Cette affirmation du philosophe Emmanuel Levinas révèle d’emblée toute l’importance qu’il donne au visage.
« Le visage parle » « Dans l’accès au visage, il y a certainement aussi un accès à l’idée de Dieu » (dans son livre : Ethique et Infini)
Le visage est une terre que l’on n’a jamais fini d’explorer. Il ouvre au mystère.
Quand je prends le RER de bon matin, en particulier le lundi, je n’en finis pas de regarder avec sympathie les visages de tous ceux qui, pour la plupart, reprennent le travail : visages fatigués, endormis, préoccupés, rêveurs. Visages recueillis qui écoutent de la musique, visages attentifs à la lecture d’un journal, visages amoureux transfigurés…
Je présente tous ces visages à notre Père du ciel et de la terre. Que sa miséricorde s’étende à la vie de chacun et de chacune. Qu’ils se sachent aimés par Celui qui attache tant de prix à leur vie. Je commence la prière du « Notre Père » sans jamais pouvoir aller plus loin que cette première parole. Il me suffit de voir dans ces visages Celui dont nous sommes tous les enfants bien aimés.
L’expérience m’a appris à regarder d’abord dans un visage ce qu’il y a d’universel en lui. J’ai devant moi un être humain, un citoyen du monde, un habitant de la planète. Les différences viendront après : qu’il soit de tel pays, de telle culture, de telle religion. Qu’il soit noir ou blanc, préfet ou migrant, général ou prisonnier…
L’être humain est premier. C’est lui qui s’impose à moi. Il est là avec sa dignité. Une dignité qui lui appartient et que personne ne peut lui prendre. Sa conscience est un sanctuaire sacré inviolable. (Vatican II). Dans l’Evangile, la seule attitude qui puisse libérer quelqu’un, c’est de reconnaître sa dignité.
Un soir, à table, je faisais part de mon passage à la prison au cours de l’après-midi. Je rendais visite à un détenu qui voulait me voir. Aussitôt mon voisin de table me demanda :
« Qu’est-ce qu’il a fait ? »
« Je n’en sais rien. Je ne pose jamais cette question à un prisonnier. »
Un autre intervint : « Est-ce qu’il est catholique ? »
« Je ne sais pas. Je n’ai pas posé non plus cette question. »
Intrigué, un troisième interrogea :
« Alors, de quoi avez-vous parlé ? »
« J’ai écouté un homme qui avait une souffrance à me partager »
L’important n’est pas d’être d’abord renseigné sur le passé d’un détenu pour savoir à qui on a affaire, mais d’accueillir sans préjugés, ce qu’il veut me partager.
J’évoquerai quelques rencontres de femmes et d’hommes qui ont croisé un jour mon chemin. Ils ne se réclament d’aucune religion, se sont rendus proches de leurs frères en humanité avec les mots et les gestes de l’amour, et un sens aigu de la justice. Ils ont été confrontés à la mort.
Il y a en nous plus grand que nous
Françoise est morte subitement. Son corps a été transporté à l’Institut médico-légal. Elle n’avait pas quarante ans. SDF, longtemps femme battue, elle avait rencontré Jean-Claude qui la respectait et prenait soin d’elle. Tous deux étaient des gens de la rue, vivaient dans la précarité, fréquentaient les Restos du cœur.
Ils ne pouvaient pas se parler sans crier, se disputaient tout le temps mais s’adoraient et n’arrivaient pas à se passer l’un de l’autre. Jean-Claude qui n’est pas croyant, me demande de venir faire une bénédiction à Françoise avant qu’elle ne soit mise dans le cercueil. Il ne veut pas que « sa » Françoise soit enterrée sans qu’il y ait une bénédiction de ma part.
Arrivé à l’Institut médico-légal, je vois Françoise revêtue d’un beau manteau tout neuf. Son visage reflète la paix. Je passe mon bras sur l’épaule de Jean-Claude qui sanglote. « C’est moi qui venais de lui offrir son manteau » me dit-il.
Je prie Dieu à haute voix, fais une bénédiction avant que le cercueil ne se referme. Puis c’est le long trajet qui nous mène au cimetière situé en banlieue.
