Lettre de l’équipe internationale, Assemblée asiatique, octobre 2019

DES FRATERNITÉS EN MISSION

« Quand ils eurent prié, le lieu où ils étaient assemblés trembla ; ils furent tous remplis du Saint Esprit, et ils annonçaient la parole de Dieu avec assurance. La multitude de ceux qui avaient cru n’était qu’un cœur et qu’une âme » (Act 4, 31-32).

Frères bien-aimés,

En solidarité avec les évêques réunis pour le Synode de l’Amazonie, nous, vos frères de l’équipe internationale – sans Tony, car malheureusement il n’a pas pu obtenir le visa- nous sommes réunis dans cet endroit magnifique et calme, appelé Maison de retraite du Sacré-Cœur de Marie de Mirinae. Elle se situe dans une vallée entourée de collines aux arbres colorés à l’automne. Nous nous sommes réunis avec 14 frères de 4 pays d’Asie lors de leur Assemblée continentale du 11 au 18 octobre 2019. La beauté de l’endroit nous parlait profondément de notre aspiration à la paix et au repos pour rafraîchir nos corps fatigués, chargés du bruit et des fardeaux du ministère. Notre adoration quotidienne, notre célébration eucharistique, notre partage de l’Évangile et notre journée du désert sont devenus des rencontres chaleureuses avec Jésus et avec nous-mêmes. Pendant notre séjour, nous avons apprécié la cuisine coréenne et l’hospitalité de la jeune et dynamique communauté des sœurs du Sacré-Cœur de Marie.

L’Assemblée de Cebu avait confié à nos fraternités des appels et des défis. Ces appels ont été ressentis dans trois domaines de notre vie : nos sociétés, nos Églises et nos fraternités. Tenant compte de ces appels et des résultats de notre réflexion et de notre discernement sur les réalités de nos fraternités, nous voudrions vous inviter à devenir des promoteurs de fraternité. Nous pensons que construire la fraternité et la vivre comme un don de Dieu nous mènera à vivre une mission de fraternité avec nos frères prêtres, dans nos églises et nos sociétés.

Gratitude et soin pour nos frères aînés

« Plantés dans la maison de l’Éternel, ils prospèrent dans les parvis de notre Dieu ;
ils portent encore des fruits dans la vieillesse, ils sont pleins de sève et verdoyants, » (Ps 92, 13-14).

En contemplant la réalité de nos fraternités à Cebu, nous avons constaté que les membres des fraternités occidentales diminuaient ou vieillissaient. Vieillir est un processus de croissance, un don de Dieu. Nos frères aînés sont donc des cadeaux précieux pour nos fraternités. Ils ont vieilli dans la fraternité avec fidélité, ce sont des vétérans en fraternité. Nous voudrions leur exprimer notre profonde gratitude pour leur présence parmi nous. Vous êtes les canaux par lesquels Jésus a conduit chacun de nous dans les belles fraternités de Jesus Caritas.

Alors que beaucoup d’entre vous parcouraient le monde pour proclamer la Bonne Nouvelle de Jésus sur les traces de Frère Charles et en tant que prêtres fidei donum, vous avez amené les fraternités de Jesus Caritas en Amérique, en Asie et en Afrique. Malgré le fardeau de votre âge, vous êtes nombreux à faire des efforts extraordinaires pour participer aux réunions de fraternité autant que vous le pouvez. Votre fidélité est un exemple à imiter.

Chers frères aînés, nous souhaitons vous assurer que nous apprécions hautement votre présence parmi nous. Nous désirons vous écouter et apprendre de votre sagesse et de votre expérience de fraternité. Nous comptons également sur vos fidèles prières pour pouvoir vivre la fraternité. Alors que vos forces diminuent, nous nous joignons à vous dans la prière d’abandon de Frère Charles pour demander la grâce d’un abandon total à l’amour de Dieu.

