Le cardinal Philippe OUÉDRAOGO président du Symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar

Burkina Faso. Le cardinal Philippe OUÉDRAOGO, de notre fraternité, élu président du Symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar.

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Pour une bonne réception du message de l’assemblée mondiale de Jesus Caritas à Cebu pour nos fraternités locales. Jean-François BERJONNEAU

Quand une assemblée comme celle de Cebu adresse un message aux membres des fraternités répandues dans tous les continents, elle doit se préoccuper de sa réception. Il ne suffit pas que cette lettre reflète l’expérience qu’ont vécue les participants à cette rencontre. Il est opportun de se soucier de la manière dont ce message va rejoindre l’expérience des fraternités et éventuellement va transformer leurs pratiques et orienter leurs réflexions.

Cet article veut éveiller les membres de la fraternité sacerdotale Jesus Caritas sur les nouveautés dont ce texte est porteur pour la vie et la mission de nos fraternités :

1) Lorsque nous nous sommes rassemblés à Cebu, aux Philippines, nous avons fait une belle expérience concrète de la « fraternité universelle » ! Quarante deux prêtres, venus du monde entier, riches de leur expérience pastorale au milieu d’un peuple dont ils partagent la vie se sont réunis autour du thème « Prêtres diocésains missionnaires à la lumière du témoignage du bienheureux Frère Charles de Foucauld » .

Tout au long des échanges et des débats que nous avons eus durant les trois semaines de cette assemblée générale, nous avons senti battre le cœur des communautés et en particulier des pauvres dont chacun de ces frères était solidaire. Ainsi ce n’était pas seulement une rencontre de prêtres animés par le charisme du Frère Charles, mais c’était aussi la convergence de la vie, des joies et des peines, des souffrances et des espérances de ces peuples dont nous faisons tous partie qui était au cœur de notre réflexion et de notre prière. Et nous pouvons dire qu’à travers tous ces échanges d’expériences et de solidarités multiples qui marquaient la vie et le ministère de chaque prêtre nous avons senti de manière concrète ce que c’était que cette unité de la famille humaine pour laquelle le Christ a donné sa vie.

Donc derrière ce message de Cebu qui est venu rejoindre vos fraternités, dites-vous bien que c’est la vie d’une multitude de pauvres de tous les continents qui est engagée.

2) La méthodologie que nous avons adoptée s’est inspirée de la démarche de la « révision de vie » telle que l’Action Catholique nous y invite : Voir Juger Agir. C’est-à-dire que nous avons d’abord pris le temps de porter un regard lucide sur la réalité sociale économique et politique de nos pays et aussi sur la manière dont l’Église dans ces différents pays se situe.

Ensuite nous avons avancé dans des critères de discernement sur cette situation en prenant en compte la Parole de Dieu, les éléments essentiels du message du Frère Charles et l’exhortation à relancer notre démarche missionnaire telle que nous l’adressée le Pape François dans « La joie de l’Évangile ».

Enfin nous avons laissé retentir les appels essentiels à nous engager dans nos fraternités sacerdotales pour que les prêtres diocésains que nous sommes orientent leur ministère dans une perspective résolument missionnaire et renouvelée par le souffle du Pape François.

C’est à cette même révision de vie avec la rigueur qu’une telle démarche exige, que nous sommes appelés à vivre dans chacune de nos rencontres de fraternité.

3) Nous nous sommes rendu compte dans l’exposé des réalités telles qu’elles étaient présentées par les délégués des différents continents et les pays représentés que dans cette société mondialisée, les défis à relever étaient presque partout les mêmes

Défi d’un système libéral et d’une économie de marché qui continue un peu partout de développer les inégalités entre les secteurs les plus riches de la société et des pauvres qui deviennent toujours plus pauvres. Et ce système est générateur d’injustices criantes : Partout des droits fondamentaux de la personne humaine ne sont pas respectés.

