Le Covid19. Jacques GAILLOT

(Interview dans la revue Golias)

1 – Comment avez-vous vécu l’annonce de la pandémie du Covid-19 ?

Je me suis senti en communion avec la douleur de l’humanité. Douleur d’un drame qui franchissait les frontières et allait frapper partout. Moment rare où l’humanité se découvrait en communion. Il est plus facile de vivre en communion dans la douleur que dans le bonheur.

Cette terrible épreuve nous rappelle notre fragilité, notre finitude. Nous sommes tous vulnérables. Les grandes puissances mondiales ont des pieds d’argile. Personne ne peut se dire à l’abri de ce virus. C’est une invitation à prendre soin de la vie et de l’humain avec tendresse.

2- Comme citoyen et évêque de Partenia, vous qui cheminez au côté des plus démunis, quelles sont les fragilités que cela a mis en lumière de manière un peu plus singulière ?

Les plus démunis se sentent les oubliés de la société.

Ceux qui vivent et dorment dans la rue s’étonnent d’entendre : « Je vous demande de ne pas sortir de chez vous. Restez-chez vous ».

C’est vrai pour les familles qui habitent dans des taudis. Comme pour cette femme qui vit dans une petite pièce humide avec des cafards. Elle a deux jeunes garçons pleins de vie. Cette femme a dû arrêter son travail pour s’occuper de ses enfants. Les journées sont longues !

C’est vrai pour des étrangers sans papiers. Comment éviter la promiscuité quand on est entassé dans un dortoir avec des lits à étages ? C’est le cas pour le foyer des sans-papiers de Montreuil.

C’est vrai pour des détenus dans des prisons surpeuplées où il arrive qu’ils soient 4 ou 5 dans une même cellule.

Ceux qui sont à la rue se retrouvent seuls. Ils ne peuvent plus faire la manche. Il n’y a plus personne pour s’arrêter et parler avec eux. Les bénévoles des associations sont confinés.

La seule attitude qui puisse libérer les plus démunis, c’est avant tout la reconnaissance de leur dignité.

3 – Qu’avez-vous pensé de cette annonce qui d’un côté ferme les bars et restaurants et assure la continuité de l’ouverture des lieux de culte ?

En ce temps de carême, il y a une prière à Dieu qui m’enchante : « Fais nous quitter ce qui ne peut que vieillir, fais-nous entrer dans ce qui est nouveau. »

Précisément, en cette période singulière, il y a un déplacement des lieux de culte vers les lieux de vie.

Nos regards se portent vers les malades du Covid-19 hospitalisés avec leurs souffrances et leurs difficultés à respirer. Tous les soins qui leur sont donnés de jour comme de nuit évoquent la parole de Jésus : « C’est à moi que vous l’avez fait. »

Les équipes de soignants qui se dévouent auprès des malades sont une présence réelle. Présence indispensable avec leurs gestes d’humanité qui peuvent sauver la vie.

Ils portent une lumière qui nous éclaire dans notre nuit au point que chaque soir nous les applaudissons de nos fenêtres.
Ces blouses blanches qui se donnent sans compter au risque d’être contaminés à leur tour, révèlent le sens de la passion du Christ : l’amour vécu jusqu’au bout malgré le déchainement du mal.
Ces lieux de vie sont précieux. Ils sont nombreux à exister. Entrons dans ce qui est nouveau : l’humain d’abord !

4- Au regard de ce que nous vivons et qui est inédit, quel regard portez-vous sur la société dans laquelle nous vivons ?

Le domaine de la santé est un révélateur de la société. Le fonctionnement des hôpitaux et des EPHAD nous renvoient une image de la société.

Pendant l’année écoulée, les personnels de santé sont descendus dans la rue pour manifester leur colère. Ils ont dénoncé le manque de personnel, la détresse des urgences, le manque de moyens…Au cours d’une manifestation au mois de novembre, une banderole exprimait bien leur ras-le-bol : « L’Etat compte ses sous, on comptera nos morts. »

Ces cris ont-ils été entendus ? Une société qui n’a pas assez d’argent pour son service de santé, peut s’interroger. Son image est pour le moins écornée.

Avec la pandémie, le formidable effort de solidarité entre les hôpitaux, entre les hôpitaux publics et privés, entre les hôpitaux de différents pays, est exemplaire. Le dévouement des personnels soignants, aidés par tous ceux qui avaient repris du service, forcent l’admiration. Tous ensemble, ils réussissent à faire face à la situation. Quelle belle image restaurée du service de santé !

Mais quand nous serons sortis de l’épidémie, le service de santé bénéficiera-t-il de ce qu’il est en droit d’attendre de l’Etat ?

Depuis des années je vais dans des prisons. Chacune me renvoie une image de la société. Grâce à la pandémie du Covid-19, on emprisonne beaucoup moins, et on fait sortir beaucoup plus de prisonniers. N’est-ce pas une bonne chose quand les prisons sont surpeuplées ?

A la prison de Lannemezan au pied des Pyrénées, trois prisonniers basques ont été condamnés à perpétuité. Ils sont incarcérés depuis 30 ans. La peine de mort a été abolie dans notre pays. On ne va pas les laisser mourir en prison ! Nous écrivons au Président de la République et au Garde des Sceaux, leur demandant de transformer leur perpétuité en une peine de 30 ans. Cela mettrait fin à une si longue détention !

Toujours dans la prison de Lannemezan, un basque souffre de la maladie de Parkinson depuis des années. Sa demande de libération conditionnelle est à chaque fois refusée.

Des migrants arrivent régulièrement à Paris, après un rude parcours du combattant Beaucoup s’entassent sous le croisement des autoroutes près de la Porte de la Chapelle. Certains ont tout perdu. La seule chose qu’on n’a pas pu leur prendre, c’est la dignité.