Nous nous invitons tous à accorder plus d’attention à nos frères aînés: leur rendre visite, les tenir informés de la vie des fraternités, célébrer leurs anniversaires de naissance et d’ordination sacerdotale, partager leurs joies et leurs peines, etc. Bon nombre d’entre nous le font déjà bien et nous les encourageons à continuer ce service de soins attentifs.

Enrichis de l’enthousiasme et de la vitalité de jeunes frères

« Que personne ne méprise ta jeunesse ; mais sois un modèle pour les fidèles,
en parole, en conduite, en charité, en foi, en pureté » (1 Tm 4, 12).

Dans de nombreux pays, principalement en Asie et en Afrique, nos fraternités accueillent de nouveaux membres. De jeunes prêtres se joignent à nous pour marcher sur les traces de frère Charles. Leur arrivée remplit nos cœurs de bonheur et de gratitude envers Dieu, car nos fraternités se renouvellent avec leur vitalité et leur enthousiasme juvéniles. C’est un signe évident que l’expérience spirituelle de frère Charles est toujours très pertinente et fascinante.

Ce don de nouveaux et jeunes membres est une grande grâce, mais aussi un défi. Tout d’abord, nous devons les accueillir sincèrement et ouvrir notre cœur à leurs profondes aspirations. Nous sommes également invités à faire de nos fraternités des lieux où ils peuvent bénéficier du soutien fraternel des frères aînés. Nous avons le délicat devoir de prendre soin d’eux et de les aider à vivre la transition souvent difficile entre la vie protégée du Grand Séminaire et les grands défis de leur vie sacerdotale débutante. Ils ont besoin de trouver parmi nous de doux et gentils mentors.

L’arrivée de nouveaux membres dans nos fraternités est un don de Dieu, mais notre témoignage de vie et notre désir d’avoir de nouveaux frères comptent. Au Brésil, nos frères ont organisé de nombreuses activités afin de permettre aux grands séminaristes de découvrir la beauté et la pertinence de l’expérience spirituelle de frère Charles. De telles expériences de partage de ce que nous vivons et d’invitation de nouveaux membres doivent être promues dans nos fraternités.

Nous croyons que nos fraternités sont des précieux dons de Dieu que nous ne pouvons pas garder pour nous-mêmes. Notre conviction que la fraternité Jésus Caritas peut nous aider à devenir de bons prêtres diocésains doit être partagée.

Dans les Églises où les prêtres viennent de différentes parties du monde pour accomplir un service pastoral ou pour étudier nous invitons nos fraternités à leur montrer une hospitalité particulière. Parmi eux, les prêtres appartenant aux fraternités Jesus Caritas doivent être intégrés dans nos fraternités. Ne manquons pas cette occasion de vivre une fraternité universelle avec nos frères prêtres. Nous vous invitons, frères, à être les premiers à aller vers eux pour leur offrir notre amour fraternel.

“Jamais arrière”, mais fidélité et persévérance

« Je connais tes œuvres, ton amour, ta foi, ton fidèle service,ta constance,
et tes dernières œuvres plus nombreuses que les premières » (Ap 2, 19).

L’Assemblée de Cebu a révélé que dans bon nombre de nos fraternités, nous manquons de fidélité aux moyens principaux de notre croissance spirituelle. Nous ne saurions trop souligner l’importance et la nécessité de l’adoration eucharistique quotidienne, de la journée mensuelle du désert, de la révision de vie, des réunions mensuelles et du partage de l’Évangile pour notre croissance spirituelle. Nous voudrions remercier et féliciter tous les frères et fraternités qui sont très fidèles à ces moyens importants de croissance spirituelle. Chers frères, nous vous encourageons à avancer avec une telle fidélité qui est une bénédiction pour nous tous.

Quant à vous nos frères qui luttez pour être fidèles, nous vous exhortons à ne jamais abandonner le peu que vous faites. La devise de la famille de frère Charles était : «Jamais arrière». Il disait que lorsque nous allons pour faire quelque chose, nous ne devons jamais revenir sans l’avoir fait. Avec son esprit et son exemple de détermination, nous pourrons parvenir un jour à une fidélité parfaite. Par conséquent, que personne n’abandonne ce qu’il est déjà en train de faire!