A l’endroit réservé aux personnes qui n’ont pas de tombe, trois femmes des Restos du cœur se tiennent là, avec des fleurs à la main.
Au moment du dernier adieu, Jean-Claude prend la parole avec émotion : « Ma Françoise, je t’aime de tout mon cœur. Ma chérie, tu es tout pour moi. Je reviendrai te voir. Je te payerai une belle tombe. Je t’embrasse. »
Au café du coin, nous prenons un verre. Jean-Claude me dit : « C’était bien ce que j’ai dit tout-à-l ’heure à Françoise ? »
« C’était très bien parce que tu as su parler avec tendresse et émotion. J’en avais les larmes aux yeux.
Ces liens d’amour que tu as tissés avec Françoise ne tomberont pas dans l’oubli. Ils trouveront un prolongement après la mort. Je crois qu’il y a en nous plus grand que nous. »
L’avenir est ouvert
Une femme anticléricale, dont je n’ai jamais connu le visage, m’écrivait des lettres qui exprimaient tout le mal qu’elle pensait de l’Eglise catholique en général et du pape en particulier. Son vœu était de voir l’humanité débarrassée du fléau des religions.
En lui répondant, je prenais soin de ne pas me situer sur son terrain : celui de la critique. Pressentant sa nature rebelle et son attachement à la justice, je préférais lui parler de mes engagements. Peu à peu cette femme en vint à me parler d’elle. J’appris ainsi qu’elle était juive et avait beaucoup souffert pendant la Seconde Guerre mondiale, sans cesse obligée de se cacher avec ses fils. Elle ne supportait pas l’injustice et la combattait avec passion.
Bien que très âgée, elle gardait intact son esprit anticlérical. « Communion, confirmation furent pour moi des pièces de théâtre que je jouais sans aucune pensée religieuse ; je ne pouvais accepter ce que prêtres et religieuses de Sion voulaient imprimer en moi et je voyais avec effarement certaines de mes compagnes prier avec conviction. Croire est un peu comme une lourde charge que l’on dépose à terre et qui ainsi vous aide à vivre : moi qui ne crois à rien, je me sens légère ce cette incroyance. »
Atteinte d’un cancer généralisé, elle se savait condamnée.
« Cette mort prochaine ne change rien à ma façon d’être. Je cherche toujours à apprendre comme si l’avenir m’était offert. J’ai demandé que l’on vous écrive pour vous prévenir de mon trépas. Surtout pas de prières. Ce serait me faire injure. Halte aux jérémiades ! Mes pensées vont souvent vers vous… »
Pour ces quatre-vingt-dix ans, un rassemblement de famille eut lieu chez un de ses fils. Celui-ci m’écrivit pour me demander une faveur : téléphoner à sa maman le jour de son anniversaire quand toute la famille serait réunie.
Au jour et à l’heure dite, la surprise du coup de fil lui fit grand plaisir.
Elle avait de l’affection pour moi. Après avoir revu ses enfants et petits-enfants, le temps était venu pour elle de prendre congé des siens. Je fus prévenu.
La disparition de cette femme rebelle me causa de la peine. J’avais moi aussi de l’affection pour elle. J’admirais son courage et sa droiture :
« Cette mort prochaine ne change rien à ma façon d’être. Je cherche toujours à apprendre comme si l’avenir m’était offert. »
Paroles magnifiques pour une femme de quatre-vingt-dix ans ! Sa vie est habitée par « le souffle ». Quand on aime la vie, elle devient une aventure, un risque. Elle est une quête jamais achevée.
L’Esprit-Saint agit dans le cœur de toute personne. (Vatican II)
Cette femme est morte comme elle avait vécu. N’y a-t-il pas une manière de vivre et de mourir qui ne conduit pas à la mort ?
« Ma vie est à réinventer »
Une femme est venue me voir alors que je logeais dans le grand squat de la rue du Dragon en plein Paris. Son visage était empreint de tristesse.
« Je vous dérange. J’aurais pu aller frapper autre part. Mais si c’est pour entendre le genre de discours habituel, ça ne m’intéresse pas. Je le connais par cœur.