J’ai honte du mauvais accueil qui leur est réservé, surtout quand l’expulsion prend le pas sur l’accueil.

Une société se juge à la manière dont elle traite les plus fragiles : les malades, les prisonniers, les migrants, les gens de la rue… Ils ont tous faim de dignité. De dignité reconnue. Ils ont autant besoin de respect que de secours.

5 – Revenons aux personnes les plus fragiles. Si nous évoquons les personnes vivant dans des lieux de privation de liberté comme les prisons, ceux qui vivent dans la rue ou bien les migrants, vous qui êtes un homme engagé, les personnes vivant en EHPAD, comment les accompagner et le confinement n’est-il pas une situation frustrante pour vous en ce sens ?

Accompagner les personnes fragiles suppose qu’on les aime. C’est le secret. Quand je vais le samedi après-midi à l’association des sans-papiers, j’ai plaisir à les retrouver, à les écouter, à leur parler. Ils sont ma famille. Je me sens bien avec eux.

Je rencontre des détenus qui ont des longues peines. Depuis 10 ou 15 ans je les visite. Nous avons de la complicité et de l’amitié entre nous. Les parloirs d’une durée de 1h à 1h30 passent vite. Quand on aime quelqu’un on a toujours quelque chose à lui dire. Ils attendent et apprécient ces visites de l’extérieur. Je reçois d’eux le courage de l‘avenir.

Evidemment, avec le confinement, je suis frustré des rencontres habituelles qui ne peuvent plus avoir lieu. Il me reste le courrier et le téléphone. En EHPAD les visites de la famille, des amis, sont une bouffée d’oxygène pour les résidents. Les relations humaines sont vitales pour eux. Je fais partie d’une équipe pour le service d’écoute téléphonique des personnes qui sont en EHPAD. Dans ces maisons, on ne meurt pas seulement du virus mais aussi de ces privations de relations humaines vraies qui font vivre.

6 – Aujourd’hui, le lien social prend une autre forme et les outils de communication permettent de lui donner un souffle nouveau. Est-ce que cela préfigure un changement de nature de la société dans laquelle demain nous vivrons selon vous ?

Effectivement le lien social s’est vite adapté à la situation de confinement, pas pour tous hélas, en faisant appel au télé travail, télé conseil, vidéo conférences, livres électroniques… Saluons cette prouesse technologique. Elle nous rend proche les uns des autres, mais ne fait pas de nous, pour autant, des frères.

Elle abolit les distances, mais ne remplace pas la rencontre réelle des humains qui peuvent se toucher et se témoigner de la tendresse.

7 – Que pensez-vous de ceux qui disent, comme François Gemenne, spécialiste en géopolitique de l’environnement qu’il faut se méfier des formules quasi religieuses du type « la nature reprend ses droits » ! Peut-on laisser « le religieux » à la porte des bouleversements majeurs que nous vivons ?

A mon avis ce spécialiste a raison. Il n’y a pas de revanche de la nature. Nous sommes tous liés pour le meilleur et pour le pire. Perdants ensemble ou gagnants ensemble. Il y a une unité de tous les vivants. C’est un fait d’expérience : La destruction de l’environnement s’accompagne toujours d’un déclin social et d’une baisse de la qualité de vie.

Quand il y a des bouleversements majeurs comme c’est le cas avec la pandémie, des dérives religieuses existent. C’est regrettable. Je préfère reprendre des paroles lumineuses du pape François dans « Laudato Si » sur notre conversion écologique. La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu. C’est un retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie nous offre, sans nous attacher à ce que nous avons, ni nous attrister de ce que nous ne possédons pas. Cela suppose d’éviter la dynamique de la domination et de la simple accumulation des plaisirs » (n° 222)

8 – Pensez-vous que l’encyclique de François Laudato Si’ a été et sera un phare pour nous aider à construire demain, et cette maison commune dans un village global qui montre ses errances ?

Cette encyclique est prophétique. Elle ouvre un chemin pour l’avenir de l’Humanité. C’est un phare qui nous guide par sa lumière. Personnellement je me laisse interrogé par ces paroles de François :

« Ecouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres »

« La disparition d’une culture peut être aussi grave ou plus grave que la disparition d’une espèce animale ou végétale » « Tout est lié »

« Le cœur est unique, et la même misère qui nous porte à maltraiter un animal ne tarde pas à se manifester dans la relation avec les autres personnes. Toute cruauté sur une quelconque créature est contraire à la dignité humaine ».

9 – Quelles conséquences imaginez-vous sur notre vivre ensemble demain ? Sera-t-il vraiment différent ou reviendrons-nous à nos turpitudes d’égoïsme, où la concurrence effrénée est la règle ?

Je pense au psaume 89 que nous chantons en communauté, certains jours, à la prière du matin.

« Appends-nous la vraie mesure de nos jours, Que nos cœurs pénètrent la sagesse »

C’est un appel à vivre le moment présent, avec sa densité, sa nouveauté. Demain sera un autre jour. Dans les SMS reçus, on me posait souvent la même question : « Que faites- vous ? Que faites-vous de vos journées de confiné ? » Plutôt que d’énumérer des tâches banales, je répondais « Je vis ».

Il nous faut réussir la transition énergétique. C’est urgent et possible. Repartons d’un bon pied, tirons les leçons de ce que nous venons de vivre.

A Paris, Il y a une diminution du gaz carbonique, grâce au peu de circulation des voitures et des avions. C’est un encouragement à ne pas repartir comme avant.
Luttons contre les inégalités. Je trouve scandaleux qu’à Paris des familles vivent dans des taudis ou dans la rue alors qu’il y a des immeubles vacants et des logements vides. Des lois existent, mais elles ne sont pas appliquées.

Nous sommes faits pour construire un monde où chacun existe pour l’autre.