En raison des grandes distances, de l’isolement et du manque de moyens financiers, de nombreux frères ne peuvent pas participer régulièrement aux rencontres de fraternité. Comme il est difficile de profiter des moyens de croissance spirituelle sans cette participation régulière aux rencontres de fraternité, nous vous exhortons, chers frères, à faire preuve de plus de créativité dans cette situation. Dans les endroits où il n’est pas possible de rencontrer des prêtres, vivre la fraternité avec les autres membres de la famille spirituelle de frère Charles est non seulement une fructueuse alternative, mais aussi une précieuse opportunité.

La fraternité nous pousse à la mission

« Le Seigneur désigna encore soixante-dix autres disciples, et il les envoya deux à deux devant lui dans toutes les villes et dans tous les lieux où lui-même devait aller » (Lc 10,1).

En tant que prêtres missionnaires diocésains sur les traces de Charles de Foucauld, notre mission a pour particularité de construire la fraternité, d’être des experts en amour fraternel et de devenir des frères universels. Utiliser les moyens spirituels disponibles dans nos fraternités Jesus Caritas pour favoriser notre croissance spirituelle est également une spécificité de notre mission. Prendre soin de notre vie spirituelle et grandir dans la sainteté est donc nécessaire à la fécondité de nos efforts missionnaires.

Après avoir longuement réfléchi à la mission lors de l’Assemblée de Cebu, nous souhaitons maintenant vous encourager dans vos engagements missionnaires respectifs. Nous vous invitons, lors de vos réunions et assemblées, à identifier les nombreuses activités missionnaires dans lesquelles vous êtes engagés. Le partage et la réflexion sur vos pratiques missionnaires, l’écoute de vos expériences et récits de mission vous enrichiront certainement et raviveront votre enthousiasme missionnaire.

Reconnaissance

Notre gratitude va à Philip et aux frères coréens pour leur chaleureuse hospitalité, à Arthur Charles pour ses services rendus aux frères asiatiques au cours des six dernières années et à la communauté de sœurs pour leur joie contagieuse de prendre soin de nos besoins. Nous sommes également reconnaissants aux petits frères et sœurs et aux membres de la fraternité laïque de leur visite et des cadeaux qu’ils nous ont préparés.

Maison de retraite de Gongju, Sacré-Cœur de Mary Merinae, vendredi 18 octobre 2019.

Eic LOSADA, Fernando TAPIA MIRANDA, Matthias KEIL et Honoré SAVADOGO
Vos frères de l’équipe internationale

PDF: Lettre de l’équipe internationale Corée du Sud Français

Ce que j’apprends de mes voisins. Marc HAYET

A Lille, dans le Nord de la France, il y a deux fraternités dans des quartiers populaires. Marc, qui vit à Lille-Sud, avec Régis et Filip, nous parle de ses engagements et de tout ce qu’il reçoit dans les rencontres au fil des jours.

Les documents de préparation du Chapitre nous invitent à faire le point sur nos lieux de vie, les situations dont nous nous faisons proches, la façon dont nos engagements et nos présences nous font vivre. Je les reçois comme une invitation à donner des nouvelles : il y a longtemps que nous n’avons pas écrit depuis Lille-Sud.

