CAMEROUN, Grégoire CADOR, Homélie du 15 août 2015

Nous sommes montés ce matin ! En ce jour de l’Assomption qui signifie littéralement « montée en Dieu », nous sommes montés à la suite de Marie qui monte, non plus chez sa cousine Elisabeth. Arrivée au terme de sa vie terrestre, Marie « monte dans la gloire de Dieu »… Sa vie est « assumée » par Dieu…

Nous sommes montés aussi, à la suite de Baba Simon qui, au cours des 16 années dernières années de sa vie qu’il a passées chez nous, montait chaque mois en ce lieu pour vivre sa « journée de désert » selon les règles de la fraternité Jésus-Caritas à laquelle il appartenait et dont il était le fondateur au Cameroun et en Afrique…

Permettez-moi de saluer ici nos frères prêtres venus des diocèses de Goré, Moundou, Laï et Sarh au Tchad, du diocèse d’Edéa au Cameroun et du diocèse de Maroua pour célébrer avec nous les 40 ans du passage en Dieu de Baba Simon…

Nous sommes montés aussi avec le P. Christian, notre actuel pasteur pour, avec lui, dire merci à Dieu pour sa présence fidèle à nos côtés depuis 40 ans…

40 ans dans la Bible c’est le temps de la maturation, du cheminement pour la conversion (ce que nos frères musulmans appellent le ‘grand djihad’)… C’est le temps de la constitution et de la reconstruction d’un peuple qui, d’esclave qu’il était, devient peuple libre, près à entrer en Terre Promise…

Nous sommes montés ensemble pour contempler l’œuvre entreprise et faire le point en vue des prochaines années…

Si nous avions la possibilité de remonter le temps… nous verrions ce qui se passait dans le cœur des habitants de Kudumbar il y a exactement quarante ans aujourd’hui… ! La nouvelle venait de tomber : Baba Amta !…

Panique générale… Baba n’est plus là, Tokombéré est mort ! Deuil, consternation… On avait enterré Baba Simon à des centaines de kilomètres de ce qui était devenu le « chez lui » et qui est le « chez nous » ! Personne n’avait eu le temps de faire le déplacement, pas même Mgr de Bernon bloqué dans la brousse de Mokolo par la saison des pluies et une panne de voiture… Jean-Marc non plus n’était pas là pour nous aider à faire le deuil… Au-delà de l’absence d’un cadavre à enterrer qui est une épreuve insupportable dans les traditions d’ici…, nous ne reverrions jamais Baba… Lui qui s’était battu de toutes ses forces pour nous rendre notre dignité bafouée et nous permettre d’entrer dans la modernité la tête haute, ne reviendrait jamais… Nous étions perdus !

Réaction bien compréhensible… mais qui dénote un manque de foi ou plutôt une foi mal placée… Ce n’est pas en lui que Baba Simon nous invitait à mettre notre foi mais bien en Jésus-Christ qui nous conduit au Père…

Quelques mois plus tard, en novembre 1975, le P. Christian venait déposer définitivement ses valises à Tokombéré, rejoignant Jean-Marc Ela, les sœurs Servantes de Marie de Douala et les Demoiselles de la société de Jésus-Christ de Lyon, qui tenaient l’hôpital. Il venait, à son tour, apporter une pierre à l’œuvre entreprise…

40 ans après, il est encore là ! Nombreux sont les témoins de cette longue histoire d’amour qui sont encore parmi nous et pourraient la raconter. Il faudra le faire un jour…

Mais là non plus, ne nous trompons pas de Foi… Comme cela a été l’erreur de certains de mettre leur Foi en Baba Simon et donc de se décourager quand il est mort, il serait stupide de mettre notre Foi en Christian au risque de se décourager quand il s’en ira à son tour…

Charles de Foucauld qui fut le maître spirituel de Baba Simon ne disait-il pas, très justement : « Regardons les saints, mais ne nous attardons pas dans leur contemplation, contemplons avec eux Celui dont la contemplation a rempli leur vie. Profitons de leurs exemples, mais sans nous y arrêter longtemps ni prendre pour modèle complet tel ou tel saint, et en prenant dans chacun ce qui nous semble plus conforme aux paroles et aux exemples de notre Seigneur Jésus, notre seul et véritable modèle, en nous servant ainsi de leurs leçons, non pour les imiter eux, mais pour mieux imiter Jésus. »1