Vous êtes au courant de ce terrible attentat à la station du métro Saint- Michel. Ma fille se trouvait là par hasard. Elle a été tuée sur le coup. Depuis, tout a basculé. Je suis complètement perdue. Je suis venue vous demander si vous, Jacques Gaillot, vous croyez qu’après la mort, il y a quelque chose ? »
« Oui, je crois qu’après la mort, quelqu’un m’attendra et m’accueillera : le Christ lui-même. Pour moi la vie ne s’arrête pas à la mort. Elle est un passage. J’entrerai dans la Vie. Nous sommes faits pour être des vivants, et des vivants dès maintenant. Je me sens relié à toutes les personnes connues et aimées qui sont mortes. Le lien de l’amour subsiste. C’est une longue chaîne entre la terre et le ciel. Nul ne saurait la rompre. »
« J’aimerais croire comme vous, mais je ne suis pas croyante. Bien sûr j’ai été baptisée. J’ai quelque fois essayé de prier ; mais je ne sais pas. Dans mon désespoir, je me surprends à parler à Dieu. Mais est-ce bien à lui que je m’adresse ? »
« Je parle à Dieu moi aussi dans la prière, comme dans une conversation. Ce matin avant votre arrivée j’ai parlé à Dieu : « Donne-moi d’être proche de ceux que je vais rencontrer aujourd’hui. Que l’amour qui vient de toi touche leur cœur. »
Voyez, sans même vous connaître je vous ai déjà confiée à Dieu. »
« Ma fille, elle, vivait avec intensité le moment présent. Et moi, je ne vis plus ; je n’ai le goût à rien. J’ai le sentiment d’être entrée dans la mort. Je travaille parce qu’il le faut bien. A la maison, avec mon mari et mon autre fille, nous ne parlons plus de ce drame. C’est tabou, alors que c’est la seule chose qui compte. Nous avons peur. Nous nous jouons la comédie.
Elle me tendit le bras où je pouvais voir la montre de sa fille que l’on avait retrouvée. Elle l’avait mise en place de la sienne, comme si, à travers ce simple objet, la vie pouvait repartir.
« Je voudrais vivre comme elle. Mais je ne peux pas. »
« Vous reconnaissez en elle ce que vous voudriez vivre. Votre fille vous appelle à vivre. »
« Ma vie est à réinventer. »
D’un commun accord, nous sommes partis déjeuner ensemble. Elle n’avait plus tellement besoin de parler. Je la regardais manger. J’avais plaisir à la voir reprendre des forces pour la route.
Puis nous nous sommes séparés. Je la vis se fondre dans la foule.
L’église Saint-Germain-des-Prés était proche. J’y suis entré pour aller prier : « Seigneur, cette femme que tu aimes est dans le désarroi. Guéris sa blessure, donne-lui la force de réinventer sa vie. »
Quelques mois plus tard, à l’occasion de la fête de Noël, elle m’envoya une magnifique carte avec ses simples mots :
« Je reprends goût à la vie. »
Ces paroles m’ont donné joie et réconfort. L’important n’est-il pas d’être des vivants, aujourd’hui, avant la mort ? Sa fille qui a trouvé la mort au métro Saint Michel aimait la vie, l’amitié, la rencontre, le partage. Elle vivait intensément le moment présent. La vie valait la peine d’être vécue. On peut dire qu’elle a dansé sa vie !
Sa mère reprend goût à la vie. Comme sa fille, elle aura un visage qui sourit à la vie. Elle aimera l’amitié, la rencontre, au risque d’étonner son entourage. Elle prendra soin de la vie des autres avec tendresse.
La spiritualité est un art de vivre, une sagesse qui donne du sens et qui inspire nos choix et nos engagements.
Etre spirituel, n’est-ce pas avoir trouvé son propre souffle ?
L’humain d’abord
Dans le célèbre cimetière parisien du Père Lachaise, la foule se presse sous la coupole du crématorium. Celui que tout le monde appelle par son prénom « Guy » nous rassemble autour de son cercueil. Guy est un militant toujours sur la brèche, un syndicaliste engagé, un athée convaincu, volontiers anticlérical. Comment oublier son langage truculent, ses indignations enflammées ?