Avec Régis, nous sommes arrivés dans le quartier de Lille-Sud en janvier 1983 : trente-six ans déjà ! J’ai eu une longue période d’absence de plus de quinze ans, mais sans couper les liens avec voisins et amis, et maintenant voilà presque dix ans que je suis revenu. Autant dire que beaucoup de liens se sont créés avec le quartier, avec quelques familles en particulier qui nous ont accueillis « comme de la famille » (me permets d’écrire ça parce que je les ai entendus se le dire entre eux …) On partage la vie avec ses grandes difficultés et ses joies, avec ses misères et ses limitations et avec les quelques réussites. Je donne un coup de main à plusieurs pour les papiers administratifs : Dieu sait s’il faut en remplir et Dieu sait s’ils sont parfois compliqués, avec, en plus, l’informatisation de beaucoup de démarches quand beaucoup de nos amis n’ont pas accès à ces techniques…

Mais j’ai l’impression que ce dont les gens ont le plus besoin, ce n’est pas d’abord de ce genre de services, mais c’est de l’attention et de l’amitié. Chacun attend un peu d’écoute, de considération sans jugement ; se sentir aimé et respecté sans condition. C’est parfois exigeant et il faudrait être disponible 24 heures sur 24, mais ça me touche beaucoup de sentir la confiance qui grandit. Et ce qui me touche plus encore, ce sont les fruits de cette confiance et en particulier l’attitude de vérité. En disant cela, je pense par exemple à un de nos jeunes amis : « on l’a vu naitre » il y a 34 ans, c’était le fils de nos voisins immédiats. Il y a deux ans, on l’a accompagné, soutenu et visité quand il a fait une cure de désintoxication alcoolique. Quelques mois plus tard, je le trouve dans la rue avec deux autres amis. On bavarde ensemble un moment, puis il dit aux autres : « Allez-y ! Moi, je reste là, il faut que je parle avec Marc ». Et quand on est seuls, il me dit : « Tu sais, j’ai recommencé à boire … » J’ai été très touché par ce désir d’être vrai, ce courage à apparaitre en face de l’autre tel que je suis, sans cacher mes limites. Il exprimait comme une sorte de crainte : que l’autre n’aille surtout pas me juger meilleur que je suis ! (l’exact opposé de la crainte habituelle …). Il ne voulait pas que j’apprenne sa rechute par d’autres mais il savait bien que, s’il me la confiait, cela n’al lait pas casser l’amitié ni la confiance et que je resterais à ses côtés. Et il m’a donné une sacrée : elle est où ma confiance à moi ? moi qui n’ai aucune envie que les autres découvrent mes limites et mes failles et qui fais tout pour les cacher …

On a la chance d’être dans une Église locale qui a été très marquée par la mission ouvrière. On a des liens – surtout les frères de l’autre fraternité – avec plusieurs groupes et communautés chrétiennes dont les membres, très engagés, sont vraiment des gens de nos quartiers populaires : ils en ont le style, le langage et les richesses aussi. Mais dans un contexte marqué par une forte « déchristianisation » et par une présence importante de croyants musulmans, c’est une Église très minoritaire et très petite. D’où la difficulté à assumer un certain nombre de services vitaux et la nécessité de faire appel à toutes les « bonnes volontés ». C’est dans ce cadre que la demande nous avait été faite, il y a quelques années, à cause de notre « connaissance du milieu », de participer à l’accompagnement des catéchumènes : on en a parlé entre nous et j’ai accepté de faire partie d’une équipe. Une fois par mois, avec Myriam, une mère de famille, nous retrouvons deux ou trois adultes qui se préparent au baptême. C’est un cheminement qui dure environ deux ans. Je ne connaissais rien à ce type d’accompagnement et j’ai eu la chance de suivre une formation assurée par le service du catéchuménat. Les personnes qu’on a accompagnées jusqu’ici était surtout des femmes, entre 20 et 50 ans, souvent avec une histoire personnelle difficile. Je suis toujours frappé par la fraîcheur de leur découverte et cette sorte de « soif » et d’attente vive qui les anime.

