Fête de la Visitation de Marie, 31 may 2019
LETTRE DU RESPONSABLE GÉNÉRAL AUX FRÈRES DU MONDE
« L’avocat, le Saint-Esprit que le Père enverra en mon nom, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jn 14,26).
« Mais le consolateur, l’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jean 14:26).
Mes chaleureuses salutations de paix à vous, mes chers frères,
En toute humilité, je confesse personnellement pourquoi il m’a fallu si longtemps pour vous écrire cette lettre. Plusieurs fois, je me suis assis devant mon ordinateur sans savoir quoi et comment écrire. C’était comme une femme enceinte sur le point d’accoucher, mais dont le bassin est trop étroit pour le nouveau-né. Je me suis battu avec les mots mais mon plus grand combat était le cœur, avoir l’esprit et la disposition appropriés d’un frère. Beaucoup d’entre vous ne sont pour moi que des noms sans visages et histoires que nous partageons pour qualifier notre fraternité. J’avais besoin de temps pour m’enraciner dans le Père qui m’a invité à quitter le confort de ma patrie et m’envoie comme un frère missionnaire. J’avais besoin des moments de nudité en prière devant Jésus dont l’esprit de Nazareth nous invite, vous et moi, à cette grande aventure de mouvement de descente, en vivant simplement mais avec joie, dans l’ordinaire et dans l’obscurité, trouvant la dernière place, consumé par l’évangile des plus grands comme des plus petits, voyant Jésus dans le pauvre, l’apostolat de la bonté, ne pas régner mais servir, être pauvre en esprit pour l’amour du Royaume. J’avais besoin d’espace pour être ravivé par la spiritualité, la vie et les intuitions de Frère Charles à travers les témoignages de frères et sœurs qui sont profondément ancrés dans la vie et la tradition de la Fraternité. La rencontre avec la famille spirituelle à Haïti en avril dernier, mes visites aux frères en Haïti, en République dominicaine et aux États-Unis et ma retraite dans un monastère de trappistes en Géorgie ont été d’une aide immense. (Ce sera l’objet de ma prochaine lettre). Jésus aussi avait besoin de cet espace dans mon cœur pour ma conversion, car même si je suis dans la fraternité depuis 30 ans et ai déjà vécu trois mois à Nazareth, il me reste encore des comportements malsains et immatures qui pourraient faire obstacle à ce ministère. Étant moi-même un projet inachevé, j’ai besoin de vos honnêtes commentaires et de vos conseils fraternels. S’il vous plaît, dites-les-moi et je les recevrai joyeusement comme un cadeau pour ma formation continue.
Comme vous le savez, avant que je sois élu responsable général, mon monde tournait autour de ma petite fraternité dans un petit village, sans télévision ni Internet, comme aumônier d’un petit monastère carmélite et directeur des études d’un petit collège séminaire, venant d’un petit diocèse aux Philippines. Mon univers était alors très petit, ma façon de vivre très rurale et l’idée d’écrire aux frères du monde entier est pour le moins écrasante. Je remercie l’Avocat de m’avoir permis d’écrire. Je prie pour que ces mêmes paroles ne l’empêchent pas de nous enseigner tout ce que Jésus veut nous faire connaître. Je vous remercie pour votre généreuse patience. Je suis très désolé pour ceux qui se sentent orphelins à cause de mon long silence. Dans mon silence, j’ai murmuré vos noms dans ma prière (grâce au répertoire), un jour à la fois.
Un autre regard sur l’Assemblée de Cebu et au-delà
Notre Assemblée de Cebu en janvier dernier fut en effet «une précieuse manifestation de l’Esprit de Pentecôte». Ma joie fraternelle et ma sincère gratitude à vous tous qui avez prié pour nous pendant que nous étions en Assemblée. À nos responsables continentaux et nationaux avec nos anciens responsables généraux, Mariano et Abraham, qui ont voyagé jusqu’à l’autre côté du monde simplement pour faire partie de l’assemblée, merci beaucoup. À l’équipe précédente – Aurelio, Jean François, Emmanuel, Mark et Mauricio – pour votre excellent travail de planification et votre labeur ardu avant et pendant l’assemblée, merci beaucoup. Nous ne pouvons que construire sur ce que vous avez généreusement réalisé. Merci en particulier à Aurelio pour l’héritage du projet du site Web iesuscaritas.org et à Jose Alberto Hernandis qui est très disposé à gérer notre site Web. Ma joie et ma gratitude aux membres de mon équipe, avec Tony Llanes comme mon co-responsable général, qui sont très disposés à servir. Puisque nous sommes au service de la fraternité internationale, je vous prie de bien vouloir nous écrire vos préoccupations, vos nouvelles, vos invitations, vos réactions, vos récits. Je les ai personnellement choisis pour représenter les quatre continents de manière à faciliter l’accès aux nouvelles et aux informations. Voici nos coordonnées:
Eric Lozada, ericlozada@yahoo.com – 63 9167939585;
Tony Llanes, stonyllanes@yahoo.com – 63 9183908488;
Fernando Tapia, ftapia@iglesia.cl – 56 988880397
Honoré Savadogo, sawono2002@yahoo.com – 226 70717642
Matthias Keil, Matthias.keil@graz-seckau.at – 43 67687426115.