Un proverbe africain dit :

« L’arbre ne mange pas son fruit, il le donne à manger »

10 – Si vous aviez, en quelques mots, un message à nous livrer, quel serait-il ?

Il est urgent d’aimer Éric-Emmanuel Schmitt l’affirme dans « l’Evangile selon Pilate » : « La seule chose que nous apprend la mort : il est urgent’aimer » Nul ne survit au manque d’amour. Il n’y a pas de vie perdue quand on aime.

Jacques Gaillot
Evêque de Partenia
Paris 1eravril 2020

PDF: Le Covid19. Jacques GAILLOT

Pourquoi tant de souffrances au Burkina Faso. André Marie POUYA

L’auteur de cet écrit, André Marie POUYA, journaliste consultant voudrait à travers sa réflexion rassurer le peuple burkinabè que les événements vécus par notre pays ne sont nullement des sanctions de Dieu. Pour lui, les thèses selon lesquelles Dieu est un père fouettard ne sont pas soutenables.

De janvier 2015 à maintenant, les attaques terroristes ont donné la mort à au moins 800 personnes : femmes, enfants, civils, membres des Forces de défense et de sécurité. Ce climat d’insécurité et de peur a engendré, parallèlement, une population de déplacés de près de 800 000 personnes. Pendant que notre pays saignait déjà abondamment, voilà le Covid-19, maladie du coronavirus, qui nous envahit, début mars. De nombreux messages, émis et ventilés par des Burkinabè, montrent que le Covid-19, né en Chine communiste ou aux Etats-Unis d’Amérique, risque de prospérer dans notre pays, au péril de notre foi et de nos croyances.

Les amateurs de réseaux sociaux reçoivent, sur leurs téléphones portables, des interprétations diverses de cette maladie. Inutile de les ressasser toutes, ici. J’en retiendrai celles m’ayant le plus fait réfléchir, en tant que croyant.

Les explications, quant à l’origine de la pandémie, font passer Dieu pour un père fouettard :
« C’est la colère de Dieu ! »
« Une punition divine ! »
« Un appel au repentir ou à la conversion ! »
« L’annonce de la fin, imminente, du monde ! ».

Je ne crois point à ces thèses, pour plusieurs raisons. Si Dieu était un père qui nous punissait à la hauteur de nos péchés, le monde serait peuplé uniquement de bébés. A seulement quinze ans, qui, parmi nous, pourrait gravir la montagne de forfaits qu’il a commis ? Dieu connaît nos travers de croyants burkinabè. Le professeur Joseph Ki-Zerbo, notre historien de renommée mondiale, qui en savait long sur le sujet, avait, une année, égrené les pourcentages de fidèles attribués à nos trois religions révélées, islam, catholicisme et protestantisme, pour conclure que nous comptions et étions cent pour cent (100%) d’animistes !

Donc, nous sommes d’une religion que nous ne revendiquons pas. Autrement dit, pour beaucoup ou pour la plupart, nous ne faisons pas confiance totalement à la religion que nous professons. En cas de coup dur (menace sur une position sociale) ou de sollicitation ardente (promotion professionnelle ou désir de richesse), nous allons ou retournons à certaines pratiques, qu’elles soient ancestrales (les gris-gris) ou mystico-religieuses (recettes de marabouts). Dieu nous punit-il, pour cela ? Si oui, la mort subite aurait frappé plus d’un sur le lieu du crime !

Dieu est amour et pardon

En tant que croyants, nous savons que Dieu est très aimant, clément et toujours disponible à nos côtés, y compris à nos pires moments d’égarement. C’est ainsi que le voleur ordinaire ou le détourneur de deniers publics prie afin de ne pas être pris, que le couple adultère implore le Tout-Puissant pour ne pas être surpris. L’assassin se consume en formules religieuses, afin de ne pas être soupçonné. Ce qui signifie que, même dans la commission de nos fautes, nous avons besoin de l’aide de Dieu pour nous en sortir ! Combien de nos turpitudes Dieu couvre-t-il, quasi-quotidiennement ?

A nous, catholiques, en particulier, Dieu offre un recours, charitable et affectueux : la Sainte Vierge Marie. Sans notre Sainte Mère, nous, catholiques, ne sommes rien ! Marie n’est pas Dieu. Mais Dieu a accordé cette grâce spéciale à Marie : le privilège d’être une intermédiaire directe, une instance et une autorité d’intercession entre nous, pauvres pécheurs, et Lui, Dieu. Celles et ceux qui ont suivi le long pontificat du Pape Jean-Paul II, auront retenu son exhortation au Renouveau marial. Jean-Paul II se montra très attaché à la Vierge Marie, lui confiant toutes ses souffrances personnelles. Au nom de l’immense tendresse de Marie, le souverain pontife pardonna au militant turc d’extrême droite, Mehmet Ali Ağca, qui tenta de le tuer, sur la Place Saint-Pierre de Rome (Italie), le 13 mai 1981.

Domaines réservés de Dieu

Alors, pourquoi tant de souffrances au Burkina Faso ? Autant se poser la question de savoir pourquoi l’humain, bien que croyant, endure des épreuves sur terre. Une chose est certaine : Dieu a le pouvoir de nous épargner ces traitements sans nom. Nous pourrions bénéficier, peut-être, de cette délivrance, un jour. Qui a la foi croit au miracle, au nom de cette toute-puissance de Dieu. Chaque croyant a réalisé, un jour ou l’autre, la présence de Dieu à ses côtés. Ce qui ne veut pas dire que Dieu exauce toutes nos prières. La preuve, depuis 2015, combien sommes-nous à demander à Dieu, chaque jour, de nous délivrer du terrorisme ? Et pour quels résultats ? Pour autant, avons-nous cessé de l’implorer ? Non ! Dieu accorde sa grâce, à son heure.