On utilise des fiches de travail intitulées « Rencontres avec Jésus le Christ », construites autour de passages de l’évangile ou des personnes rencontrent Jésus; et on découvre ensemble le « style » de Jésus, sa manière d’être et d’agir et le visage de Dieu qu’il nous propose ; c’est aussi une façon de découvrir qu’être chrétien, ce n’est pas d’abord « ingurgiter » un corps de doctrines, c’est avant tout rencontrer quelqu’un de vivant, en acceptant de se laisser bousculer et changer par cette rencontre.
Ce qui m’a peut-être le plus marqué au fil des ans, c’est de toucher du doigt combien, pour beaucoup, la question du pardon est centrale. Je me souviens de cette jeune femme qui nous disait, après qu’on avait abordé ce thème : « Je crois que ma route vers le baptême, pour les mois qui restent, doit être une route de pardon, à donner et à recevoir ; ça va être difficile mais je ne peux pas passer à côté ! »

Et je me rappelle une nouvelle baptisée, camerounaise, improvisant dans l’église une danse enthousiaste, à la fin de la veillée pascale, pour exprimer sa joie avec toutes les fibres de son être, entrainant avec elles sa famille et ses amis et bientôt une bonne partie de l’assistance.

A la paroisse, j’ai aussi accepté un autre service, celui du « journal paroissial », bien grand mot pour une revue de 16 pages qui parait trois fois par an. C’est un journal gratuit, distribué par un bataillon de bénévoles dans plus de 6500 boites aux lettres du quartier. Dans la charte, il y a une phrase que j’aime bien (et que je cite à toutes les réunions de travail de  » l’équipe de rédaction » ! …) : « Nous voulons un journal qui offre aux habitants de Lille-Sud un regard chrétien sur le monde (et non exclusivement un regard sur le monde chrétien). » Et la charte explique comment faire : en parlant des richesses du quartier (le travail des associations, les solidarités, les projets communs, le « vivre ensemble », etc.) ; par des interviews, pour faire parler ceux qui n’ont pas souvent la parole ; en essayant de faire deviner que la vie n’est pas « banale » mais pleine de sens. Beau programme, direz-vous, mais je crois pouvoir dire, modestement, qu’on le remplit assez bien. Pour moi en tout cas, même si ça m’occupe beaucoup les semaines avant chaque parution, c’est avant tout une vraie chance de rencontres.

Notre quartier a une mauvaise réputation, c’est pourtant un quartier plein de vie ou le tissu associatif est très dense. Toutes sortes d’associations : les clubs de sports bien sûr, le soutien scolaire, la promotion féminine, et des choses inattendues mais tout aussi géniales comme La cravate solidaire, une association qui aide les gens à se préparer à des entretiens d’embauche : simulation d’entretiens et conseils, choix de vêtements gratuits (fournis par des boutiques) pour être digne et bien se présenter, photo d’identité pour le CV, tout y est, y compris un suivi des personnes avec qui les bénévoles gardent le contact pendant quelques mois.

Grace au journal, j’ai ainsi eu l’occasion de rencontrer des personnes très engagées au service de la vie du quartier. Quelle richesse ! Avec certaines, on a l’occasion de se revoir, lors de fêtes ou de réunions du quartier, et c’est toujours une joie. Je pense, entre autres, à un animateur du quartier que j’avais interviewé à propos de deux films remarquables qu’il avait réalisés. On aime se revoir, et le dialogue continue, comme en témoigne ce texto qu’il m’a envoyé en me souhaitant une bonne année : « Les temps ont toujours été durs dans ce monde, mais, à notre époque, il nous manque des personnes ressources qui emploient des vrais mots avec du sens derrière … » : c’est ce qu’il essaye de vivre dans ses activités avec les jeunes.

J’aimerais terminer en vous parlant d’un autre lieu où je suis présent avec Régis. C’est un collectif qui s’appelle « Mémoire-Fraternité » (Mémoire aux défunts-Fraternité aux vivants). Dans ce collectif, il y a des associations, qui sont toutes au service des personnes en grande précarité. Et puis il y a un groupe, celui dont nous faisons partie, qui assure une présence fraternelle lors des enterrements des personnes sans ressources.