Tout comme vous nous faites confiance, pouvons-nous aussi vous faire confiance pour nous aider à cet effet? Plus qu’une dynamique descendante, nous souhaitons davantage de dialogue, de transparence, de réciprocité, de retour d’information à nos différents niveaux de communication. Pour commencer, nous nous réunirons du 11 au 18 octobre en Corée du Sud et nous apprécierions tout de votre part que vous voudriez peut-être que nous prenions en compte et répondions : personnel, local, national, régional – Vous pouvez les transmettre à moi ou à votre représentant continental de l’équipe.
Frères, la lettre de Cebu n’est pas un document fini. C’est un travail en cours. Permettez-moi de vous inviter (et soyons unis pour cela) à en faire un sujet de relecture et de discussion personnelles et fraternelles. À Cebu, nous nous sommes engagés à être des prêtres diocésains missionnaires inspirés par le témoignage de Frère Charles. Nous avons contemplé les réalités de notre société, de notre Église et de nos fraternités à partir des différents continents et pays. Nous avons écouté l’appel de l’Esprit à devenir une Église dans les périphéries (grâce au leadership prophétique du Pape François). Et partant des appels que nous avons entendus, nous sommes fermement résolus à prendre des mesures concrètes et stratégiques pour le développement de notre société, de notre Église et de nos fraternités.
Dans votre relecture et votre discussion, je voudrais vous inviter à traiter le document comme un ami dont les paroles sont remplies de l’Esprit, transformatrices et prophétiques. La réalité de la violence, du terrorisme, de l’injustice, des trafics, d’une grave crise écologique, des migrations, d’une mondialisation de l’indifférence, du fondamentalisme, de la laïcisation (la liste est trop longue) est très complexe. Mais, presque immédiatement, nous avons tendance à observer cette réalité de l’extérieur. Cette attitude n’est pas très bénéfique. Nous devons être plus impliqués. Demandant à l’Esprit de nous donner du courage et de l’humilité, nous jetons un regard profond et aimant sur nos structures internes / sous-cultures – valeurs, mentalité, mode de vie, préjugés, attitudes, préférences, désirs – en tant que prêtres diocésains. Nous nommons les nombreuses manières subtiles par lesquelles nous avons pris part au problème. Nous partageons nos réalisations avec des frères de notre fraternité qui pourraient nous aider dans notre croissance. Peut-être que le plus beau cadeau que nous puissions offrir à notre monde d’aujourd’hui est de reconnaître que nous avons participé au problème. Espérons qu’avec des cœurs contrits et transformés, nous prendrons partie à la solution.
L’Esprit nous appelle à être une Église dans les périphéries. Demandons à l’Esprit le don du courage et de la confiance pour explorer ensemble les périphéries de notre âme – les parties de nous-mêmes rejetées, laides, méprisées, profondément enfouies, cachées, que nous devons exprimer, posséder, accepter, embrasser pour en guérir. Ici, nous avons besoin de l’intimité de notre fraternité pour pouvoir partager nos blessures les plus profondes sans être jugés. Au besoin, nous pouvons consulter un professionnel pour notre croissance continue et notre guérison. Ensuite, la prochaine fois que l’on va aux périphéries, on est différent. Nous sommes plus intérieurement des missionnaires libres et heureux. Ce qui est triste, c’est quand nous y allons avec nos blessures non soignées et ce qui n’est pas vrai de nous-mêmes. Nous sommes aveuges, nécessiteux, pleins de nous-mêmes et nous ne le savons même pas. Nous oublions l’agenda de Jésus et du Royaume. Comment un veugle peut-il conduire un autre aveugle? Je suis convaincu que le meilleur cadeau de mission que nous pouvons offrir au peuple de Dieu, particulièrement aux pauvres, est notre attention à notre tranformation permanente comme disicples missionnaires de Jésus.
