On peut dire que le Fr. Charles n’a pas cessé de se référer à cette scène de l’Evangile selon St. Luc (1,39-56) dès lors que les contours de sa vocation ont commencé à se préciser . On l’observe à travers la rédaction des divers statuts pour la congrégations comme dans sa méditation des Ecritures ou les diverses réflexions qu’il fait sur sa propre vocation . On peut dire que cette scène de la Visitation lui sert à trouver les mots pour exprimer l’originalité de sa mission.
Constitutions, règlements et statuts
Lors de son séjour à Nazareth, en 1899, il commence à rédiger ce qui deviendra les Constitutions et le Règlement des petits frères du Sacré-Cœur de Jésus puis, à partir de 1902, ceux aussi des Petites soeurs du Sacré-Cœur de Jésus ; enfin , à partir de 1909, il rédige en des termes assez semblables les Statuts et le directoire de l’Association des frères et soeurs du Sacré –Cœur de Jésus . Dans ces trois documents , à l’article « Fêtes chômées », le Frère Charles fixe avec constance la fête de la Visitation comme fête patronale et dans le Directoire, à l’article « Dévotions et pénitences » il tient à préciser la portée de ce choix : « L’association des frères et sœurs du Sacré-Cœur est dédiée au Sacré-Cœur de Jésus et a pour patronne la Très Sainte Vierge Marie au mystère de la Visitation ; notre Mère céleste est dans ce mystère notre modèle ; comme elle sanctifia la maison de Jean en y portant Jésus, ainsi nous devons porter Jésus autour de nous en développant Sa présence eucharistique et en Le laissant vivre dans nos âmes. Nous devons surtout le porter ainsi parmi les peuples infidèles ; « quand on est plein de Jésus, on est plein de charité » : comme Marie ayons « hâte » de partager notre trésor Jésus avec nos frères infidèles qui ne Le possèdent pas « .
Au fil de ces divers documents à allure normative le Frère Charles retrouve souvent, comme inconsciemment parfois, le prisme de la scène de la Visitation pour exprimer son projet et deux verbes reviennent alors sous sa plume : « porter » et « sanctifier » . Il écrit dans son règlement pour les Petits frères : « En portant au sein des nations infidèles leur autel et leur tabernacle, ils sanctifient silencieusement ces peuples, comme jésus à Nazareth sanctifia en silence le monde pendant 30 ans…Leurs fraternités, dédiées au Sacré-Cœur de Jésus, doivent comme lui rayonner sur la terre et « y porter le feu » . Plus explicitement, à propos de l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement prescrite dans les Fraternités , il note : « Par cette présence de Notre Seigneur toujours exposé dans la Sainte Hostie, les peuples environnants sont merveilleusement sanctifiés : ainsi fut sanctifiée la maison de Saint Jean par Notre Seigneur encore dans le sein de la Sainte Vierge ». Justifiant l’établissement des Fraternités en terre de mission et leur choix d’une présence « muette », il se réfère à la Visitation : « N’ayant pas reçu de Dieu la vocation de la parole, nous sanctifions et prêchons les peuples en silence comme la Très sainte Vierge sanctifia et prêcha en silence la maison de Saint jean en y portant Notre Seigneur et en y pratiquant Ses vertus » .
Signe de la place toute particulière que le Frère Charles fait à cette scène de la Visitation, il la dessine lui-même sur un grand panneau qu’il installe dans la chapelle de Beni-Abbès, aux côtés du panneau central du Sacré-Cœur et avec comme pendant le panneau représentant la Sainte famille à Nazareth.
Méditation des Ecritures
Ecrite à Nazareth en 1898, sa méditation sur l’évangile selon St. Luc consacre deux pages à la scène de la Visitation et s’arrête d’abord à la démarche de Jésus qui, de proche en proche, sanctifie de plus en plus de monde : « par la Visitation Vous allez sanctifier Saint Jean et Sa famille » . C’est Lui, Jésus, qui a l’initiative, qui prend les devants et le frère Charles de s’émerveiller de ce que par une autre Marie – Marie de Bondy ?- Jésus soit venu à lui et l’ait choisi, franchissant tous les obstacles . Le Frère Charles tire de sa lecture un appel à imiter Jésus qui « va au-devant des âmes « et à être l’un de ses instruments comme l’a été Marie : « Jésus se fait porter par elle au milieu de ceux qu’il veut sanctifier et la fait rester parmi eux , l’ayant en elle et menant dans cette famille une vie toute parfumée de toutes les vertus évangéliques …Porter le Saint Sacrement parmi les peuples infidèles et y vivre à l’ombre du Tabernacle, en donnant à ces peuples, outre le bienfait infini de la présence de Jésus, le bienfait de la pratique des vertus évangéliques , voilà le bien que peuvent faire aux âmes du prochain…ceux qui sont voués à la vie cachée ».