Nous allons continuer à prier Dieu, de toutes nos forces, face à ces souffrances que nous n’avions jamais imaginées et que nous ne méritons guère. Dieu seul possède la force d’arrêter et cette barbarie terroriste et cette fulgurante pandémie. Nos prières sont à jumeler aux actes que nous pouvons poser, individuellement et collectivement, pour combattre ces fléaux : « Aide-toi et le Ciel t’aidera ! »

Et, toujours, lancinante, cette question : pourquoi tant de souffrances au Burkina Faso ? Chères sœurs et chers frères, il y a des questions et, par conséquent, des réponses que Dieu se réserve…

André Marie POUYA

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En souvenir de Michel PINCHON. Jean-Louis RATTIER

Le 14 décembre 2019 nous avons déposé le corps de Michel Pinchon dans le cimetière de Gouville; la croix centrale est notre repaire pour trouver la tombe et nous recueillir auprès de lui. Un petit groupe de ses amis a pensé qu’il ne fallait pas laisser se perdre la vie et le témoignage de Michel. Un arbre abattu, tombé de tout son long a encore une mission: produire du feu, éclairer, réchauffer. J’apporte ici ma contribution en souhaitant que le message de Michel continuer d’agir en nous.

1. Enfance de Michel

Michel est né en 1928, trois ans après son frère Jean; deux fois je l’ai entendu parler de sa venue au monde en ces termes surprenants: «Une parente aurait dit à mon Père: Alors est-ce que vous allez nous faire un deuxième petit? Voyez les Untel, leur fils est mort accidentellement et il n’y a pas d’héritier!» Michel aurait-il été conçu comme précaution pour un éventuel héritage, né pour l’argent? Lui même croyait-il à cette histoire? Je ne sais… Mais concrètement il a laissé le rôle d’héritier et de réussite sociale à son frère aîné; et l’héritage n’était pas mince: maison de maître, terres, armoires de style, cave bien remplie etc…il précisera plus tard: «Je n’ai rien voulu de l’héritage de mes parents; je n’ai emporté que mon rond de serviette» Ainsi peut-être s’expliquerait la distance de Michel par rapport aux biens matériels et à l’argent, une ligne qu’il a gardée toute sa vie. L’argent n’est pas sa raison de vivre.

Le travail est une valeur dans la famille Pinchon; Michel est élevé à la dure par un Père qui durant les vacances n’oublie pas de remplir son emploi du temps de divers travaux à la maison, au jardin et dans les champs; pas de place pour l’oisiveté; Michel dira: «J’ai été trop engueulé par mon Père, désormais je n’accepterai plus cela de personne»

En plus de sa mère Éliane, deux autres figures maternelles viennent adoucir l’enfance de Michel: sa grand-mère et Germaine qu’il appelait sa nounou. Germaine avait seulement 15 ans à son arrivée dans la famille et Michel 5 ans; et elle y est restée toute sa vie; même retraitée, elle lavait encore le linge de Michel. Une fois, raconte Michel, un dimanche, revêtu de son beau costume et malgré les avertissements de Germaine, il était monté sur des tas de bois pour faire l’acrobat; le prévisible arriva: une chute et une belle déchirure au costume; Alors Germaine clandestinement entreprit de recoudre un à un les fils et c’est seulement quelques mois plus tard que Mme Pinchon s’étonna de ce bizarre raccommodage. De même quand Mme Pinchon rentrait de la ville et demandait: «Est-ce que les garçons ont été sages?» Même s’ils avaient été turbulents, elle s’entendait répondre par Germaine: Mais oui, Madame»

Michel a toujours eu une relation difficile avec l’autorité. Y aurait-il une explication dans cette anecdote qu’il raconte? A l’école primaire pendant la classe arrivent deux gendarmes qui sans explication emmènent avec eux un de ses camarades; l’après-midi le garçon ne réapparaît pas ni le lendemain ni le sur-lendemain; Michel panique; les gendarmes auraient-ils ce pouvoir terrifiant de vous faire disparaître? Son copain est-il au fond d’une cellule, en prison ou même mort? L’explication n’arrive que la semaine suivante: le père du garçon était mort accidentellement et les gendarmes avaient simplement reconduit le garçon chez lui. Michel gardera un traumatisme de cet épisode; il a toujours peur des gendarmes, même pour un simple contrôle routier et l’uniforme quel qu’il soit lui inspire une grande méfiance. D’une façon générale, Michel n’aime pas les affrontements ou les conflits; il préfère souvent s’éloigner.

Jean, de trois ans son aîné, a publié en 2010 son autobiographie «Mémoires d’un paysan» aux éditions l’Harmatan; il évoque Michel avec ces mots: «Depuis le jour de sa naissance Michel est une joie pour moi» Il raconte aussi la surprise qu’ils ont son père et lui quand après son bac Michel leur déclare calmement: «Je veux être prêtre» Jean ajoute «Mon père était croyant et pratiquant mais, comme beaucoup de normands, joyeusement anticlérical; il dit à Michel: Tu seras prêtre si tu veux à ta majorité, mais pour l’instant tu fais des études de lettres»

De son côté Jean réalise un parcours professionnel de haut niveau; après de solides études d’agronomie, il se consacre au syndicalisme agricole où il côtoie en particulier Henri Canonge, Jean-Baptiste Doumens et Michel Debatisse. Puis vient le temps de la politique dans différents cabinets ministériels auprès de Valéry Giscard d’Estaing, Michel Debré, Edgar Pisani, Edgard Faure et Georges Pompidou; Jean aurait même décliné la proposition de Pompidou qui lui offrait le poste de ministre de l’agriculture; Jean pense que c’est trop tard pour lui car déjà il s’est engagé dans une troisième vie, celle des exportations et du commerce international principalement avec les USA. Jean représente pour Michel une vie et des idéaux trop liés au pouvoir et à l’argent. Dans les réunions de famille Jean est le centre; Michel se tait.