En France, la loi oblige les mairies à prendre en charge les funérailles des personnes décédées sur leur territoire et qui n’ont pas – ni leur famille proche – les ressources suffisantes pour assurer leur sépulture. Autrefois, à Lille, ces enterrements avaient lieu en vitesse, au petit matin, le plus souvent sans accompagnants et les personnes étaient enterrées dans ce qu’on appelait « le carré des indigents ». Il y près de 25 ans qu’un groupe de personnes a décidé de mettre sur pieds ce collectif, avec cette simple réaction d’humanité : « On n’enterre pas un être humain comme un chien ». Des accords ont été conclus avec la mairie et les services des Pompes funèbres, si bien que, chaque fois qu’une personne est prise en charge par ce programme, nous sommes prévenus ; et un petit groupe, ceux qui peuvent se libérer, assure une présence et une petite célébration d’adieu à celui ou celle qui s’en va. Même si la plupart des participants sont des chrétiens (catholiques et protestants), la célébration est une célébration « laïque”, de « fraternité républicaine », sauf si des proches de la personne décédée ont demandé qu’il y ait une prière. Les « anciens » du collectif ont remarqué une évolution : autrefois, il s’agissait beaucoup de personnes isolées, parfois vivant à la rue. Maintenant il y a de plus en plus de personnes en lien avec leur famille ou bien insérées dans leur quartier mais sans ressources suffisantes. Signe d’un appauvrissement de la société ? Les dernières années, il y a eu, chaque année, une quarantaine d’enterrements pris en charge par ce programme.

Je fais partie de la petite équipe qui assure la célébration auprès de la tombe : il s’agit de faire un petit « discours » donnant quelques détails de la vie de la personne qu’on enterre (si on a pu avoir un contact avec de la famille ou des services sociaux qui la suivaient) et rappelant le sens de la démarche. Puis il y a une minute de silence, la lecture d’un poème, et chacun des participants s’incline devant la tombe en y déposant quelques fleurs. Souvent, je cite l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits […] lis doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

J’avoue que je suis toujours très remué quand nous accompagnons quelqu’un d’absolument seul : comment est-ce possible que quelqu’un meure et qu’il n’y ait personne à qui il (ou elle) manque ? Il nous est arrivé d’accompagner des personnes dont on savait seulement si c’était un homme ou une femme : pas de papiers d’identité sur eux et personne pour signaler la disparition. Vraiment seul (ou seule) au monde ! … Je crois que chacun des membres de notre groupe a très fortement ancrée en lui (en el le) cette certitude que c’est un devoir d’être là pour témoigner simplement de notre humanité commune et de notre fraternité. Et j’admire ce vieux monsieur de 92 ans, qui vient d’un autre quartier de Lille, qui marche avec deux cannes et fait à pied le dernier kilomètre, simplement pour poser ce geste de fraternité.

Il faut dire qu’il y a aussi parfois des belles choses : je me sou viens de l’enterrement d’un homme qui logeait dans un foyer d’hébergement pour personnes vivant à la rue. À l’enterrement de cet homme, des animateurs du foyer étaient présents et aussi un bon copain du défunt. Au moment de s’incliner devant la tombe, cet ami a pris la parole : « Pourquoi tu m’as laissé ? C’est moi qui aurais dû partir. Mais attends un peu : la, j’ai plus un sou, mais laisse-moi toucher mon RSA (allocation minimale de solidarité, versée par l’état aux personnes qui n’ont pas de revenus ou des revenus très faibles) et je vais venir ici avec une bonne bière et je la boirai à ta santé ». On peut sourire, mais il avait mis dans ce message, avec ses mots a lui, tout son cœur et toute son amitié pour son copain. On avait envie d’applaudir

J’ai écrit un jour pour le journal paroissial un article intitulé : « Tu sais quoi ? Je crois bien que Dieu habite notre quartier ! ». Je voulais simplement vous partager aujourd’hui quelques lieux ou cette conviction se nourrit. Et je n’ai pas fini de dire merci à ceux et celles qui me font découvrir sa présence …

A la prochaine !

Marc

PDF: Ce que j’apprends de mes voisins. Marc HAYET