Défi de la dégradation écologique de cette « maison commune » que constitue notre planète avec les conséquences toujours plus évidentes du réchauffement climatique et de l’accumulation des gaz à « effet de serre » : montée des eaux des océans, multiplication des cyclones, des tornades, des inondations meurtrières alors que dans d’autres pays, la sécheresse et la désertification s’amplifient. Et ce sont les plus pauvres qui sont les premières victimes de tous ces dérèglements climatiques.

Défi des mouvements migratoires croissants consécutifs à la violence, à la guerre et au manque d’avenir pour de nombreux jeunes des pays pauvres. Aucun pays n’est désormais épargné par ce phénomène qui va en s’amplifiant. Et nous savons que les mouvements migratoires qui vont d’un pays du Sud à un autre pays du Sud sont plus importants que ceux qui s’orientent vers les pays de l’hémisphère Nord. Et en Europe, l’opinion publique assiste aux naufrages de nombreux de migrants venus d’Afrique dans les eaux de la Méditerranée avec un regard marqué par ce que le Pape François appelle la « mondialisation de l’indifférence »

Défi de l’apparition dans des pays de plus en plus nombreux de gouvernements qui exaltent l’orgueil et l’égoïsme national, la méfiance vis-à-vis de l’étranger et le refus de toute solidarité internationale. Ils sont plus prêts à construire des murs entre les nations qu’à établir des ponts. Dans ces conditions le « vivre-ensemble » au sein d’une même société de personnes de cultures ou de religions différentes devient plus difficile !

• Enfin nous avons perçu qu’en de nombreux pays de la planète, la religion musulmane est l’objet d’affrontements internes et que les tendances à la radicalisation et au fondamentalisme se développent. La violence terroriste gagne de nombreux pays. Les peurs se développent dans ce contexte. Et nous avons noté que plus le dialogue avec certains musulmans devient difficile plus il devient urgent.

4) Toutes nos fraternités, dans quelque pays qu’elles soient situées, sont touchées de diverses manières par ces mêmes réalités à dimension mondiale. Et nous avons noté que cette situation internationale donne une actualité saisissante au concept de « fraternité universelle » développé par le Frère Charles. Car en chacun de ces défis, c’est bien la capacité de vivre en frères et sœurs dans la justice et le respect des diversités qui est mis en cause. De plus nous avons perçu avec plus d’acuité la nécessité de rester en communication d’un continent à l’autre, grâce aux facilités nouvelles que nous donnent les médias, pour échanger nos informations, nos réflexions et nos initiatives pour relever ensemble ces défis.

5) Nous avons perçu avec plus d’acuité, combien un certain nombre d’éléments constitutifs de l’itinéraire spirituel du Frère Charles sont opérants pour la situation telle qu’elle se présente dans le monde : option préférentielle pour les plus pauvres, souci de vivre pauvre parmi les pauvres, volonté de témoigner de la fraternité au milieu d’un peuple dont on ne partage ni la foi ni la culture, respect absolu de la liberté de l’autre, ouverture d’un « dialogue de la vie » fait de compréhension de l’autre et marqué par la « bonté », désir d’être présence d’Evangile plus par le vie que par la parole, apprentissage de la culture et de la langue de l’autre, souci du respect de la dignité fondamentale de toute personne humaine (en particulier vis-à-vis de l’esclavage), volonté de considérer toute personne humaine quelle qu’elle soit comme « un frère bien-aimé, un enfant de Dieu, une âme rachetée par le sang de Jésus, une âme bien-aimée de Jésus », désir de participer au développement humain et économique du peuple dont on partage la vie…Tous ces éléments de l’héritage spirituel de Frère Charles doivent éclairer la vie et l’engagement de chaque membre de nos fraternités.