2. Souvenirs personnels

Après une dizaine d’années à l’école d’agriculture de Tourville, Michel succède au Père Rocher comme supérieur du Petit Séminaire d’Evreux, place Saint-Taurin; c’est là que je fais sa connaissance; j’ai 15 ans. Michel impressionne par sa stature et porte de beaux costumes; il dira de moi: «Qui est-ce grand jeune homme sérieux, qui ne s’exprime pas beaucoup? » C’est le début d’une relation qui durera 55 ans; on a eu le temps de se connaître.

Michel, attentif à la vie et aux signes des temps que le récent Concile invite à découvrir, pressent que la formule «Petit séminaire» est à bout de souffle; D’ailleurs dans les années 70 la plupart des petits séminaires fermeront, et certains reprocheront à Michel d’avoir été celui qui a fermé le séminaire. En attendant Michel anticipe le mouvement; il envoie les élèves étudier à Saint-François pour proposer plus de filières au bac; le petit séminaire devient un foyer, un lieu de vie et Michel y pratique une pédagogie de la responsabilité; au lieu de la messe obligatoire chaque matin on peut choisir entre la messe ou un temps de méditation spirituelle guidée; certains temps d’études ne sont plus surveillés (on parle alors d’auto-contrôle, d’auto-discipline) Un après-midi par semaine les séminaristes volontaires se dispersent dans les paroisses pour le catéchisme ou d’autres activités. Certains soirs Michel nous regroupe; il nous lit et explique Saint Saint Exupéry ou Camus. Une année il nous laisse organiser une collecte de meubles et d’appareils divers au profit du CCFD; nous trouvons 15 camions d’entreprises ou de la base américaine pour cette opération. La cour du séminaire déborde; il faudra vendre tout ça. De diverses façons Michel nous sensibilise aux problèmes de la faim, du tiers-monde et du développement. Oui, Michel est assurément un éducateur; toute sa vie il gardera une étonnante capacité de contact avec les jeunes.

Michel a toujours été présent aux différentes étapes de ma vie; et j’ai trouvé auprès de lui écoute et compréhension; ainsi en 1969 après 2 ans au grand Séminaire de Rouen, je suis face à un choix: le service militaire ou l’objection de conscience; mes idées pacifistes me poussent vers l’objection qui se traduit à l’époque par un service social de 3 ans. Je consulte les autorités; Mgr Antony Caillot, évêque d’Evreux, me dit: «Je ne vous demande pas d’être officier, mais faites au moins le service militaire» Le Père Devis supérieur du grand séminaire me répond: «J’ai peur pour vous, aucun séminariste-objecteur n’est revenu pour continuer vers le sacerdoce» Quant à mon père spirituel du séminaire il est davantage préoccupé d’art et de liturgie que de mon orientation.

Rendez-vous est pris avec Michel; je lui expose mon projet de travailler dans les bidonvilles en région parisienne en rejoignant le Père Joseph Wresinski d’ATD-Quart monde. Sa réponse arrive claire et nette: «Si tu y crois, faut le faire» 4 mois plus tard, je pars pour Pierrelaye, le centre de formation d’ATD et ensuite dans le camp de Noisy-le-Grand où les familles pauvres s’entassent sous les fameux «igloos» en fibrociment. J’anime une bibliothèque et des activités pour les enfants; Je n’ai jamais regretté ce temps de service social.

En 1981, j’ai 32 ans et après 6 années de ministère paroissial à Vernon je me questionne sur mon avenir; certains diront, c’est la crise des 6 ans de mariage «avec l’Église»; J’ai le désir de participer à une autre forme d’Église, plus engagée, plus évangélique; J’exprime à Michel mon projet de voyager en Amérique Latine pour y rencontrer des prêtres et des communautés; Michel n’est pas surpris et me dit tout de suite: «Si tu veux je t’emmène au Brésil dans 6 mois; je vais à une assemblée continentale des fraternités sacerdotales Charles de Foucauld. Je te ferai connaître des prêtres de différents pays qui ensuite te recevront chez eux. Nous partons donc à Sao Paulo, je passe une semaine à l’assemblée et 15 jours dans des paroisses populaires avec 2 prêtres italiens; Nous sommes même invités par le cardinal Arns à concélébrer avec lui dans sa cathédrale; nous ne sommes pas loin de San André où déjà un certain Lula fait parler de lui.

Sur les indications de Michel mon voyage se poursuit en Uruguay un pays très laïc et peu latino, puis en Argentine à Buenos Aires chez Luis Stockler qui deviendra évêque quelques années plus tard et aussi un périple dans le nord à Reconquista chez Paul Dugast, un prêtre français. Et encore à Santiago au Chili, chez Luis Borremans, un belge et chez Alvaro Gonzales. Déjà je visite la communauté de Mariano Puga, dans un quartier populaire qui résiste à la dictature de Pinochet. Mariano vient de mourir en ce début de 2020; Il avait reçu un prix de la Paix au niveau du Chili et son inhumation a rassemblé des milliers de gens venus des quartiers populaires. Quand il venait en France il ne manquait jamais de rendre visite à Michel.

Puis je débarque à Lima au Pérou chez Jean Dumont, un autre prêtre, ami de Michel qui a fondé les «équipes enseignantes» au Pérou et au Chili; il parcourt la campagne pour regrouper instituteurs et enseignants en leur proposant de former des groupes de réflexion chrétienne; il vit à Lima dans un bidonville sordide appelé «Caja de Agua» c’est à dire «Caisse d’eau» dans une ville où il ne pleut jamais! Là les pauvres se font enterrer dans le sable du désert à quelques kilomètres pour éviter de payer une tombe. Jean me fait un programme de voyage dans la cordillère des Andes, à Arequipa, au lac Titicaca, Puno, Cusco; c’est l’aventure.

