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Mois : août 2021
La fraternité universelle. Fernando TAPIA
Fernando Tapia, pbro.
Traduction : Jean-Michel Bortheirie
«VOUS ÊTES TOUS FRÈRES » (Mt 23,8)
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La FRATERNITÉ est au cœur de l’Évangile. C’est la nouveauté que Jésus apporte dans une société très stratifiée, avec des esclaves et des hommes libres, des riches très riches et des pauvres très pauvres, des pouvoirs absolus et des peuples dominés au prix du sang et du feu, justes et pécheurs, etc. Jésus est très conscient de ces ruptures de fraternité et demande à ses disciples d’être différents : « il n’en sera pas de même entre vous(…) ; qui veut être le premier se fera le serviteur de tous » (Mt 20,27; voir aussi Mt 23, 8-11).
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La pratique évangélisatrice de Jésus est une semence de fraternité : il s’est rendu proche des publicains, des malades et des pécheurs (Mc. 2,15-17), il dialogue avec les Samaritains (Jn 4, 1-42), se laisse interpeller par une femme étrangère (Mt 15,21-28), etc. C’est-à-dire qu’il brise les murs qui séparaient en ces temps les êtres humains et se fait proche de ceux qui étaient méprisés et exclus, produisant en eux joie et espérance. Mais en même temps, cela l’a fait entrer dans un conflit croissant avec ceux qui voulaient maintenir les murs de séparation entre les êtres humains : scribes, pharisiens, prêtres du temple.
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Par sa proximité et sa compassion envers les exclus de la société de son temps, Jésus voulait rendre visible le fondement de la fraternité humaine : nous sommes tous des fils et des filles du même Père du ciel qui «fait lever son soleil sur les mauvais et les bons et fait pleuvoir sur les justes et les injustes » (Mt 5, 45). Dans le cœur de Dieu, il n’y a aucune discrimination. Nous sommes tous aimés de Lui, quelle que soit notre situation morale.
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Saint Paul a bien compris la nouveauté de l’Évangile prêché par Jésus et peut écrire aux Galates ces paroles audacieuses: « Par la foi en Christ Jésus,vous êtes tous des fils de Dieu. Vous tous qui avaient été baptisés en Christ vous avez revêtu le Christ, de sorte qu’il n’y a plus de Juif ni de Grec, ni d’esclave, ni homme libre, ni d’homme ni de femme, puisque vous êtes tous un en Jésus-Christ » (Gal 3,26-28). Les Communautés chrétiennes vivaient cette fraternité, surprenante pour l’époque de Paul, et c’est pourquoi elles étaient attrayantes et se multipliaient dans tout le bassin méditerranéen. Elles étaient vraiment « lumière du monde et sel de la terre » (Mt 5, 13-14).
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Le sacrement du baptême est alors le début de la vie fraternelle. Nous recevons comme graine la grâce de la filiation et de la fraternité, mais nous devons la cultiver sinon elle risque d’être infectée. Nous sommes des enfants de Dieu, mais nous devons nous faire enfants de Dieu chaque jour en cherchant et en faisant la volonté du Père. Nous sommes frères et sœurs, mais nous devons nous faire frères et sœurs en nous rapprochant les uns des autres chaque jour, en nous servant les uns les autres, en nous pardonnant jusqu’à soixante-dix fois sept fois.
LES RUPTURES DE FRATERNITÉ
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Cultiver la filiation et la fraternité est une tâche ardue dans notre société parce que celle-ci nous amène à être individualistes et compétitifs, égoïstes et agressifs, discriminants et excluants, solitaires et autosuffisants. Il suffit pour cela, d’écouter et de regarder les nouvelles à la télévision.
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Ministres de l’Évangile, nous pouvons facilement nous laisser infecter par ces virus qui circulent dans nos environnements sociaux et culturels et devenir « le sel qui perd sa saveur ou la lumière cachée sous un meuble » (cf. Mt 5, 13-15). Ce que le Seigneur attend de nous est exactement le contraire: « Que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu’en voyant vos bonnes actions, ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux » (Mt 5, 16).
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Le vaccin contre ces virus c’est de vivre notre ministère en fraternité, espérons-le depuis l’époque de notre formation initiale au séminaire. C’est un apprentissage qui purifie notre amour de l’égoïsme, de la rigidité, de la tendance à utiliser les autres à notre profit personnel. Il nous protège de l’angoisse, de l’amertume, de l’hyperactivité, des maladies psychosomatiques et des dépressions, qui sont le propre de qui doit toujours être le numéro 1 en tout, sans l’aide de personne.