Dans ses Considérations sur les fêtes de l’année , l’un de ses tout premiers écrits spirituels, le Frère Charles aborde avec d’autres mots le contenu de cette scène évangélique au cœur de la fête de la Visitation célébrée alors le 2 juillet . Il y redit d’abord qu’à travers la démarche de Marie, c’est Jésus et sa charité qui sont à l’initiative : » C’est Jésus qui, à peine entré en vous, a soif de faire d’autres saints et d’autres heureux », puis il revient – de manière qu’on jugera délibérément partiale- sur le but de la démarche de Marie : elle n’est ni une visite à sa cousine « pour se consoler et s’édifier mutuellement » et « encore moins une visite de charité matérielle » ; Marie part pour « évangéliser et sanctifier St Jean non par des paroles mais en portant en silence Jésus auprès de lui, au milieu de sa demeure ». Pour Frère Charles la Visitation est vraiment sa fête, comme celle des religieux et religieuses contemplatifs en pays de mission qui viennent pour « évangéliser et sanctifier les peuples infidèles, sans paroles, en portant Jésus au milieu d’eux en silence ; en le portant dans la sainte Eucharistie… dans la vie évangélique dont ils donnent l’exemple et dont ils sont les vivantes images » . La Visitation est fête de tous ceux qui communient et ainsi portent, comme Marie, Jésus en eux. Elle est enfin la fête des voyageurs appelés, à l’exemple de Marie, « à marcher, dans les voyages que nous ferons sur la terre et dans le voyage de la vie, les yeux sans cesse fixés sur Jésus qui illumine notre âme comme une gerbe de feu ».
Retraites
Portant en lui cette page d’évangile , Charles de Foucauld y découvre que sa vocation à la vie cachée de Nazareth n’exclut pas l’apostolat . Dans sa retraite de 8 jours durant son séjour à Nazareth – dite « retraite à Ephrem »- , en 1898¸ alors que se dessine un tournant qui l’oriente vers le sacerdoce, il note dans sa méditation de Lc 1,39 , en faisant parler le Christ : « Je dis aux âmes de silence, de vie cachée : toutes , travaillez à la sanctification du monde, travaillez-y comme ma mère …allez établir vos pieuses retraites au milieu de ceux qui m’ignorent…portez-y l’Evangile …en le prêchant d’exemple ; apportez-moi au monde comme Marie m’a porté à Jean « .
Dans la retraite qu’il a faite pour se préparer à l’ordination sacerdotale , en 1901, parmi les 18 citations de l’évangile de Luc qu’il recopie , le frère Charles ne manque pas de retenir une phrase du récit de la Visitation : « Marie se levant, s’en alla en hâte » ; phrase qu’il reprend dans l’élection conclusive de cette retraite , avec ce commentaire : « Quand on est plein de Jésus, on est plein de charité ». Et c’est « cum festinatione » , c’est-à-dire « en hâte » , comme Marie, , que Frère Charles envisage de partir là où l’Esprit-saint le poussera .
Conclusion
On le voit , Charles de Foucauld a un point de vue particulier sur cette scène de la Visitation ; il ne retient pas l’allégresse de Marie dans son Magnificat , ni d’abord son élan de charité à l’égard de sa cousine âgée, ni même la simplicité et la spontanéité toute humaine de sa démarche : il s’arrête à la dimension missionnaire , à l’attitude profonde qui inspire celle qui porte en elle le Sauveur , celle qui permet à celui-ci de se porter au-devant des hommes . On peut penser que la méditation de ce récit , dans ses années de Nazareth , a puissamment aidé Charles de Foucauld à préciser sa vocation . Comme le souligne Andrea Mandonico, dans le chapitre de son livre Testimoni dell’Emmanuele « ( Témoins de l’Emmanuel) intitulé « Nazareth : Visitation . L’intuition nazarethène de la mission « : « Le mystère de la Visitation lui a permis d’unifier la vie cachée avec l’apostolat : il a compris qu’il était appelé à collaborer à l’œuvre de la rédemption à la façon de la Vierge dans le mystère de la Visitation » (p.85).
On peut conclure, avec Michel Lafon : « « Forts de la conviction que Jésus, vivant en nous, agit par nous à travers toutes nos relations humaines, allons au-devant de nos frères « ( Prier 15 jours avec Charles de Foucauld .p .57)
Alain FOURNIER-BIDOZ
Œuvres de Charles de Foucauld citées dans cet article ( aux éditions Nouvelle Cité)
- Considérations sur les fêtes de l’année
- La Bonté de Dieu . Méditations sur les Saints Evangiles (1)
- Crier l’Evangile . Retraite de huit jours à Ephrem (1898). Election faite à Nazareth (1900)
- Seul avec Dieu . retraites à Notre-Dame des Neiges et au Sahara
- Règlements et directoire
PDF: Visitation Ch De F