ODETTE PREVOT, MARTYR DE LA ESPERANCE
Il est bien connu de tous ceux qui ont suivi le processus de béatification que notre congrégation des Petites Sœurs du Sacré-Cœur, de Charles de Foucauld, ne la souhaitait pas, mais nous avons toujours voulu rester solidaires du groupe des congrégations concernées.
Plusieurs raisons ont motivé ce non-souhait de la béatification. Les deux motivations les plus connues sont le sort de tout le peuple algérien, et notre désir de discrétion, en lien avec notre vocation à la suite de Charles de Foucauld. La troisième, la moins connue, et qui « comme prieure » m’a toujours tenue à cœur, c’est que dans l’attentat qui a coûté la vie à Odette, il y avait aussi Chantal, l’unique rescapée d’un attentat contre des religieux de cette période. C’est de l’ordre du miracle qu’elle en soit sortie vivante, ainsi que la manière dont elle a pu intégrer cet attentat dans sa vie, même si son corps et son être en resteront marqués à jamais.
Puisque le titre de « martyr » est incontournable dans la béatification, pour nous Odette sera Martyr de l’Espérance, de « l’Espérance du Salut ». C’est en lien direct avec la réalité de ce que fut sa vie et sa vocation de petite sœur du Sacré Cœur, de Charles de Foucauld et que rejoignent trois numéros de nos constitutions, qui nous ont toujours marquées profondément :
- « Elles » font du salut des hommes l’œuvre de leur vie »
en se laissant sauver elles-mêmes,
avec un peuple en marche,
dans la conscience des liens profonds
qui unissent tous les hommes entre eux dans le Christ. » (N°11) - « Les petites sœurs sont envoyées aux hommes les plus éloignés, […]
pour vivre, avec eux, l’espérance du salut. Elles n’ont pas d’autre œuvre à réaliser dans l’Eglise. (N°50) - « Leurs propres faiblesses
reconnues devant leurs frères et livrées à Jésus
seront signes d’espérance pour les pauvres. » (N°74)
Odette était quelqu’un de douée intellectuellement, très pédagogue et généreuse ; elle a aidé de nombreux enfants et jeunes pauvres du quartier dans leurs études, avec l’espoir qu’ils s’en sortent dans leur vie…La rencontre avec l’Islam a marqué profondément son chemin spirituel. Odette était aussi connue comme ayant une personnalité forte, avec un tempérament plutôt difficile et abrupt. Elle portait en elle, comme chacun de nous, les blessures de son histoire qui faisaient d’elle une femme, inquiète, n’ayant pas très confiance en elle….mais « habitée par Quelqu’un qui la conduisait.»1
Les deux dernières années, dites « les années noires », Odette entrera davantage, dans une évolution intérieure d’apaisement qui a été bien remarquée par tous ceux qui l’ont côtoyée. Deux facteurs ont contribué à cela :
- Le travail de connaissance sur elle et son histoire, en communauté et poursuivi personnellement. Elle l’a vécu comme un travail de libération intérieure
- La situation tragique du peuple algérien et le discernement, demandé par Monseigneur Tessier à tous les religieux présents en Algérie, de « rester ou partir » l’ont centrée sur les points essentiels de sa vie et de sa vocation à la suite de Jésus, spécialement dans sa dimension Eucharistique
Odette tout au long de sa vie a dû apprendre à espérer en elle-même, de la même manière qu’elle a appris à espérer dans le peuple algérien, raison pour laquelle elle a choisi de rester dans ces circonstances dangereuses. Croire dans les autres, croire en soi et ne pas désespérer c’est souvent de l’ordre du martyre quotidien dans nos vies…
Finalement la sainteté et le bonheur des béatitudes, n’est-ce pas cela avant tout autre chose ? Croire en Celui qui espère en nous, si nous Le laissons faire et agir sans cesse en nous, malgré « les travers » de nos tempéraments et les situations chaotiques du peuple et de la société où nous vivons ?
Etre témoin de l’Espérance en Christ Ressuscité, ne signifie pas être délivré de toute inquiétude face à l’avenir. C’est parce qu’Odette était de nature inquiète que nous mesurons davantage l’importance qu’a pu avoir durant ses dernières années, la prière qu’elle portait sur elle, comme un viatique, au moment de l’attentat :
« Vis le jour d’aujourd’hui, Dieu te le donne, il est à toi.
Vis le en Lui.
Le jour de demain est à Dieu, Il ne t’appartient pas.
Ne porte pas sur demain le souci d’aujourd’hui.
Demain est à Dieu, remets-le-Lui.
Le moment présent est une frêle passerelle.
Si tu le charges des regrets d’hier,
de l’inquiétude de demain,
la passerelle cède et tu perds pied.
Le passé ? Dieu le pardonne.
L’avenir ? Dieu le donne.
Vis le jour d’aujourd’hui en communion avec Lui
Si nous n’avons pas souhaité cette béatification, nous la recevons aujourd’hui avec reconnaissance, comme un signe que Dieu nous envoie à nous, les Petites Sœurs du Sacré Cœur, de Charles de Foucauld, pour continuer à vivre notre vocation de guetteur d’Espérance dans nos propres histoires personnelles, de congrégation et de la société où nous vivons …… Et cela en communion avec tant d’hommes et de femmes qui vivent de diverses manières cette vocation de guetteur d’Espérance dans leur propre vie et dans la société.
Isabel Lara Jaén,
Prieure des Petites Sœurs du Sacré Cœur,
de Charles de Foucauld