Après 3 mois de voyage, ma décision est prise; avec l’accord du diocèse, je propose mes services au CEFAL ( organisme des évêques de France) qui prend en charge ceux qu’on appelle les «Fidei Donum» Et aussitôt on m’envoie à Louvain en Belgique pour étudier l’Espagnol et la culture latino; Mon choix du Chili doit beaucoup aux exilés politiques chiliens, accueillis à Gaillon et Vernon en 75-76; j’avais sympathisé avec eux et déjà ils m’avaient initié à la langue, aux chants et à leur culture. Et avaient-ils ajouté «Le Chili est le plus beau pays du monde» Alors en route.

Michel avait des amis dans de nombreux endroits à cause des réseaux de la Famille spirituelle De Foucauld qui compte 17 branches différentes, des revues «Jésus» et «Jonas» et de sa participation à des instances nationales ou régionales en ce qui concerne l’église. Je l’ai constaté: dans n’importe quel diocèse en France on trouvait toujours quelques prêtres qui le connaissaient; Michel partageait ses amis, il ne les gardait pas pour lui. Ainsi il a fait connaître les livres, les écrits et les activités de son grand ami, Gérard Bessière. Beaucoup connaissent les homélies de Gérard quand il prêchait à la messe de France Culture ou écrivait pour «La Vie» Ces homélies pour les 3 années liturgiques sont bien sûr regroupées dans plusieurs livres. Michel m’a fait connaître des prêtres des fraternités qui ont eu de l’importance pour moi: Gunther Lembralt au Brésil, Jim Murphy un irlandais, Jacques Leclerc et Guy Bouillé à Montréal, Bruno Verret et Yvon Trottier à Québec, sans oublier Donald Hanchon aux USA qui m’a fait venir 3 ans à Detroit pour la pastorale des migrants mexicains.

De même en France à chacune de mes nominations ( Vernon, Saint-André et Damville ) Michel ne manquait pas de me dire «Tiens, tu iras chez les Untel, ce sont des amis»; à Vernon, il m’a fait connaître le groupe «Vie Nouvelle» Michel était en lien avec beaucoup de laïcs croyants ou non, intégrés dans l’Église ou mal à l’aise avec l’institution. J’ai noté que souvent la relation avait commencé par l’extrême disponibilité de Michel dans des circonstances difficiles; ainsi par exemple à Evreux, alors qu’il est vicaire général, il laisse son travail pendant 3 jours pour se consacrer à une famille dont le fils s’était suicidé sur une plage normande. Ou encore à Vernon, il soutient une famille qui a perdu une petite fille de 2 ans; chaque fois c’est le début d’une amitié formidable.

Au fil des années Michel s’est constitué un réseau d’amis très nombreux; j’ai retrouvé un répertoire où il avait noté simplement le nom des couples et de leurs enfants, comme s’ il craignait d’oublier les prénoms. Est-ce qu’il révisait de temps en temps? Ce réseau il l’appelait «Ma paroisse personnelle» car beaucoup venaient célébrer à Gouville: baptême, mariage, noces d’or; sans oublier que Michel allait aussi célébrer à l’extérieur et parfois très loin. Très tôt il avait mis en place des temps de prière pour les divorcés-remariés et parfois même des célébrations incluant des juifs ou des musulmans.

3. Ce que j’ai observé chez lui

Michel prenait très au sérieux son temps de prière chaque matin, une heure si possible; Dans le chœur de l’église, sa stalle l’attendait avec le bréviaire, le Prions en Église, quelques livres de spiritualité et une couverture car il ne faisait pas bien chaud l’hiver. Sa piété n’avait rien d’ostentatoire mais il restait fidèle aux recommandations des fraternités de Foucauld: la prière, l’adoration eucharistique, un journée de désert de temps en temps et la révision de vie chaque mois en petite équipe. Il acceptait aussi de prêcher des retraites spirituelles à divers groupes.

Beaucoup ont noté son style de vie volontairement pauvre; dans les années 90, en visite chez lui Jacques Gaillot lui dit «Michel tu vas sans doute enlever ce vieil évier de pierre et enfin installer l’eau chaude!» Réponse de Michel: «Cet évier, il sera encore là bien après moi» Michel s’obstinait à ne jamais fermer à clé sa maison même s’il partait pour un voyage de 3 mois: quelqu’un pourrait avoir besoin de s’y abriter! Quelques vols: un vélo tout neuf à peine offert, des outils, un peu de fuel ou quelques bouteilles, tout cela ne semblait pas l’impressionner. D’une façon générale, comme Jean Goujet, il voulait mettre en pratique ce conseil évangélique «Donne à qui te demande» Et Michel a donné pour de vrais dépannages mais aussi parfois à des escrocs, à de vrais arnaqueurs.

Fils d’agriculteur Michel aimait travailler la terre, désherber, planter, observer la croissance des plantes, des fleurs et des légumes; son jardin n’avait pas de rentabilité économique mais était plutôt un prétexte à la relation, à des échanges; certains lui fournissaient les plants, comme son ami Alfred Verda de Breteuil et Michel partageait la récolte avec les prêtres de Damville, Jean et Popol, les religieuses ou d’autres. Ses invités en profitaient également car Michel aimait recevoir : amis, couples, groupes; il pensait toujours à décorer la table et rappelait la réflexion de ce jeune auquel il avait donné à lire l’évangile de St Marc «Dis donc dans ton bouquin, ils ne font que bouffer» Michel avait retenu la leçon: Les préparations aux sacrements commençaient souvent par un repas pour faire connaissance, pour s’apprivoiser et si possible préparer la cérémonie.