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Si nous sommes honnêtes, nous devons reconnaître que nous ne pouvons pas vivre seuls, que nous avons besoin des autres, de compagnons, de conseils, de réconfort et de soutien. C’est pourquoi Jésus commence son annonce du Royaume nouveau, en formant une fraternité : les douze apôtres.
QUE RECHERCHE UNE FRATERNITÉ SACERDOTALE?
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Grandir ensemble à la suite de Jésus-Christ. Nous nous réunissons, comme les disciples d’Emmaus (Lc 24,13-35), pour retrouver le Ressuscité dans l’amitié, dans la révision de vie, dans le partage de la Parole, dans la fraction du Pain, dans la prière.
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Apprendre à être transparents, à faire confiance aux autres, à partager aux autres ce qui concerne ma famille, ma vie, mon argent, ma relation avec les hommes et les femmes, mes chagrins, mon besoin d’être soutenu. Apprendre à nous aimer et à nous confronter ; à être différents sans aller chacun de son côté. Nous ouvrir aux différences, accepter leur fait.
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Apprendre à faire corps, à être avec les autres tout en étant autre. Il ne suffit pas d’être, il faut appartenir, créer des liens. Apprendre à porter la vie des autres. Apprendre à vivre et à partager en toute égalité. Sortir des catégories supérieur-inférieur, dominant-dominé, protecteur-protégé qui sont partie des traits autoritaires que nous portons tous.
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Cette expérience se fait en petits groupes (4 à 6 participants) de telle sorte que chacun se sente écouté, accueilli, accepté, intégré. Nous nous aidons à être fidèles au ministère qui nous a été confié et à marcher ensemble sur les traces de Jésus, afin qu’Il soit le centre de nos vies, animés par son Esprit.
QU’EST-CE QU’IL FAUT FAIRE ?
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Décider de participer et de rejoindre les autres. Décider d’être vrai, de partager ce qui se passe réellement dans nos vies. Abattre ses défenses et se laisser regarder. Garder la confidentialité de ce qui a été entendu.
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Participer à la réunion mensuelle de la fraternité qui comprend le repos, le partage du repas, l’adoration eucharistique, la révision de vie, le partage d’Évangile et parfois la célébration de l’Eucharistie.
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Fidéliser sa participation car il faut du temps pour créer les liens. Accepter les frustrations que toute vie fraternelle peut avoir : l’absence de l’un ou l’autre, que l’on voudrait s’exprimer et pas de temps ou de possibilité de le faire, que certains prennent la parole plus longuement, etc.
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Vivre la fraternité au-delà de la réunion formelle, dans la mesure des possibilités de chaque prêtre. Je veux parler d’appels téléphoniques ou de visites gratuites pour savoir comment va l’autre, des salutations le jour de son anniversaire ou de l’anniversaire d’ordination, de la présence lorsqu’il prend en charge une nouvelle paroisse ou pour une autre nomination importante, d’une sortie en fraternité.
CHARLES DE FOUCAULD, LE FRÈRE UNIVERSEL
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Notre Fraternité Sacerdotale a comme figure principale inspirante le Bienheureux Charles de Foucauld. Nous suivons Jésus sur les traces de ce saint missionnaire. Comme lui, nous voudrions être des chercheurs passionnés de Dieu et nous laisser conduire par l’Esprit Saint, là où il veut nous emmener. Après sa conversion, il devient moine trappiste, puis fut employé par les religieuses clarisses et finalement fut prêtre diocésain missionnaire en Afrique du Nord. Son désir était d’imiter le plus étroitement possible Jésus de Nazareth, son frère et Seigneur, dans une vie de prière, de pauvreté et de disponibilité à celui qui en avait besoin.
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Son mode d’évangélisation était la fraternité universelle. Dans une lettre à un ami, il répond : « Vous voulez savoir ce que je peux faire pour les indigènes? Il n’est pas possible de leur parler directement de notre Seigneur. Ce serait les faire fuir. Il faut leur inspirer confiance, se faire des amis parmi eux, leur rendre de petits services, leur donner de bons conseils, se lier d’amitié avec eux, les exhorter discrètement à suivre la religion naturelle, leur montrer que les chrétiens les aiment. C’est ce qu’il appelle L’APOSTOLAT DE L’AMITIÉ. Peut-être certains d’entre nous ont-ils eu l’expérience de cette façon d’évangéliser des personnes non croyantes, agnostiques ou éloignées de l’Église.