Aujourd’hui, disions-nous en commençant, Marie entre « dans la gloire de Dieu »… Cette entrée dans la gloire est le fruit – au sens de l’aboutissement normal – de sa démarche de foi et d’humilité… « Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. » Marie ne se glorifie pas elle-même, C’est Dieu qui la glorifie. En effet la Gloire appartient à Dieu seul et il la partage à qui il veut… Si Marie est accueillie, assumée, aujourd’hui dans la Gloire de Dieu c’est justement parce qu’elle a su reconnaître qu’elle n’était rien, permettant ainsi à Dieu de faire en elle de grandes choses : « Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! » Dépouillée d’elle-même et de toute suffisance, il n’y a, en elle, aucun obstacle à l’action de Dieu. Elle devient chemin de l’incarnation et canal de la grâce… Sa disponibilité sans réserve permet à Jésus de prendre toute sa place en elle… L’ayant reçu gratuitement elle pourra à son tour nous le donner gratuitement…

Marie est modèle de sainteté… pour chacun et chacune d’entre nous, aujourd’hui…

A nous aussi il est proposé de recevoir le Christ et de le donner au monde… Sommes-nous prêts à l’accueillir sans aucune réserve, à la manière de Marie ?

Ce Jésus que Marie nous donne, l’Apocalypse nous le présentait tout à l’heure comme « celui qui sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer. » Dans la deuxième lecture St Paul précisait : »Celui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. « 

Le Règne du Christ nous le savons n’est pas de ce monde. « Si ma royauté était de ce monde, dit Jésus à Pilate, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré. « 

La Royauté de Jésus, le Règne de Jésus c’est celui de l’amour et du don de soi. Son programme est simple : donner sa vie pour que le monde ait la Vie ! Et si les deux premières lectures nous parlaient de combat il ne s’agit pas d’un combat militaire au sens de celui que mènent si vaillamment nos soldats pour défendre nos frontières face à la barbarie.

Il s’agit du combat spirituel contre les forces du mal et de la division…

Ce combat s’enracine dans la fraternité universelle vécue au quotidien et ne se remporte que par le don de soi pour que l’autre ait la vie…

Nous avons la chance, dans ce domaine, de pouvoir faire mémoire de la vie exemplaire de Baba Simon qui « avec patience et sans compter » a donné toute sa vie pour nous montrer le chemin de la Vie…

Nous avons la chance d’avoir encore au milieu de nous l’exemple du P. Christian qui depuis quarante ans, contre vents et marées, est resté fidèle au poste et au don qu’il a fait de sa vie pour la promotion des populations de Tokombéré.

L’intérêt d’avoir un exemple vivant au milieu de nous c’est de comprendre qu’être saint n’empêche pas d’avoir aussi des limites et des défauts comme tout le monde…

Au lieu de nous décourager cela doit, bien au contraire, nous inciter à nous engager à notre tour, en toute humilité, conscients de nos limites, sur ce chemin de fidélité et de confiance en Dieu…

Vous connaissez tous le proverbe chinois : « le doigt montre la lune et l’imbécile regarde le doigt ! » …

Arrêtons de faire les imbéciles et de nous arrêter sur les défauts que nous aurons repérés chez Baba Simon, chez Christian ou chez tant d’autres qui se sont donnés pour nous indiquer le chemin du Salut et prenons-le ce chemin qui monte vers la gloire des enfants de Dieu que nous sommes.

Je voudrais terminer par cette affirmation de Baba Simon prononcée au soir de sa vie, dans une interview accordée à notre grand frère Jean-Baptiste en mai 1975 juste avant de quitter Tokombéré pour la dernière fois… Il disait : « Si le Christianisme continue à agir sur le Nord‑Cameroun, il y aura une solution, c’est à dire il y aura une vie sociale normale où tout le monde, musulmans, chrétiens, païens, vivra comme des frères, la main dans la main. » Voilà notre feuille de route !

Qu’attendons-nous, chrétiens de 2015, pour nous mettre à l’œuvre et faire fructifier un si bel héritage ?

Merci Baba Simon, merci P. Christian, de nous avoir ouvert les Portes de l’Avenir… et de nous indiquer le chemin de la Vie !

Comme Marie vous aussi vous avez « cru aux paroles qui vous furent dites de la part du Seigneur » et, comme Marie, vous vous êtes « mis en route vers les montagnes » non plus de Judée cette fois-ci, mais les montagnes du Nord-Cameroun pour y faire retentir la Bonne Nouvelle au cœur des traditions locales…

Puisse Dieu un jour vous accueillir avec Marie et vous faire entrer comme elle dans sa gloire…

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