Il est mort à quelques semaines de sa retraite. Je n’imaginais pas qu’il ait pu tenir une si grande place dans les cœurs de cette foule. Invité à prendre la parole, je me tournai vers le cercueil :
« Guy, notre ami, notre frère, toi l’homme au grand cœur, tu nous as surpris une fois de plus en nous quittant sans prévenir, sans rien dire… » J’évoquais un souvenir au début d’un repas à l’association des sans-logis, il s’était levé pour prendre la parole.
« Je vais vous dire ce qui fait la supériorité des incroyants sur les croyants. Les croyants agissent pour les autres en vue d’avoir une récompense dans le ciel. Nous, les incroyants, comme on ne croit pas au ciel, on n’attend pas de récompense. On agit pour les autres, tout simplement. Les autres nous suffisent. »
Guy était visiblement heureux de sa découverte. Et moi j’admirais sa finale. Elle était la signature de sa vie.
« Guy, notre ami, notre frère, toi l’homme au grand cœur, merci d’avoir été le joyeux compagnon de nos rencontres. Toi qui affirmais souvent « l’humain d’abord » merci d’avoir été du côté des opprimés. »
Quand Guy prenait la parole, je l’écoutais volontiers car il parlait bien de l’homme. En parlant bien de l’homme, il me disait quelque chose de Dieu, alors que les discours sur Dieu ne me parlent plus guère aujourd’hui.
Quand je le rencontrais pour partager un repas avec lui, je ne pouvais rester indifférent : il me tenait en éveil.
« Je ne voudrais plus voir le soleil se lever.
Je ne voudrais plus voir le soleil se coucher… »
Ainsi s’exprimait Jean-Pôl, 30 ans, dans un dernier poème qu’il me fit parvenir.
Il était comme un oiseau blessé qui ne savait pas où se poser. Libertaire, anticlérical, écorché vif, il se sentait mal dans sa peau. Il lui arrivait de toucher à la drogue et à l’alcool. Jean-Pôl connaissait ses fragilités et ses blessures, mais son cœur était plein de tendresse.
Je le rencontrais de temps en temps lors des manifestations des sans- papiers. Il aimait me parler. Un jour, il réalisa un souhait qui lui était cher : m’inviter dans un restaurant qu’il connaissait sur la colline de Montmartre. Ce soir-là, il était aux anges. J’étais heureux d’être avec lui, en face de lui. Dans sa fragilité, il m’apparaissait tellement humain ! Son visage était beau. Il me parla avec enthousiasme de son projet de partir prochainement pour la Dordogne avec sa compagne qui était tout pour lui.
Je n’imaginais pas que ce dîner serait un repas d’adieu. La Dordogne fut pour lui un échec et la séparation d’avec sa compagne un drame. On retrouva Jean-Pôl pendu à un arbre.
Quelques jours après, je reçus sa dernière lettre accompagnée d’un poème.
« Eh bien voilà, c’est fait. J’ai décidé de débarrasser cette putain de terre de mon mal-être…J’ai mal, tu sais. Je suis une boule de haine. Je suis arrivé pourtant en Dordogne avec plein d’espoir.
Le cynisme m’habite. Je me hais. J’aurais tant voulu être utile, mais tout ce que j’ai vécu est pitoyable.
Je m’en veux mon cher Jacques, de te faire de la peine. Mais que veux-tu, tu es la seule personne à qui je peux me confier. »
Une étoile s’est éteinte.
Le suicide de Jean-Pôl est un cri à la vie qu’il nous lance. Il aurait tant voulu vivre, aimer et être aimé !
Je pense qu’il n’existe pas de relations simplement horizontales qui seraient coupées d’une relation à Dieu. Une rencontre humaine vraie est déjà riche de la vie même de Dieu.
Ce poème de Paul Eluard, comment ne pas le dédier à Jean-Pôl ?
La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin
Une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler
Faim à satisfaire
Un cœur généreux
Une main tenue
Une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie,
La VIE à se partager.
