de la vie en monde musulman… Tout un engagement !

Le défi qui se profile à l’horizon, avec les jeunes générations de missionnaires – surtout d’Afrique noire -, sera de trouver et de vivre une manière algérienne d’être Église en ce pays.

Au plan de la vie spirituelle, beaucoup de personnes sont des musulmans croyants et peut-être encore davantage sont des chercheurs de la vérité. La Bonne Nouvelle de l’amour offert pour tous se vit dans la gratuité, dans la discrétion, donc à l’intérieur de relations personnelles significatives. Petite Sœur Magdeleine, fondatrice des petites sœurs de Jésus justement en Algérie, avait coutume de dire, semble-t-il : « Il ne faut faire de l’ombre à personne. » Donc, nous sommes appelés à être vrais, à faire l’expérience concrète de la bonté de la population, à devenir plus humains. Annoncer l’Évangile explicitement ? Ce sera toujours du cas par cas, en respectant le mystère de l’autre et selon l’inspiration de l’Esprit Saint.

Jacques Grand’Maison avait coutume de dire dans ses cours de pastorale de l’évangélisation à peu près ceci : « Jésus a vécu 30 ans proche des gens à Nazareth, 3 ans de prédication explicite, et 3 jours de sacrement. Sommes-nous assez convaincus du temps de « mouillage » nécessaire à l’évangélisation de notre peuple ? »

Si dans les lois, les hommes et les femmes sont égaux juridiquement, la société n’évolue pas aussi rapidement. L’Algérie en est dans une phase mitoyenne, tampon, où les pères souhaitent le meilleur pour leurs filles comme pour leurs garçons, tout en laissant des comportements discriminatoires se manifester en public, sinon en privé. Avec la mixité à l’école, du primaire à l’université, on peut espérer que se développera peu à peu l’indépendance économique de la femme algérienne, et plusieurs réussiront alors à vaincre leurs peurs pour s’affirmer.

On a aussi découvert un peu mieux l’histoire de l’Algérie. Foncièrement religieux dans un pays gouverné à la sauce socialiste depuis son indépendance en 1962, le peuple algérien devint dans les années 1980 excédé du parti unique au pouvoir qui se servait effrontément grâce aux ressources du pays. On chercha un changement, d’abord pacifiquement, puis au moment où les élections furent gagnées par le parti conservateur islamiste, on interrompit en haut-lieu le processus et on refusa de céder les rênes du pays. Cela provoqua quelque chose qui ressembla à une guerre civile…

Durant la décennie noire (1988 – 1998), il y eut plus ou moins 150 000 personnes assassinées. 16 d’entre elles étaient chrétiennes, dont les moines de Tibhirine et Mgr Pierre Claverie, évêque d’Oran. Un peu comme après la 2e guerre mondiale, les gens n’en parle pas volontiers. Ce sont de très mauvais souvenirs, et la parole n’a pas été libérée pour permettre de reconnaître les événements tragiques et commencer le travail de réconciliation incontournable. Cela explique aussi pourquoi les autorités sont si sensibles à tout ce qui menacerait leur contrôle du pays ou la sécurité intérieure.

Si les revenus provenant de l’exploitation pétrolière en Algérie permet aux gens de vivre sans trop travailler, sans développer la production agro-alimentaire, l’industrie ou le tourisme, il n’y a guère d’avenir prometteur pour les jeunes générations.

Mais il faut souligner les efforts pour rendre accessible à tous l’éducation, jusqu’au fond des petits villages sahariens, et la santé avec une couverture médicale complète sinon toujours efficiente. Cela est remarquable, et les Québécois savent ce qu’il en coûte pour tenir bon en ces domaines qui permettent une meilleure répartition de la richesse nationale à long terme. C’est encore un espoir pour le développement d’une meilleure sensibilité aux droits de la personne.

Je vous ai déjà écrit sur la problématique des migrants. L’Algérie est aux premières loges devant ce défi humanitaire répétitif et cela va continuer. Pour les chrétiens du pays, il s’agit d’un pôle sensible et d’un appel à une action concertée, selon nos très faibles moyens.

Je termine ce trop long message en reprenant un chant de Taizé, d’abord composé en espagnol. Il reprend un leitmotiv de sainte Thérèse d’Avila. Vous avez peut-être eu la chance de l’apprendre… Voici ensuite la traduction en arabe, en berbère – langue de la Kabylie, à l’est d’Alger – et en français. Cela vous indique un tout petit peu notre vie liturgique qui fut aussi un temps fort de reprise et d’engagement mutuel.

Nada te turbe, nada te espante :
quién a Dios tiene, nada le falta.
Nada te turbe, nada te espante :
Sólo Dios, basta.

La la takhafi, la la ya nefsi,
men maa allahi, la lan yahtaja.
La la takhafi, la la ya nefsi,
yakfifi rabbou.

Ur tsagad ayixfiw, kecch yesâan rebiyidek,
halla rebikan igakfen.
Ur tsagad ayixfiw, kecch yesâan rebiyidek,
halla rebi kan, igelan.

Rien ne te trouble, rien ne t’effraie !
Qui tient à Dieu, jamais ne tombe.
Rien ne te trouble, rien ne t’effraie !
Dieu, seul suffit.

Je termine en vous assurant que j’ai bien pensé à vous tous et toutes au moment de l’attentat à la Grande Mosquée de Québec fin janvier. On s’en reparlera bientôt.

Amitié, Pedro

PDF: Ma session des nouveaux arrivés.17