Frères, à Cebu, nous avons vu comment tous nous luttons avec la journée de désert et la révision de vie. Nous devons considérer ce fait non pas comme une conclusion, mais comme un point de départ. La conclusion est assez évidente et nous devons être honnêtes à ce sujet. Cela signifie une qualité médiocre de nos réunions, de nos relations, de nos ministères et même de notre prière. C’est notre pauvreté et notre manque d’attention à l’essentiel. C’est aussi notre chemin vers la libération et l’intégrité si nous le voulons. Nous avons besoin d’une ferme détermination à nous engager dans un temps régulier et qualitatif de solitude dans le désert, où le divin thérapeute pourrait nous transformer et nous guérir. Notre révision de vie n’est pas un simple compte-rendu de nos vies et de nos ministères, aussi honnêtes que nous soyons. C’est plutôt un lieu de rencontre avec l’Esprit qui nous permet de voir nos vies comme Dieu nous voit. Notre partage fraternel est un véritable lieu de rencontre cœur à cœur. À travers la régularité de telles rencontres, nous grandissons ensemble comme frères-âmes – plus confiants, honnêtes, intimes, véridiques, moins critiques, prétentieux et défensifs, plus attentionnés et plus attachés à la croissance continue des uns des autres comme disciples bien-aimés de Jésus à Nazareth, inspirés par Frère Charles. Ce témoignage de fraternité est pour moi une bonne campagne vocationnelle.
Viens, Esprit Saint, viens
Permettez-moi de parler un peu de la prochaine fête de Pentecôte. Les Actes des Apôtres racontent : « Le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble dans le même lieu. Tout à coup il vint du ciel un bruit comme celui d’un vent impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent sur chacun d’eux. Et ils furent tous remplis du Saint Esprit, et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (Ac 2, 1-4).
Avec tout le respect que je dois à nos experts en Bible, en particulier Emmanuel Asi, je vous invite à méditer ce texte avec moi. Il semble que le lieu de prédilection du Saint-Esprit est le moment où les personnes se rencontrent intentionnellement en communauté d’amis, de frères (y compris des sœurs) de croyants du Christ ressuscité. Au fond et à la différence d’une foule, une communauté, est la ferme résolution de chacun de ses membres à travailler sans cesse pour ce qui unit plutôt que ce qui divise, conscients que tout est don et qu’il n’y a qu’un seul donateur. Bien que nous luttions avec les différences (et tenez-vous bien, c’est toujours difficile), nous continuons de marcher et de tomber dans la Source qui nous unit. Chaque fois que nous prions: «Viens, Esprit Saint et renouvèle la face de la terre », nous prions ce que Jésus, le grand prêtre, a rêvé pour le monde : « Père, que tous soient un, comme toi et moi nous sommes un » (Jn 17, 21). Le Saint-Esprit qui donne la vie (comme nous le professons dans le Credo), anime infiniment, rend capable, transforme et rassemble toute la création pour en faire une image vivante de l’unité dans la Trinité tout comme au commencement. La terre entière, pas seulement le monde humain, comme l’appelle affectueusement le pape François, devient notre maison commune où la vie sous toutes ses formes est vénérée comme un don et une chose sacrée. Quand Paul enseigne à la communauté de Philippes de « tout mettre sous le Chris t» (2, 10), le Christ est le point de référence universel pour toutes choses et pas seulement pour les chrétiens. Être des hommes et des femmes de l’Esprit, c’est donc travailler toujours pour ce qui inclut plutôt que ce qui exclut, pour le dialogue, pour la fraternité universelle avec tout ce qui existe.