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Ainsi, notre expérience de fraternité sacerdotale nous rend mieux préparés à être des créateurs de vie fraternelle tant à l’intérieur de notre presbytère ou de nos communautés chrétiennes qu’au niveau social. L’ermitage du frère Charles était ouvert à tous et à toute heure. Dans une lettre adressée à sa cousine Marie de Bondy, il lui disait : «Je veux habituer tous les habitants, chrétiens, musulmans, juifs à me regarder comme un frère. Ils commencent à appeler ma maison « la fraternité » et cela m’est très doux ».
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Il n’est donc pas étonnant que le pape François, qui travaille sans relâche pour la fraternité universelle, souligne à la fin de son encyclique Fratelli Tutti que le frère Charles a été la principale figure inspirante de cette lettre : « Je veux finir par le souvenir d’une autre personne de foi profonde qui, à partir de son expérience intense de Dieu, a fait un chemin de transformation jusqu’à se sentir frère de tous. Il s’agit du bienheureux Charles de Foucauld (…) le frère universel ».1
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Je crois que la pandémie nous a donné l’occasion de découvrir et de vivre la fraternité universelle par le travail de solidarité. Dans notre paroisse et dans de nombreuses paroisses, nous avons travaillé côte à côte croyants et non-croyants, catholiques, évangéliques et agnostiques pour alimenter des salles à manger paroissiales et des repas communs, pour livrer des paniers-repas, des affaires de toilette et des médicaments, etc. aux malades de covid, aux chômeurs, aux personnes âgées. Également pour travailler en réseau avec des municipalités, des centres de santé, des organisations sociales, des conseils de quartier, etc.
Conclusion.
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Nous avons cru en la parole de Jésus : «Vous êtes tous frères » et nous essayons de la vivre dans nos petites fraternités sacerdotales et d’être des artisans de fraternité dans notre environnement. Nous ne voulons pas être des groupes fermés, ou de simple entraide, qui se coupent des autres ou se croient meilleurs que les autres, comme une élite sacerdotale. Nous recherchons la vie fraternelle parce que nous nous savons fragiles et avons besoin des autres et parce que notre monde doit trouver des chemins de fraternité, comme le propose le pape François dans Fratelli Tutti. Notre fraternité est toujours au service de la Mission.
Santiago du Chili, juillet 2021
1 François, “Fratelli Tutti”, n.286 et 287
Charles de FOUCAULD, histoire d’une conversion
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1936. L’appel du silence
Écrit à popos des fraternités. 1980
Texte sur les fraternités probablement de 1980
Original fourni par un frère de la fraternité espagnole
RÉSUMÉ de nos échanges.
Charles de Foucauld écrivait à Béni-Abbès en 1902 : « Je veux habituer tous les habitants : chrétiens, musulmans, juifs et idolâtres à me regarder comme leur frère universel »
Ceci nous est apparu comme un élément essentiel de son message. Comment le vivons nous ? Voici quelques éléments importants que l’on peut retirer de nos échanges.
1) On en peut pas parler d’universalité sans être enraciné dans un milieu très concret comme le fut Jésus de Nazareth. La rencontre profonde dans l’amitié avec une personne bien réelle nous met en communion avec tout un milieu ou tout un peuple. Faisant nôtre tant de souffrances des pauvres nous nous unissons à ce qui est universel dans le cœur de l’homme. Ainsi pourra-t-on facilement, en toute situation, rencontrer l’homme universel.
2) Dans nos différents groupes – fraternités ou autres – nous faisons l’apprentissage de l’universalité dans le respect de la diversité des tempéraments, des manières de vivre, des situations, des options, etc.. Chacun ne choisit pas ses frères ou ses sœurs ; de même dans une famille des parents doivent accepter la diversité de leurs enfants. Savoir écouter semble essentiel pour accueillir l’autre dans son originalité.
3) Cette acceptation, pour être authentique doit s’approfondir dans la vérité dans la clarté, pour que chacun soit reconnu et admis dans ce qu’il est, dans son propre destin ou son engagement même si cela nous paraît excessif. La révision de vie en profondeur est nécessaire pour nous situer bien en face avec la vocation commune de notre groupe.
4) Vouloir vivre l’Universalité se fait souvent dans la souffrance parce que cela comporte des incompréhensions et des ruptures, rencontres d’obstacles, de tensions, voir d’impossibilités. Comment aimer les riches quand on souffre avec les pauvres ? Comment dans un cas concret arriver à pardonner ? Également quand nous sentons notre impuissance face aux énormes problèmes du monde. Tout cela nous oblige à vivre l’universalité dans l’espérance , soutenue par la prière. Quand tout nous dépasse c’est le moment de demander à Dieu qu’Il accompagne notre frère…
5) L’universalité ne nous est pas naturelle. Elle nous arrive seulement à travers le Christ ; c’est en Lui que nous rencontrons l’unité de tous les hommes. Dans la prière les barrières s’écroulent. l‘Eucharistie et l’offrande de la souffrance en union avec le mystère de notre salut, ont alors une efficacité de portée universelle.