Aller jusqu’au bout
Jean-Jacques est avocat, un ami proche depuis plus de trente ans. Malade, Il est parti vite, sans inquiéter personne. Je lui avais téléphoné peu de temps auparavant pour prendre des nouvelles de sa santé. Il m’avait répondu : « Je suis en voiture. Je vais à la prison de Fresnes pour voir Marina. »
Marina est une Italienne, en grève de la faim, menacée d’extradition dans son pays. Je me disais en moi-même avec admiration :
« Jean-Jacques est malade. Il a quatre-vingt ans passés. Quel courage de prendre sa voiture et d’aller voir en prison une femme en détresse ! »
Tel était Jean-Jacques. Il allait vers les gens. Il ne mettait pas de limites.
Défenseur sans frontières des droits humains, avocat des minorités, il défendait pendant la guerre d’Algérie, les militants algériens en prison qui luttaient pour l’indépendance de leur pays. Il défendait les Canaques de la Nouvelle-Calédonie, les paysans du Larzac, les objecteurs de conscience, les militants anti OGM (organisme génétiquement modifiés), les chômeurs, les prisonniers Kurdes, basques ou italiens menacés d’extradition. Que de fois Jean-Jacques m’a dit : « Tu ne pourrais pas venir au tribunal ? Ce serait bien que tu sois là. »
Jean-Jacques m’a appris à reconnaître la grandeur de l’homme qui peut se passer de Dieu
Au cimetière du Père Lachaise, dans la chaleur moite d’un après-midi d’août, la foule se presse au crématorium.
Quand mon tour fut venu de prendre la parole, j’étais gagné par l’émotion : « Jean-Jacques, toi que nous aimons, tu n’as cessé de sortir, pour te porter là où des femmes et des hommes étaient en danger. Jusqu’à la fin de ta vie, tu auras rencontré l’être humain opprimé. Tu n’iras pas plus loin. »
« Toi, l’avocat des opprimés, tu as été une espérance pour les pauvres. »
« Moi, je les aime tellement que je les trouve beaux »
Il y a longtemps, je visitais une maison pour personnes ayant de lourds handicaps, dans un village de Normandie. Un éducateur m’accompagnait dans les différentes salles. Je passais à côté de ces corps désarticulés, ces visages défaits dont on aurait dit qu’ils étaient revêtus d’un masque de laideur. Leurs cris m’étaient insupportables.
J’étais troublé et mal à l’aise. L’éducateur qui s’était aperçu de mon trouble me regarda et me dit cette parole extraordinaire que je ne saurais oublier : « Moi, je les aime tellement que je les trouve beaux. »
Cette parole me transperça. Un chemin s’ouvrait à moi pour me faire découvrir mes propres fragilités. Je compris qu’aimer ce n’était pas faire des choses pour quelqu’un, c’était lui révéler qu’il était beau. On a raison de dire que le bonheur, c’est de se savoir beau dans le regard des autres. Cet éducateur avait un cœur de « chair » et non par un cœur de « pierre ». Il était capable de trouver les gestes et les mots pour dire à chacun et chacune : « Tu es important ! Je t’aime. Avec tes blessures, tes fragilités, tu peux grandir et être toi-même. »
Ces rencontres de la vie quotidienne sont une invitation à demeurer proche de l’humain et des réalités sociales
Elles rendent attentifs à la dimension du divin qui s’ouvre à partir du visage.
C’est en acceptant de passer par l’humanité des autres, avec toute leur épaisseur, que l’on peut s’ouvrir au mystère de Dieu.
Ce n’est pas la spiritualité du « Dieu et moi » qui court-circuite les autres. Une spiritualité désincarnée mène à l’impasse.
La spiritualité de l’Evangile n’invite pas à l’isolement, mais à la solidarité. « Le Verbe s’est fait chair et Il a habité parmi nous ».
La spiritualité ne se construit pas hors des bouleversements et des conflits de la société, mais avec ceux qui souffrent et qui luttent pour avoir le droit d’être eux-mêmes. Car il s’agit de construire un monde dans lequel chacun existe pour l’autre