Le nom que Jésus donne à l’Esprit est l’Avocat. Jésus a promis l’avocat qui nous enseignera tout ce que nous devons savoir. En termes juridiques, l’avocat signifie un défenseur. L’Esprit est notre défense contre l’esprit du Malin opérant dans notre monde d’aujourd’hui, que ce soit dans les structures politiques et économiques, dans les relations interpersonnelles, familiales ou communautaires, même dans les sous-cultures à l’intérieur de l’Église et de la religion. C’est très rusé et trompeur, toujours déguisé en bien et même en licence pour faire le mal au nom de Dieu. Le texte nous dit que la venue de l’Esprit Invisible prend la forme visible de langues de feu reposant sur la tête de chacun des apôtres rassemblés. Nous prions pour que ce feu repose sur chacun de nous « pour transformer nos cœurs de pierre en cœurs de chair » et nous rendre davantage capables de discerner très bien où se trouve le mal par rapport au bien. Puisse le feu de la Vérité raviver nos cœurs avec une passion pour Jésus et le Royaume. L’autre image visible de l’Esprit Saint est un vent fort qui remplit toute la place des personnes rassemblées. Nous prions pour que ce vent fort renverse et transforme les cœurs et les institutions endurcis par l’indifférence, la violence, la haine, le ressentiment, l’exclusion qui ne fait que diviser la création de Dieu. Que l’Esprit qui est un vent fort élargisse les espaces de chaque cœur humain pour inclure les pauvres, les marginalisés et les étrangers dans la famille des enfants bien-aimés de Dieu. Puissent nos fraternités être des écoles de l’Esprit pour qu’inspirés par le frère Charles, nous devenions des disciples passionnés mais doux de Jésus à Nazareth dans notre monde fragmenté et violent.
Frère Charles, le Frère Universel
Enfin, une note sur Frère Charles. Au début de cette année, la petite sœur Kathleen de Jésus a publié un livre du même titre. Il contient les thèmes principaux et j’aime la façon dont il est écrit. Merci beaucoup, Kathleen. Comme vous le savez déjà, le Frère Charles – sa vie, son message, ses intuitions – devrait occuper une place importante dans notre formation permanente de prêtres diocésains. C’est ce qui nous caractérise. Plus nous le connaissons, plus nous connaissons Jésus, son Bien-aimé. Frère Charles n’est pas seulement une icône à vénérer. Il est un appel vivant, une personne tangible dans notre profond désir de suivre Jésus.
À propos de l’appel à être frère universel, le petit frère Antoine Chatelard soulignait : «Il s’agit avant tout d’être un frère, avant de penser à être universel ». Comme le dit sœur Kathleen, dans la vie de frère Charles, l’intuition d’être un frère universel s’est d’abord manifesté en octobre 1901 lorsque le frère Charles s’est installé à Béni Abbes. Grâce à la générosité de sa cousine Marie, il a pu acheter un lopin de terre stratégiquement situé à mi-chemin entre les villages fortifiés et la garnison française. Il construisit, avec l’aide de l’armée française, un petit monastère entouré de lignes de grosses pierres. Et c’est la clé. « Lui-même irait rarement au-delà, mais n’importe qui pouvait entrer. Il souhaitait être un frère universel dans un contexte de conflit impliquant de nombreuses parties adverses » (P.16).
Ce fut un moment de clairvoyance! L’appel à être frère universel est avant tout l’appel à être un frère. Chez Frère Charles, être frère, c’est se situer entre les deux (pas noir ou blanc mais gris) au milieu (pas la même chose que d’être au centre) de nombreuses parties adverses. Un frère est immergé, enraciné, au beau milieu de la réalité avec tous ses paradoxes, ses tensions et ses points de croisement complexes et il ne quitte jamais sa position. S’il s’en va et s’éloigne du milieu, il devient particulier. Quand il embrasse l’un, il exclut l’autre. Il n’est pas un gardien de clôture qui n’a pas de position concrète sur des questions sociales, politiques, économiques, culturelles ou même ecclésiales. Au contraire, il est enraciné sur ce qui se passe et il se tient au milieu de tout. Lorsqu’il opte pour les pauvres et les marginalisés, il inclut les riches. Justement, ce n’est qu’en étant au milieu des choses qu’il peut embrasser toutes choses en tant que frère universel. Et c’est seulement à ce moment que, grâce à cette croissante clairvoyance, frère Charles a commencé à appeler sa maison non pas un ermitage (vivre selon une règle de vie monastique cloîtrée), mais une fraternité où toute personne pouvait venir et était bien reçu. Au plafond de sa fraternité il a peint l’image du Sacré-Cœur de Jésus dont les bras sont largement ouverts à quiconque y vient. Son ardente proximité avec le Cœur Sacré de Jésus le conduit à imiter Jésus Caritas, le Frère Universel par excellence dont il n’est qu’un humble témoin qui montre Jésus.
Frères, merci beaucoup pour avoir lu ma longue lettre avec une patience généreuse. Je continue de vous garder, vos fraternités et vos diocèses dans ma prière, un pays à la fois. S’il vous plaît priez pour moi aussi votre petit frère serviteur.
Avec mon étreinte fraternelle en Jésus Caritas,
Eric Lozada