6) Une action universelle est impossible. Mais notre cœur doit arriver à être universel : tous les hommes sont notre prochain ; notre responsabilité est engagée en faveur de chacun. Être universel ce n’est pas seulement le respect envers autrui, le pauvre, le non chrétien et même le musulman mais c’est aussi l’humilité qui permet d’apprendre de l’autre, d’être transformé et évangélisé par lui. Nous sommes tentés par l’autosuffisance qui nous empêche de renouveler nos relations humaines, de sentir que nous avons toujours besoin des autres ; Nous avons l’illusion de nous croire universel parce que nous possédons une vaste information : la culture intellectuelle n’est pas suffisante ; nous avons besoin d’humilité et de réalisme.
Les responsables des fraternités.
(Traduction de Jean-Louis RATTIER. Merci bien)
PDF: Écrit à popos des fraternités. 1980 fr
Les grandes puissances tiennent le parapluie sur le coup d’État au Myanmar. Arne WILLEMS
Tertio, 14 juillet 2021 (Hebdomadaire religieux de Flandres/Belgique)
La situation au Myanmar a complètement dégénéré depuis février. L’armée a déposé le gouvernement d’Aung San Suu Kyi et l’a arrêtée pour de nombreux délits présumés. Depuis lors, une guerre civile fait rage, les combats se succédant rapidement. Après l’attaque d’une église, le pape François a appelé à l’interdiction des sites religieux, un appel qui, jusqu’à présent, est tombé dans l’oreille d’un sourd. Walter Mensaert, spécialiste du Myanmar, apporte son éclairage sur le conflit.
Walter Mensaert est un agent de voyage expérimenté qui s’est spécialisé dans le Myanmar – l’ancienne Birmanie – depuis plus d’un quart de siècle. En tant qu’agent de voyage, il a de bons contacts dans le pays asiatique et ses pays voisins. Par le biais de correspondants locaux et de sites d’information, il suit de près la situation au Myanmar. « Il y a plus de 25 ans, nous nous sommes concentrés sur quelques pays asiatiques. Après quelques visites en Thaïlande, la Birmanie a attiré notre attention. La pureté du Myanmar contrastait fortement avec la commercialité des pays voisins. Cette authenticité est typique du pays. Mais il est aussi très instable, il est en guerre civile depuis plus de 70 ans : c’est la plus longue guerre du monde. Depuis ma première visite en 1995, le Myanmar a connu de bonnes périodes, mais aussi de nombreuses périodes sombres, et la plus sombre est maintenant à nos portes », estime M. Mensaert.
« Le Myanmar compte sept États où les minorités ethniques sont dominantes et sept régions plus centrales où les Bamars, les premiers habitants, constituent la majorité de la population. De nombreuses règles et lois sont discriminatoires à l’égard des Birmans non autochtones. Par exemple, les personnes issues de ces minorités ne peuvent pas accéder aux postes élevés de l’armée ou aux postes importants de la fonction publique : ceux-ci sont réservés aux Birmans authentiques. Le gouvernement d’Aung San Suu Kyi a essayé de changer cela et a mis davantage l’accent sur l’égalité. Cela a entraîné une grande protestation de la part de l’armée. L’armée birmane détruit les villages catholiques et fait fuir 100 000 habitants pendant la saison des pluies.
L’armée est maintenant au pouvoir après un coup d’État militaire. Pourquoi le gouvernement et l’armée sont-ils diamétralement opposés ?
« Vous ne pouvez pas comparer l’armée du Myanmar avec ce que nous connaissons en Belgique comme Défense. Ici l’armée est payée par le gouvernement, au Myanmar l’armée génère plus de revenus que le gouvernement. Ils tirent leurs revenus de l’exportation de matières premières : pierres précieuses, jade, gaz et pétrole. Cet argent donne à l’armée un grand pouvoir et provoque une lutte de pouvoir entre l’armée et l’État. De nombreux soldats sont des Birmans conservateurs et nationalistes, qui s’opposent aux groupes de population étrangers. Il existe également un mouvement conservateur de moines, qui ne veulent que le bouddhisme au Myanmar. Les deux mouvements ont toléré d’autres groupes de population et d’autres religions pendant des années, mais cela semble avoir pris fin. »
Plusieurs attaques contre des cibles chrétiennes ont déjà eu lieu au Myanmar. Y a-t-il une persécution des chrétiens ?