Sans doute faut-il aussi prendre conscience de l’écoute inconditionnelle de Michel; par de discrètes questions il faisait progresser la conversation, évitant de juger. Il ne donnait pas de conseils, il ne moralisait pas; il suggérait tant il voulait respecter la liberté de l’autre; il a souvent écouté des bavards avec infiniment de patience; une fois ou l’autre il m’a dit «Cette femme Africaine, nouvellement convertie, je l’ai écoutée tout l’après-midi mais réellement je n’ai rien compris; elle parle de sa foi chrétienne, mais en même temps elle raconte ses rêves et mélange tout cela avec la magie et les coutumes de son pays» Il n’avait pas compris, mais il avait écouté.

On ne comprendrait pas Michel sans voir son rapport avec son corps qui était un peu le «frère âne» qu’on a le droit de brutaliser; Michel avait une santé de fer et ajoutent certains «un estomac d’autruche» Il le disait lui-même «Jusqu’à 70 ans, je n’ai jamais rempli une feuille de sécurité sociale» Jamais malade, jamais fatigué, dormant peu, toujours disponible, très souvent sur la route dans le département ou plus loin.Une fois en voiture il est revenu de Madrid ( 1500 Km) d’une seule traite, sans étape; seule explication qu’il avait donnée «J’ai mis un stock d’eau à côté de moi et j’ai roulé»

Dans ces dernières années ses amis ont dû beaucoup insister auprès de Michel pour qu’il prenne soin de lui, qu’il voie un médecin, un cardiologue et qu’il suive leurs prescriptions; Michel après son opération de la hanche n’a pas vécu les 6 mois de rééducation à la Musse comme une souffrance ou une épreuve mais plutôt comme une découverte, un temps de partage et de rencontre avec les autres; seule ombre au tableau: ce médecin-chef qui prétendait l’envoyer en maison de retraite! Cela il ne peut le lui pardonner.

A son retour de la Musse, des groupes et des amis de Michel organisaient des réunions chez lui pour lui éviter un déplacement en voiture jugé dangereux; mais Michel persévérait dans son idée de conduire pour de petits parcours et cela malgré plusieurs accrochages et accidents. Cela a compliqué notre relation avec lui; ceux qui lui tenaient tête se sont vertement fait engueuler, tant cela lui semblait une atteinte à sa liberté. Marie-France et Philippe, Jean-François et moi-même, nous avons le souvenir de ces moments où le ton a vraiment monté. Il a fallu lutter pour que Jacques obtienne de le conduire faire des courses à Breteuil et moi-même pour aller le chercher pour les messes dominicales, des réunions ou des repas. Il ne voulait dépendre de personne et les accidents qu’il avait eus étaient toujours arrivés «à cause des autres» Anecdote encore: à la Musse l’examen sur sa capacité de conduire dans un simulateur moderne s’était avéré négatif pour lui. Mais Michel avec assurance et une grande part de mauvaise foi avait déclaré que l’appareil ne fonctionnait pas bien! Au total il a laissé une voiture qui selon le garagiste aurait nécessité plus de 4500 Euros de réparations principalement en carrosserie. Je garde un mauvais souvenir de cette période où vraiment nous avons tremblé de le savoir sur les routes.

Dans ces 3 ou 4 dernières années, retiré dans son cher Gouville, Michel a voulu continuer à donner un sens à sa vie; il se faisait un emploi du temps; tant qu’il a pu il a visité quelques malades dans son voisinage dont une femme très âgée et aveugle; à sa demande il lui lisait des passages d’évangile. Lui-même lisait beaucoup; et souvent en soirée Jacques et Marie-Agnès Gougeon rejoignaient Michel pour un temps de lecture commentée et d’échanges. L’après-midi Michel se donnait du temps pour la promenade et le jardinage; et surtout il a redécouvert le bréviaire et les psaumes qu’il savourait; parfois, et c’était nouveau pour lui, il poursuivait par la messe, là tout seul dans son bureau.

Conclusion

Au terme de ces pages il est bien difficile d’élaborer une synthèse de la vie de Michel; d’autres éléments dans ce livret vous y aideront. Toutefois je risque une comparaison: en médecine il y a de grands professeurs, des spécialistes de renom, d’excellents chirurgiens, des meneurs d’équipes, des chefs de cliniques et au bas de l’échelle dans notre petite ville un simple généraliste dont nous apprécions les soins.

Michel au fond a été un prêtre généraliste; exégète à ses heures quand il lisait le «Jésus» en 4 tomes de John P. MEIR, un bibliste de renom mondial, historien quand il parcourait 1500 pages sur l’histoire des croisade; spirituel car fin connaisseur de la vie et des écrits de Charles de Foucauld; accompagnateur spirituel de ceux qui se confiaient à lui, prêtres, religieuses et laïcs; voyageur pendant 12 ans en Asie, Afrique et aux Amérique; animateur de sessions, de colloques, apte à donner des lignes de travail et à rédiger d’excellentes synthèses; journaliste avec ses deux revues quand il s’agissait de suivre et de réfléchir sur l’actualité de l’église et du monde, excellent gestionnaire quand il s’agissait de tenir les finances de Tourville, du séminaire, du diocèse et même le budget municipal de Gouville; fondateur et animateur infatigable de l’Action Catholique rurale; et enfin simple prêtre en paroisse. Au fond Michel ne s’est spécialisé en rien, mais il a été présent et actif sur bien des fronts; sa polyvalence l’a ouvert à beaucoup de gens et sa seule spécialité fut celle de l’Amitié Inconditionnelle dont nous avons bénéficié. J’imagine une plaque professionnelle sur la porte de sa maison: «Ici spécialiste en Amitié; Entrez sans frapper» Nous le savons, cette amitié avait sa source dans un Autre, ce Jésus qu’il a aimé et qu’il a rejoint.