6) Dans le prolongement de cette prise de conscience, nous avons perçu comment le Pape François vient relayer ces intuitions et leur donne une actualité dans son exhortation « La Joie de l’Évangile » ; Et c’est à une dynamique renouvelée de la mission que nos fraternités sont appelées en urgence !Appel à sortir à la rencontre des gens qui vivent « dans les périphéries », à faire avec eux l’expérience de la « mystique  du vivre ensemble » qui consiste à se mélanger, se rencontrer, se prendre dans les bras, se soutenir, participer à cette marée un peu chaotique qui peut se transformer en une expérience de véritable fraternité », à « courir le risque de la rencontre avec le visage de l’autre, avec sa présence physique qui interpelle, avec ses souffrances et ses demandes, avec sa joie contagieuse dans un constant corps à corps » E.G. N°87. Nous retrouvons une consonance avec le message du Frère Charles lorsque le Pape François appelle de ses vœux « une Église pauvre pour les pauvres »…et lorsqu’il ajoute « ils (les pauvres) ont beaucoup à nous enseigner…Il est nécessaire que nous nous laissions évangéliser par eux…et accueillir la véritable sagesse que Dieu veut nous communiquer par eux. »EG N°198

Et comment ne pas entendre un écho de l‘« apostolat de la bonté » cher à Frère Charles lorsque François appelle les disciples missionnaires que nous sommes à « une attention à l’autre … cette attention aimante à l’autre est le début d’une véritable préoccupation pour sa personne à partir de laquelle je désire effectivement son bien. » EG N°199

7) Et c’est à partir de cette exigence missionnaire à sortir à la rencontre de l’autre, à le connaître, à considérer en lui un frère, à marcher avec lui à son rythme, à être auprès de lui « présence d’Évangile » que nous pouvons mesurer l’urgence de prendre au sérieux les appels que le Frère Charles nous lance pour une véritable vie spirituelle en nous proposant les moyens de la prière, de l’adoration, de temps conséquents de désert et de la révision de vie en fraternité.

C’est ce qu’il notait, avec son vocabulaire bien particulier, dans ses résolutions de retraites en 1902, alors qu’il était à Beni Abbès. :

« Désir passionné de sauver les âmes ; faire tout et ordonner tout pour cela ; faire passer le bien des âmes avant tout, faire tous nos efforts pour nous servir parfaitement des sept grands moyens que Jésus nous donne pour convertir et sauver les infidèles ; oblation du Saint Sacrifice, présence au tabernacle du saint Sacrement, bonté, prière, pénitence, bon exemple, sanctification personnelle – « Tel pasteur, tel peuple » – « le bien que fait une âme est en raison directe de son esprit intérieur »… »

Et en écho, le Pape François affirme dans la Joie de l’Évangile :

« Évangélisateurs avec esprit signifie évangélisateurs qui prient et qui travaillent…Il faut toujours cultiver un espace intérieur qui donne sens chrétien à l’engagement et à l’activité missionnaire. Sans des moments privilégiés d’adoration, de rencontre priante avec la Parole, de dialogue sincère avec le Seigneur, les tâches se vident facilement de leur sens, nous nous affaiblissons à cause de la fatigue et des difficultés et la ferveur s’éteint. » EG N°262

Si, comme nous l’avons constaté durant l’assemblée de Cebu, ces voies spirituelles essentielles que nous propose la Fraternité et qui sont les temps de désert, les temps d’adoration, les temps d’écoute priante de la Parole de Dieu, les rencontres fraternelles autour de la relecture de notre vie à la lumière de l’Évangile ne sont plus pratiquées, c’est toute la dynamique qui consiste à être présences du Christ auprès de nos frères qui s’essouffle et s’affaiblit.

Alors en fraternité, prenons le temps de relire les appels contenus dans le Message de Cebu, faisons les nôtres dans une pratique renouvelée de la mission face aux immenses défis que nous lance l’évolution pleine d’incertitudes de notre monde.

Et ensemble fraternités de l’hémisphère Nord, avec l’expérience de l’âge qui s’avance et fraternités de l’hémisphère Sud, avec l’enthousiasme de l’âge qui s’élance, soyons ces frères universels et ces « disciples missionnaires » dont notre humanité a tant besoin.

Jean-François BERJONNEAU
(membre de l’équipe qui a rédigé le message de Cebu)

PDF: Pour une bonne réception… Jean-François BERJONNEAU