« Les catholiques se trouvent principalement dans les États de Kayah, Chin et Kayin. Dans l’État de Kayah – la région où vivent les longicornes – de violents combats ont lieu actuellement. Il ne s’agit pas d’une persécution des chrétiens. Il s’agit d’une lutte de pouvoir entre l’armée et les minorités, une tentative de faire passer leur programme nationaliste. La violence ne vise pas spécifiquement les chrétiens ; les Rohingyas, la minorité musulmane, souffrent également. L’un des facteurs importants est l’arrivée de centaines de milliers de Rohingyas du Bangladesh. Ils ne sont plus une minorité dans l’État de Rakhine, ce qui a provoqué des troubles au sein de la population et des autorités. »
La guerre au Myanmar fait toujours rage, mais les rapports ne parviennent qu’au compte-gouttes. Comment expliquez-vous cela ?
« Le signalement est un gros problème. Comme le pays est en proie à des troubles depuis des décennies, les livres publiés sont historiquement incorrects. Il est donc très difficile pour le monde extérieur de comprendre les problèmes du Myanmar. De nombreuses fausses nouvelles apparaissent, ce qui rend la situation encore plus difficile. Je suis de près Al Jazeera, la BBC et certaines agences de presse internationales, mais les reportages sont rares. En ce moment même, des publicités accrocheuses circulent pour les téléspectateurs birmans sur YouTube. L’un de mes correspondants, avec qui je travaille en étroite collaboration depuis 26 ans, m’a envoyé un message publicitaire : « Mon ami, je sais que tu es plein de sentiments et de mots coincés que tu voudrais exprimer, mais que tu ne sais pas à qui parler. Vous pouvez me parler. Je suis ton ami, Jésus. Il ne faut donc pas sous-estimer l’impact de tels messages sur la diffusion du catholicisme, en particulier parmi les jeunes effrayés et en quête d’identité. »
Le conflit s’éternise depuis des décennies. Pourquoi le feu s’est-il éteint le 1er février ?
« Covid-19 » a été le déclencheur, à mon avis. Il n’y avait plus de touristes dans le pays, l’économie a été durement touchée et l’armée a profité de cet élan pour fermer tous les aéroports et réaliser le coup d’État. Les accusations portées contre Aung San Suu Kyi sont ridicules : elle a notamment été arrêtée pour ne pas avoir porté de masque buccal. Février est normalement la haute saison touristique, maintenant – en l’absence de touristes et d’attention internationale – elle a été entachée par les événements du 1er février.
Quelle est la situation actuelle dans le pays ?
« Le coronavirus fait actuellement rage de manière très violente au Myanmar. Des millions de résidents sont sans emploi en raison d’une économie en chute libre. Des centaines de milliers de personnes ont fui les violences dans les forêts. L’armée joue un jeu sale (soupir). Ils travaillent avec des informateurs et ont nommé un fonctionnaire dans chaque district. De cette manière, ils exercent une pression et un contrôle sur la population, qui se rebelle contre ces mesures. Les protestations pacifiques sont brutalement réprimées. Des rapports réguliers émanent des quartiers catholiques : une sœur s’agenouillant devant un soldat sur la route et implorant la paix, une attaque contre une église, l’arrestation de prêtres qui appelaient à une protestation pacifique. Même le pape François a appelé le régime à préserver les lieux de culte de la violence : un appel qui est tombé dans l’oreille d’un sourd. »
Le Myanmar est toujours à la frontière entre la guerre et la paix. Y a-t-il une éclaircie dans un avenir proche ?
« C’est une situation très délicate. Avec un oléoduc et une route de la soie traversant le Myanmar, des intérêts internationaux sont en jeu dans le développement politique du pays. Les superpuissances environnantes s’immiscent dans le conflit de manière négative, principalement par le biais d’intérêts commerciaux. Certains fournissent des armes, d’autres ont un pipeline qui traverse le pays. La population se retourne maintenant contre la Chine : il y a déjà eu plusieurs attaques contre des usines chinoises. Les représentants des Nations unies ont tenté d’engager le dialogue, mais sans résultat. Tant que les superpuissances intéressées maintiennent leur parapluie sur la junte militaire, la situation semble sans espoir. » III
L’armée birmane détruit des villages catholiques et fait fuir 100 000 habitants pendant la saison des pluies.
PDF: Les grandes puissances tiennent la para pluie sur le coup d’État au Myanmar, Arne WILLEMS fr