31 Mars 2020

PDF: En souvenir de Michel PINCHON. Jean-Louis RATTIER

Lettre d’Éric. Notre frère Mariano PUGA

le 16 Mars 2020

Je disais : je ne verrai plus Yahvé sur la terre des vivants.
Je ne verrai plus personne parmi les habitants du monde.
Ma tente est arrachée, jetée loin de moi, comme la tente des bergers.
Comme un tisserand tu enroules ma vie pour en trancher la trame (Isaïe 38,11-12)

Il existe une bonne mort et nous sommes responsables de la façon dont nous mourons ;Nous devons choisir entre nous accrocher à la vie et ainsi notre mort devient un véritable échec et désastre ou bien laisser la vie libre de nous transformer en don pour les autres comme une source d’espérance. ( Henri NOUWEN ; La vie de l’Aimé )

Chers frères

profondément touché par son départ et très reconnaissant envers lui, je vous annonce le grand passage de notre frère aîné et icône vivante de notre fraternité : Mariano PUGA CONCHA de Santiago de Chile ; il est décédé le 14 mars 2020, âgé de 88 ans, frappé d’un cancer lymphatique.

Permettez-moi d’évoquer la grande amitié qui nous a liés ; notre première rencontre remonte à l’assemblée générale du Caire en 2000 ; avant son élection comme responsable général, sa présence dans le groupe était déjà un virus qui se répandait en joie et rires notamment quand il accompagnait les chants à l’accordéon ; nous ne savions pas que ces chants en espagnol venaient des quartiers populaires de Santiago ; lui, très jovial et fort, jamais déprimé ressemblait à un troubadour qui par son souffle et son cœur porte les rêves et les aspirations de son peuple ; Je restais impressionné par sa vivacité d’esprit et sa musique joyeuse.

Notre seconde rencontre eut lieu aux USA en 2002 ; lui visitait la fraternité et moi j’y faisais une année sabbatique. Notre frère maintenant décédé Howard Caulkins fit en sorte que je puisse me rendre avec Mariano à l’assemblée des frats au Minnesota ; Ainsi nous avons voyagé ensemble et rapidement nous nous sommes retrouvés sur la même longueur d’onde, dialoguant d’une façon profonde et personnelle. Je lui racontai comment j’étais en crise avec l’Eglise, avec mes démons personnels et avec Dieu ; jamais je ne m’étais senti autant écouté ; à la fin il m’a serré dans ses bras, tel un grand frère réconfortant un plus jeune, avec des larmes aux yeux, partageant ma douleur. Nous sommes quittés avec cette promesse de rester proches par la prière, moi dans l’abbaye où je me rendais et lui en route vers Tammanraset.

Ma dernière rencontre avec lui remonte à l’an passé dans l’île de Cébu aux Philippines pour l’assemblée générale des fraternités ; Voyager ainsi à 88 ans à l’autre bout du monde se révéla difficile et il en paya le prix ; il fut hospitalisé 2 fois et chaque fois je l’ai l’accompagné ; sa sagesse m’invitait à quitter mes prétentions et à accepter en profondeur un échange sur nos histoires personnelles ; et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés au coude à coude comme deux frères. Je suis resté auprès de lui pendant 5 heures aux urgences, puis dans la chambre mise à sa disposition ( et pourtant il avait insisté pour être dans la salle commune avec les pauvres) Je le quittai bien tard ce jour ; au moment de partir, avec un beau sourire il me murmura: «  l’assemblée est terminée ; je pourrais rentrer à la maison » Je suis reparti quelque peu remuémais surtout enrichi de cet émouvant dialogue, « cette révision de vie » que Mariano voulait placerau cœur de chaque rencontre de frères.

Permettez-moi de vous partager aussi quelques lignes écrites par Fernando TAPIA du Chili : « Mariano fut un passionné chercheur de Dieu et un amoureux de Jésus de Nazareth ; Etudiant, sa rencontre du Christ à travers les pauvres d’une décharge d’ordures changea sa vie pour toujours ; il a tout quitté et entra au grand séminaire ; c’est là qu’il découvrit Charles de Foucauld et devint son disciple jusqu’à la fin de sa vie ; il devint directeur spirituel et formateur au séminaire de Santiago; puis il se fit prêtre-ouvrier pour plus de 30 ans, partageant la vie des pauvres ; il a toujours vécu avec eux ; il fut leur pasteur, leur défenseur au temps de la dictature militaire de Pinochet, souffrant la prison 7 fois. Il s’engagea en faveur d’une Eglise liée à la situation et aux combats des pauvres ; infatigable il prêcha de nombreuses retraites au Chili et à l’extérieur ; c’était un homme de prière, joyeux, proche de tous croyants ou non, missionnaire dans les périphéries de la société chilienne, à la suite du Père de Foucauld ; l’évangile était son guide, cet évangile il voulait le crier par sa vie »

Mariano, frère et ami, un grand merci ; Merci pour ton témoignage fou d’un Dieu fou en Jésus de Nazareth ; je partage la reconnaissance et la peine des pauvres de Santiago ; tu les a touchés si fortement par ton témoignage ; Que Jésus, le bon pasteur,te reçoive pour toujours dans ta nouvelle demeure, celle qu’il a préparée pour ceux qui sont fidèles. Frères, je prie avec Mariano, pour que dans nos réunions et assemblées, nous continuions à prendre le risque de partager notre pauvreté et notre vulnérabilité ; c’est notre pauvreté qui nous unit, nous qualifie et nous rend libre en tant que frères c’est aussi le trampoline pour notre mission parmi les pauvres, comme nous le disions à Cébu.

Renouvelons notre engagement à suivre la vie missionnaire de Jésus avec les pauvres, à la suite de Frère Charles.

Eric LOZADA aux Philippines
( traduction de Jean-Louis RATTIER)

PDF: Lettre d’Éric. Notre frère Mariano PUGA, fr

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